Pour la première édition de la Rencontre des directeur·ice·s de l’Amcsti, organisée le 1er et 2 février 2023 au Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, le réseau a invité ses directeurs et directrices à échanger autour du thème « Positionner la CSTI comme actrice majeure du futur : agir aujourd’hui pour demain ».
Etaient réunis près de 80 acteur.ice.s de CSTI originaires de 13 régions françaises et de Belgique et issus de structures variées (associations culturelles et d’éducation populaire, bibliothèques, centres de sciences, collectivités, établissements de recherche et d’enseignement supérieur, fondations, musées et muséums, planétariums, réseaux régionaux et nationaux). Cette rencontre a donné lieu à des débats sur les enjeux stratégiques actuels de la CSTI et du dialogue science-société, et sur les défis futurs qui se posent aux professionnels de la culture scientifique, technique et industrielle. La synthèse de ces échanges est restituée ici, par thématique abordée.
CSTI & transitions écologiques, démocratiques et sociétales
Les acteurs et les actrices de CSTI sont conscients de leur rôle à jouer face aux transitions en cours : c’est la question de leur « responsabilité sociétale » qui est posée. Elle pose également la question de la limite entre être des structures « engagées » et des structures « militantes » : pour les participant.e.s à la rencontre, le rôle des institutions de CSTI est d’avantage d’inciter les citoyens et les citoyennes à s’engager, que d’être des prescriptrices d’actions. En effet, la médiation scientifique peut être un moyen ludique de prendre conscience de la complexité des enjeux actuels et de donner un accès au savoir sans culpabiliser les publics. Plusieurs méthodes sont avancées pour réussir à ré-enchanter les échanges autour des enjeux actuels : s’appuyer sur les collections, faire entendre des discours divers, raconter des histoires, imaginer le futur … autant d’éléments pour donner aux publics des clefs de progressions, et les inciter à devenir acteur.ice.s du changement. Cette question soulève également une problématique éthique : les structures de CSTI se doivent d’être exemplaires dans leurs pratiques, notamment au niveau environnemental.
3 engagements pour les structures de CSTI en cette période :
- Engagement social : par le rôle qu’elles jouent, les structures ont un engagement vis-à-vis de leurs publics et de la confiance qu’ils et elles portent aux lieux de CSTI. Elles peuvent être envisagées comme des outils de développement social : des lieux de solidarité, des « maisons de quartier des sciences » où de nouveaux modèles peuvent être testés, des innovations mises au jour, et des liens créés entre différents types d’acteur.ice.s.
- Engagement de cohérence : Il est nécessaire que les structures assument leurs contradictions, liées notamment à leur histoire et à leurs contraintes propres, tout en s’engageant à une « mission-vérité » et à une forme d’exemplarité. Cela implique, entre autres, de questionner les modèles économiques, que ce soit en termes de lieux (billetterie ou non, nécessité d’avoir un lieu fixe et unique) ou de formats de médiation (expositions, itinérances).
- Engagement collectif : il ne peut exister de transitions sans coopération. Cela implique de changer les modes de fonctionnement des lieux, de travailler avec les autres structures du territoire (de CSTI ou non) en se mettant en réseau au niveau local.
Les grandes tendances de la CSTI contemporaine
Les participant.e.s à ces réflexions stratégiques ont eu l’occasion d’échanger autour de trois grandes tendances de la CSTI contemporaine.
Tout d’abord, l’avènement de la terminologie « science et société », qui traduit une injonction politique européenne (Swafs Science With And For Society) et s’est transposée en France par la stratégie « SAPS – Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), avec deux vagues de labellisation d’établissements dont les activités visaient à mettre en place cette stratégie en 2021. Même si ce nouveau vocabulaire ne change pas fondamentalement le savoir-faire et les pratiques des professionnel.le.s de la CSTI, il permet de mettre en avant une volonté déjà au cœur de la CSTI : « faire science en société ». Cela se traduit notamment par une demande croissante des chercheurs et des chercheuses – particulièrement les jeunes – de partager leur travail avec le grand public. Cette dynamique vise un échange interactif et un enrichissement mutuel entre science et société, en partant du principe que la source du savoir vient aussi de la société, et de l’ensemble des disciplines scientifiques.
Ensuite, il apparaît clairement que l’injonction politique au « tout » participatif touche aujourd’hui la majorité des acteurs et actrices de CSTI et désigne à la fois le mouvement des sciences participatives et les projets culturels participatifs. L’enjeu pour les structures est de toucher un panel de participant.e.s le plus large possible, pour aller au-delà des citoyens et citoyennes très intégrés à des réseaux associatifs par exemple. Pour les acteur.ices de CSTI, mettre en place efficacement le « participatif », implique de s’associer avec des partenaires locaux pour atteindre des publics divers et de définir des objectifs clairs via un « contrat de participation » entre la structure et les publics (pourquoi fait-on du « participatif » ? pour qui ? et de quelle manière ?).
Enfin, l’inclusion, qu’elle soit le fruit d’une injonction politique – vue comme une opportunité pour s’emparer du sujet et demander des moyens pour développer des actions – ou qu’elle relève d’un véritable souhait de certaines structures de s’emparer de ce sujet fondamental, implique une démarche réflexive sur la capacité des structures à s’adresser à la diversité. La question de l’inclusion est envisagée comme un mouvement double : elle concerne à la fois les structures de l’intérieur, soit la nécessité d’être exemplaire en termes de diversité du personnel, et de l’extérieur, soit la volonté d’adapter l’offre à tous les types de publics dans le contenu et l’accessibilité pour toucher les « non-publics » de la CSTI. Ces deux points se rejoignent : peut-on concevoir des activités pour une diversité de publics quand ceux qui les conçoivent et les mettent en œuvre ne reflètent pas cette diversité ? Inclure et surtout ne pas « exclure », peut se traduire de mille et une façon pour une variété de publics : personnes en situation de handicap, de précarité, détenus, adolescent.e.s en situation d’échec scolaire, migrant.e.s, jeunes distants de la culture scientifique, orientation de genre, etc… et peut se traduire par des actions multiples : hors les murs, adaptation des expositions, création de médiation ou ateliers spécifiques, etc. Les difficultés par les structures sont d’abord liées aux moyens financiers et humains limités qui leur sont accordés (plus on veut aller vers un public distant, plus cela demande du temps, de moyens, surtout humain). Les solutions avancées sont, a minima, une formation des équipes pour développer des actions inclusives, formation qui peut être mutualisée avec d’autres structures ou des initiations sur le sujet comme les ateliers mis en place par l’Amcsti. Le travail en réseau et en collaboration avec des partenaires spécialisés sur les publics ciblés et implantés sur le territoire local paraît également une piste très intéressante, en favorisant la co-construction de projets avec les partenaires et/ou les publics. Enfin, la diversité à l’intérieur de nos structures est à rechercher pour « penser, de l’intérieur, la diversité ».
Le futur de la CSTI
Les structures de CSTI sont conscientes de leur responsabilité dans les enjeux actuels et à venir. Prendre cette responsabilité sociétale pour le futur implique de se questionner sur les défis à relever. Il s’agit en priorité de (ré)-imaginer des récits du futur : comment rendre les informations sur les enjeux, notamment écologiques, accessibles à toutes et tous ? Nos points de vue peuvent avoir tendance à nous enfermer dans des représentations du futur où la science constitue une solution, mais réduite puisque cantonnée à des mondes plutôt dystopiques dominés par un « solutionnisme » quasi exclusivement technologique. Il est donc nécessaire de « décoloniser » nos imaginaires du futur. Par ailleurs, un équilibre reste à trouver entre « proposer du divertissement » et « donner un accès à la culture ». « Faire avec la société » et « inclure tous les publics » impliquent de proposer des actions attrayantes basées par exemple sur les codes de divertissement populaire (fêtes traditionnelles, …) et sur des supports ludiques (jeux vidéo, de société, …). Le divertissement constitue donc un outil pour attirer des publics divers mais représente également un vecteur de transmission des connaissances scientifiques. Cela implique d’intégrer la culture scientifique au champ de la culture dite « traditionnelle » et de la placer au cœur des politiques publiques. Il est nécessaire de travailler toujours davantage en réseau au niveau national pour avoir une influence importante sur celles en cours, en s’adressant aux acteurs présents aux différents niveaux de construction (Conseillers Régionaux en charge de la CSTI, réseau des vice-présidents SAPS des universités, MESR, ministère de l’Education nationale, ministère de la Culture, regroupements d’entreprises, …). Il est crucial d’établir une co-construction avec les décideurs politiques, en positionnant la CSTI comme « offreur de solution » en travaillant en amont des projets de politiques publiques.
La réflexion sur ces questions reste ouverte et sera poursuivie au Congrès 2023 de l’Amcsti, en se focalisant sur le rôle de la CSTI contemporaine vis-à-vis des différentes transitions et son lien aux territoires.
Rencontre des directeur.ice.s de l’Amcsti, 1 et 2 février 2023, Muséum national d’Histoire naturelle, Paris | Crédits : Amcsti
Propos rédigés et mis en forme par Mathilde Boisserin, cheffe de projets, Amcsti, avec le soutien de Laure Danilo, Vice-Présidente de l’Amcsti (MOBE – Orléans), en charge de l’animation des ateliers (1) « Notre façon d’appréhender le futur (par les structures de CSTI) prend-elle en compte les bons défis ? » et (7) « Notre responsabilité sociétale : peut-on parler d’autres choses que de transitions ? » ; Elise Duc-Fortier, trésorière de l’Amcsti (Association S[cube]), en charge de l’animation des ateliers » (2) « Quels engagements dans nos structures pour accompagner les transitions ? » et (6) « Comment mettre la CSTI au cœur des politiques générales ? » ; Marianne Pouget, vice-présidente de l’Amcsti (Cap Sciences), en charge de l’animation des ateliers (3) « Quel futur pour la CSTI : culture ou divertissement ? » et (8) « Le participatif à tout prix ? » ; Agnès Parent, Présidente de l’Amcsti (Muséum national d’Histoire naturelle), en charge de l’animation des ateliers (4) « Comment éclairer sur les enjeux actuels : entre ré-enchantement et alerte sur les menaces ? » et (9) « L’inclusion dans nos structures : injonction politique ou réelle transformation de nos modèles ? », et, Raphaël Degenne, membre du Conseil d’Administration de l’Amcsti (Ombelliscience), en charge de l’animation de l’atelier (5) « Science et société : avec ? pour ? et pourquoi ? », à partir des restitutions écrites des ateliers effectué par Christophe Lizé, chargé d’étude (Amcsti), Margot Beltran, Eliane Roussille et Mahault Vermeulen, étudiantes bénévoles pour la Rencontre des directeur.ices.