Depuis presque quarante ans, les muséums se réinventent pour devenir des musées de société dans lesquels leurs visiteurs sont confrontés aux enjeux sociétaux actuels.
En mai 2019, le Journal des Arts évoque « une période faste émaillée de nombreux chantiers de rénovation » 1 pour les muséums d’histoire naturelle. Ce constat se confirme avec l’ouverture récente, en 2019 du Muséum de Bordeaux puis en 2021, du Muséum d’Orléans, et les projets de rénovation en cours, notamment à Lille, Nantes, Rouen ou Strasbourg. Le temps de « l’état d’abandon… du plus matériel au plus moral » (Héritier-Augé F., 1991) dont ils sont l’objet de la fin des années 1940 au milieu des années 1980 2 semble loin.
Depuis presque quarante ans, les muséums vivent en effet une petite révolution. Ils se dotent d’outils adaptés pour leurs collections, repensent leurs espaces d’expositions et, surtout, redéfinissent leurs liens avec leurs publics et leurs territoires. Dépositaires de collections patrimoniales, ils s’ouvrent à d’autres expressions de la culture scientifique, ambitionnent de développer l’esprit critique de leurs visiteurs, et se muent progressivement en musées de société 3.
L’histoire récente de cette évolution, de cette renaissance, reste à écrire. Du milieu des années 1980 à aujourd’hui, nous tentons donc d’en tracer les lignes principales, en distinguant deux vagues de rénovation : une première dont l’apogée fut marqué par la réouverture de la Grande Galerie de l’Évolution en 1994, une seconde, initiée par l’ouverture du Muséum de Toulouse (2007) puis du Musée des Confluences à la fin de l’année 2014.
La dynamique à l’origine de la première vague de rénovation s’ouvre à la fin des années 1970. Les premiers établissements rénovés sont les muséums de Grenoble (1989), Bourges (1989), Orléans (1989) et Dijon (1992). Les muséums de Tours et d’Aurillac suivront. Ces rénovations doivent beaucoup à l’arrivée de jeunes conservateurs et à une politique volontariste du Bureau des musées, dirigé par Catherine Bonnefoy au ministère de l’Éducation Nationale puis par la Mission Musées toujours au même ministère. Ces rénovations ont chacune leurs spécificités et leurs contextes, chaque conservatrice ou conservateur y ayant exprimé sa personnalité. Toutes sont d’abord liées à des projets de créations de réserves, adaptées aux normes de conservation en vigueur et au développement d’espaces de travail et d’outils informatiques pour gérer ces collections. « La recherche d’aujourd’hui se préoccupe de la protection de l’environnement, et doit trouver dans les muséums les conservatoires de la nature dont elle a besoin » 4. Aussi, la partie la plus visible de ces rénovations concerne les espaces ouverts aux publics, autant les espaces d’expositions – permanentes et temporaires – que les lieux de médiations. Des nouveaux parcours, de nouvelles muséographies sont conçues au service de discours qui portent autant sur des environnements régionaux que des écosystèmes globaux.
Cette première vague est enfin synonyme de rapprochement avec les acteurs de la CSTI. Comme le souligne, Jean-Dominique Wahiche, le chef de la mission Musées au Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche au milieu des années 1990, « le musée est devenu un lieu d’ouverture et de communication qui présente la science en train de se faire et qui témoigne du développement scientifique et culturel des villes. Il s’affirme comme un lieu dynamique de diffusion de la science, non seulement par les présentations permanentes modernes mais par le biais d’expositions temporaires, de services éducatifs et de conférences » 5. Cette évolution vers des questions d’actualité scientifique, qui marque également une rupture avec les expositions encyclopédistes, est également soulignée par Philippe Guillet, alors directeur de l’Office de Coopération et d’Information Muséales (Ocim), « Avec les centres de culture scientifique, technique et industrielle, les musées nationaux – Palais de la Découverte, Musée de l’Homme, Muséum national d’Histoire naturelle, Musée national des Techniques (CNAM), Musée de l’Éducation à Rouen et Cité des Sciences et de l’Industrie – et les muséums en Région, les musées de l’Enseignement supérieur constituent un ensemble cohérent et indispensable qui permet à un large public d’accéder au connaissances scientifiques et techniques. Leur rôle, si important dans notre société, oblige à la qualité de leur actualité tant dans le contenu – le discours scientifique – que dans le contenant – la présentation » 6.
Au cours de la même période, plusieurs problématiques – liées notamment aux objectifs d’une exposition d’histoire naturelle, à la prise en compte des publics ou à l’esprit du lieu – convergent dans le projet de rénovation de la Galerie de Zoologie du Muséum national d’Histoire naturelle. Pour Michel Van-Praët, le directeur de la cellule de préfiguration de la future Grande Galerie de l’Évolution, le projet est de développer « un centre de culture scientifique consacré aux sciences de la nature est en création, dans le respect de la magnifique architecture intérieure de cette Galerie, qui assura de 1889 à 1965 les fonctions de stockage et d’exposition de la plus grande collection française de zoologie […] Il ne s’agit pas pour autant de présenter un musée d’objets passéiste, mais de partir des objets pour créer un musée d’idées » 7.
Si le thème des relations de l’humain à son environnement, de son impact, reste peu présent dans les différents projets évoqués, à l’exception de la novatrice salle « Ils disparaissent de l’échiquier » au Muséum de Grenoble, celui-ci est abordé de manière volontariste dans le troisième acte de la Grande Galerie, consacré aux relations de l’Homme et de la Nature. « Alors que dans les deux précédents actes, le visiteur est présenté à lui-même comme un produit de l’Évolution, il devient dans ce 3e acte, un facteur de l’évolution. […] La prise de conscience de la dynamique de la biosphère et de l’ampleur des inconnues qui persistent vis-à-vis des grands processus écologiques, doit inviter les visiteurs à une première démarche éthique de gestion de notre environnement » 8 souligne Michel Van-Praët.
Les années suivantes voient le développement des expositions « thématiques », « lié au développement même des idées dans les sciences de la nature et à la prise en compte du public » 9. Les influences québécoises, encouragées par l’accord France-Canada en muséologie et l’ouverture d’expositions pluridisciplinaires marquent également la fin des années 1990 et le début des années 2000. Dans la sphère francophone, les expositions du Muséum de Neuchâtel 10 créent souvent l’événement.
« La montée en puissance de la fonction communicationnelle et éducative du musée, par rapport à la fonction de conservation et de mise en exposition prépondérante jusqu’au début des années 1970, constitue l’une des composantes majeures de ce changement […] il n’est plus invraisemblable de parler de culture scientifique (Lévy-Leblond, 1981 et 1996) dans la mesure où celle-ci contribue à la sociabilisation du progrès de la connaissance et à la maitrise des faits sociaux. Parce que les musées scientifiques refusent progressivement de n’être que des lieux de sacralisation du savoir pour devenir des forums citoyens, ils se rapprochent de l’idéal type d’espace public. […] le Muséum prend appui sur une approche interdisciplinaire pour formaliser un discours environnemental propre à servir de repère dans le débat social » 11.
Les années 2000 et 2010 ent la réouverture de deux musées emblématiques situés dans des capitales de régions, le Muséum de Toulouse (2007) et le Musée des Confluences (2014), qui se substitue au Musée Guimet d’Histoire Naturelle. Ces deux musées vont ouvrir la seconde vague de rénovation. Avec des architectures et des scénographies ambitieuses, ces établissements s’orientent davantage vers l’appropriation citoyenne des savoirs scientifiques et des grandes questions de notre temps. Le Muséum de Toulouse se définit comme un véritable « outil d’éducation, de réflexion et de débat sur l’histoire naturelle, l’homme et l’environnement ». Le Musée des Confluences comme « un musée d’histoire naturelle, d’anthropologie, des sociétés et des civilisations ». Dans cette deuxième vague de rénovation, qui concerne tout le territoire, figurent également les muséums de La Rochelle (2007), Bayonne, Toulon, Clermont-Ferrand ou encore Troyes.
La mutation, vers des lieux consacrés à la biodiversité et aux enjeux liés à sa préservation, est initiée dans de grands établissements, et s’exprime également dès 2017 dans le « Naturalium », un espace créé au sein de la Citadelle de Besançon. En 2019 et 2021, deux muséums, à Bordeaux et à Orléans, rouvrent leurs portes après une période de chantier d’une dizaine d’années pour l’un et de six ans pour l’autre. Ces réouvertures marquent une troisième vague de rénovations. Elle s’accompagne de changements de noms – le Muséum de Bordeaux devient « Le Muséum de Bordeaux Science et Nature », le Muséum d’Orléans devient le Muséum d’Orléans pour la biodiversité et l’environnement » - qui les attachent aux enjeux liés à la biodiversité et aux enjeux environnementaux actuels.
Parallèlement, des muséums, comme Nancy et Marseille, réalisent des mues partielles également axées autour de ces enjeux, et développent une politique d’expositions thématiques et temporaires. Les muséums de Nantes, Rouen, Lille, ainsi que le musée zoologique de Strasbourg, seront les prochains établissements à ouvrir leurs portes une fois rénovés quand d’autres projets sont déjà en cours de réflexion pour plusieurs muséums [cf « muséums en rénovation »].
Avec des espaces modulables, immersifs et interactifs, ces établissements ambitionnent aujourd’hui de mettre en exposition leurs collections patrimoniales dans une perspective de prise de conscience mais aussi de plaisir de la découverte, d’appréhension des grands enjeux sociétaux et de compréhension du monde qui nous entoure. Musées de société, leurs expositions mêlent faune, flore, minéral et humains, et se veulent davantage immersives et font appel aux émotions.
Aussi, au regard des menaces qui pèsent sur notre planète Terre, ces lieux s’imposent de faire apparaître la relativité des conclusions et de partager les questionnements scientifiques, afin de donner des clés de lecture et de permettre à leurs visiteurs d’effectuer des choix éclairés sur les enjeux environnementaux et sociétaux de ce début de XXIe siècle.
muséums en rénovation
Musée d’histoire naturelle de Lille
Sa rénovation permettra la reprise du bâti, la création de nouveaux espaces d’exposition, des réserves visibles et une amélioration de l’expérience visiteur. Le projet s’appuie sur un Projet scientifique et culturel (PSC) qui met en avant une vision transversale des fonds et leur appréhension comme une unique collection d’anthropologie culturelle et d’histoire naturelle.
Livraison prévue fin 2025.
Muséum d’histoire naturelle du Havre
L’un des fils rouges du futur parcours de ce musée privilégie un médium simple mais efficace : le dessin. Servant à regarder et à décrire, facilitant l’analyse et la diffusion scientifique, la pratique du dessin invite le public à expérimenter, participer et échanger autour de la question de la biodiversité, passée comme présente, de sa compréhension à sa fragilité.
Musées de Rouen
Le projet Beauvoisine concerne la fusion du Musée des antiquités et du Muséum d’histoire naturelle de Rouen, dans un futur parcours en lien avec les problématiques environnementales. Les objets y seront présentés de manière transversale afin de s’attacher à leur matérialité et à leur aspect environnemental. Le rôle historique du muséum dans la recherche et la transmission des savoirs sera aussi mis en lumière au travers de personnalités liées aux collections.
Muséum d’Orléans pour la Biodiversité et l’Environnement
Il a rouvert en 2021. En partant de la biodiversité et de la géodiversité, le parcours offre une vision transversale des disciplines et des collections, et élargit le champ avec le projet d’un tiers-lieu s’ouvrant à l’ensemble de la CSTI. A la croisée de la culture scientifique et de l’éducation populaire, une dimension sociétale et citoyenne est développée en visant esprit critique et participation.
Muséum de Bordeaux – sciences et nature
Réouvert en 2019, ce Muséum a fait le pari de la convivialité et de l’émerveillement, préalables à l’envie de connaître et de s’interroger. Le parcours « La nature vue par les hommes » suscite la réflexion sur la préservation de la biodiversité. Le Musée des Tout-petits y invite les plus jeunes. La médiation humaine avec l’équipe des médiateurs est au cœur du dispositif.
Muséum de Nantes
Sa rénovation est en cours et devrait se terminer en 2027. Rénovation du contenant permettant de doubler les surfaces ouvertes au public (4 000 m2 environ), rénovation du contenu aussi en intégrant une agora des sciences au sein d’un nouveau parcours axé sur les sciences fondamentales et sur les enjeux sociétaux (biodiversité, climat, migrations) dans une scénographie low-tech mêlant galeries du XIXe siècle et espaces contemporains.
Muséum des sciences naturelles d’Angers
Ce dernier entame une profonde mutation visant notamment à repenser le parcours proposé : inclusion d’un planétarium, valorisation de l’identité végétale du territoire et de l’histoire des lieux. Les enjeux sociétaux autour de la biodiversité, de l’environnement et du changement climatique seront abordés par le prisme de la démarche scientifique. Des chercheurs mais aussi des installations d’art contemporain seront accueillis.
Musée zoologique de Strasbourg
La Ville et l’Université de Strasbourg portent ensemble le projet de rénovation du Musée zoologique. Les visiteurs pourront explorer la biodiversité animale, deux écosystèmes – le Rhin supérieur et la baie de Sagami (Japon) – et la nature en laboratoire. En lien avec les acteurs de la recherche, il porte l’ambition de promouvoir le dialogue et l’engagement sur les enjeux environnementaux et sociétaux. Réouverture en 2024 !
Musées du Mans
La restructuration de ces musées aboutira à la présentation des collections de naturalia, de préhistoire, d’archéologie et d’histoire au sein du musée Jean-Claude-Boulard – Carré Plantagenêt. Ce musée, qui doit rouvrir en 2026, sera consacré à l’histoire longue de la ville et de son territoire. Une place particulière sera dévolue aux problématiques scientifiques et environnementales au travers notamment d’une galerie d’actualité.
Muséum de Besançon
Depuis l’ouverture en 2017 du Naturalium, dédié à la biodiversité, le muséum s’inscrit parmi les établissements qui se définissent comme des outils citoyens, lieux de dialogue entre science et société. S’appuyant sur sa nature atypique – au sein d’un site Unesco et associé à un parc zoologique – le muséum s’engage dans une reconstruction pour devenir
un outil d’étude, de conservation et de valorisation.
Travaux envisagés en 2025.
1 Manca Isabelle, La petite révolution des muséums, Le Journal des Arts n°523, mai 2019.
2 Van-Praet Michel, Fromont Cécile, Éléments pour une histoire des musées d’histoire naturelle en France. In Musées et recherche, éd. Ocim, 1995.
3 La réflexion liée à ce terme n’est pas nouvelle, loin s’en faut. Elle fut notamment débattue au congrès d’Ungersheim, celui de la fondation de la Fédération des Écomusées et Musées de Société (Fems), en juin 1991. Philippe Guillet partage ce questionnement dans la Lettre de l’Ocim n°17 (septembre-octobre 1991) et n°190 (juillet août 2020).
4 Wahiche Jean-Dominique, Muséums d’aujourd’hui, éd. Ocim, 1994, p. 3.
5 Wahiche Jean-Dominique, 1994, op. cit.
6 Guillet Philippe, Muséums d’aujourd’hui, éd. Ocim, 1994, p. 8.
7 Van-Praët M., Muséums d’aujourd’hui, éd. Ocim, 1994, p. 126.
8 Van-Praët M., op. cit.
9 Michel Van Praët – « Evolution des musées d’histoire naturelle : de l’accumulation des objets à la responsabilisation des publics » – La Galerie de l’Evolution – Concepts et Evaluation. Colloque international, 1990. p. 19.
10 Cordier S., Dufour C., « De la vénération de la nature sauvage à la mise sur pied d’expositions originales au musée de Neuchâtel », in Lettre de l’Ocim n°172, 2017.
11 Eidelman Jacqueline et Van-Praet Michel, La muséologie des sciences et des publics – PUF 2000.