Imaginé par l’artiste Jérémy Gobé, initié avec l’association HS_Projets, au croisement d’un savoir-faire industriel lié au patrimoine textile, d’une recherche scientifique et d’une volonté de renouvèlement des pratiques culturelles, CORAIL/ARTEFACT se définit comme une aventure art, science et industrie, mobilisant l’ensemble de la société. Ce projet se situe au carrefour d’interrogations partagées : à l’instar de la recherche artistique, la recherche scientifique poursuit un but, dont chaque projet représente une étape, celle du devenir de savoir-faire anciens et contemporains et de la pensée des hommes, celle du rôle et de la conscience de la société face à l’avenir.
Depuis plusieurs années, le Festival International des Textiles Extra ordinaires (FITE) a pour ambition la reconnaissance du textile et de sa perception. Il invite pour cette édition l’artiste Jérémy Gobé, pour sa pratique soucieuse du devenir des savoir-faire textiles et des hommes qui les détiennent, à rencontrer une entreprise de dentelles mécaniques, la Scop Fontanille, au Puy-en-Velay.
L’artiste initie depuis plusieurs années un travail de restauration plastique de squelettes coralliens. Cette recherche artistique le conduit à approfondir ses connaissances sur les coraux. Il prend conscience que les barrières de corail, véritables poumons marins de notre environnement, nécessaires à l’alimentation des habitants des littoraux et à la biodiversité de notre planète, dépérissent.
Dans ce terreau fertile, il découvre une entreprise innovante, ressuscitée par la force de conviction de ses employés amoureux de leurs savoir-faire. L’artiste réalise qu’un des motifs de dentelles, le « point d’esprit », présente un motif identique à la vue microscopique d’une cellule de corail. La chercheuse Isabelle Domart-Coulon (CNRS, MNHN), dont l’une des spécialités de recherche est la colonisation des coraux, apporte un élément important : à cause du réchauffement climatique, le corail perd ses microalgues symbiotiques et ces épisodes de blanchissement l’affaiblissent, pouvant causer sa mort. La dégradation des récifs gêne aussi la reproduction des coraux et la fixation des nouvelles larves de corail qui dérivent et ne régénèrent plus le récif, accélérant sa perte. Ainsi est née dans l’esprit de l’artiste l’idée que la dentelle pourrait permettre de créer une interface entre le corail et son milieu environnant, fournissant un support compatible avec les cellules de corail permettant à nouveau la régénération de la barrière.
La dentelle présente de nombreux avantages : transparence, rugosité, mimétisme, fibre naturelle, biodégradabilité.
Parallèlement aux recherches en laboratoires pour l’application concrète de cette idée, Jérémy Gobé et Fontanille mènent alors un travail d’adaptation de ce motif de « point d’esprit », installant, pour la première fois, une grande largeur sur un métier à tisser qui reçoit, en principe, plusieurs petites largeurs. L’artiste se lance alors dans la conception d’une œuvre monumentale, présentée pour le festival au musée Bargoin, dès septembre prochain à Clermont-Ferrand. Le choix de disposer l’œuvre au musée permet de présenter au plus grand nombre la démarche qui la sous-tend. L’œuvre est installée dans l’espace muséal, constituée de la création textile monumentale de Jérémy Gobé réalisée avec l’entreprise, et du patrimoine textile de Fontanille, sous forme d’échantillons, mettant en valeur la profondeur historique des savoir-faire, les hommes qui les ont imaginés, et leur lien vital à l’existence du projet CORAIL/ARTEFACT. Une autre partie de l’œuvre textile monumentale se déploie en extérieur, sur la façade du musée, interpellant les passants.
La réalisation et la présentation publique de CORAIL/ARTEFACT permettent ainsi d’aborder, de manière visuelle, la problématique de la disparition de la barrière de corail, comme la menace qui pèse sur les savoir-faire liés au textile. Ainsi cette installation finale tend à sensibiliser largement, par le biais de l’art et de l’émotion, aux implications de l’érosion naturelle comme culturelle, qui menace la diversité. La possibilité de questionner la société sur des questions environnementales, comme sur les questions culturelles et patrimoniales qui la constituent, devient alors palpable. L’ambition du FITE est ainsi d’utiliser le textile comme agitateur et vecteur de sens, créant une plateforme où les rencontres improbables sont possibles et où « le mariage de la carpe et du lapin est envisagé ».