Covid-19 et atteintes à la biodiversité

Adaptations
© JF Guégan

Covid-19 et atteintes à la biodiversité : comment la science et les politiques publiques environnementales peuvent-elles tirer les leçons de la crise sanitaire ?

Les maladies infectieuses émergentes interrogent nos modalités d’action en matière de recherche comme de politiques publiques. La pandémie de Covid‑19 n’est pas une crise isolée, mais le symptôme de crises environnementales et socio-économiques plus profondes, appelées à se reproduire. Il devient dès lors urgent d’initier une approche intégrée de ces maladies afin de dresser un consensus robuste sur l’analyse des émergences et de les raccrocher aux enjeux qui échappent à la seule sphère biomédicale.

La pandémie nous rappelle que nos modes de consommation impactent les écosystèmes. Nos smartphones, nos meubles, notre consommation de viande, nos déplacements motorisés, les modes véhiculées par le soft power des médias et réseaux sociaux contribuent à l’exploitation des ressources naturelles, à l’extraction de terres rares, à l’importation de bois exotique planté en lieu et place de forêts naturelles, au changement d’usage des terres en zone intertropicale pour produire des biocarburants ou des aliments pour le bétail… toutes activités qui s’implantent et font pression sur des milieux autrefois sauvages, souvent forestiers. C’est notre modèle de production qui est en cause.
On ne peut à ce stade affirmer que l’agent responsable de la Covid‑19, a priori un virus issu de la recombinaison entre deux virus issus de chauve-souris et de pangolin, est lié à la déforestation. Il provient peut-être du trafic d’une espèce protégée, le pangolin, commercialisé sur des marchés d’animaux vivants en Asie. Mais on estime en revanche que 30 % des 180 maladies infectieuses émergentes apparues ces soixante dernières années, dont 72 à 75 % sont d’origine animale, et les deux tiers issus de la faune sauvage, sont associées à la modification de l’usage des sols, en particulier la déforestation, et au développement de l’agriculture et de l’élevage en zones intertropicales1.
Les animaux perturbés par l’incursion humaine se concentrent alors sur des territoires réduits, parfois proches des implantations de population, favorisant les transmissions inter-espèces2. L’accélération des épidémies depuis 30 ans est ainsi sans doute liée à la multiplication de ces contacts, ce qui est démontré pour le SRAS, le VIH, Ébola…

Ce phénomène est aussi un problème agricole, en particulier dans l’élevage intensif : la diversité génétique pauvre des animaux domestiques élevés pour notre consommation et de leur microbiote associé crée les conditions idéales d’une faible résilience aux infections, mais aussi d’un passage de la barrière d’espèces et d’une forte amplification des agents émergents à proximité immédiate de l’Homme.
La transmission d’agents pathogènes des animaux sauvages à l’Homme, en passant parfois par les animaux domestiques, est bien documentée, elle existe au moins depuis le Néolithique. On lui doit beaucoup de nos maladies infectieuses. Ce qui a changé c’est l’ampleur et l’accélération du processus. Les points de contact se sont multipliés, la mondialisation du commerce et de l’activité industrielle et touristique favorise la propagation globale de ces épidémies.

 

© JF Guégan - Ilet Malouin
© JF Guégan – Ilet Malouin

 

En termes de politiques publiques et de science, la pandémie actuelle démontre qu’il faut une approche globale de la nature et de la biodiversité en lien avec la santé humaine mais aussi animale. Les écosystèmes régulent les processus physiques nécessaires à la vie et fournissent des services indispensables à l’humanité. Les menacer par nos activités revient à mettre en péril notre santé et notre bien-être, un de nos droits fondamentaux selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
L’OMS, l’Organisation Mondiale de la Santé Animale et l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture portent l’initiative « One Health », approche globale visant à associer la conservation de la nature aux objectifs de santé publique en liant émergences de maladies infectieuses issues de la faune sauvage et atteintes aux écosystèmes.

Or il manque un quatrième pilier prenant en charge la dimension environnementale qui pourrait être porté par Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, qui de par son mandat sur la gouvernance internationale de l’environnement est à même d’ancrer cette initiative dans les défis d’une planète saine pour tous.

Qu’il s’agisse de programmes de recherche, d’initiatives internationales ou de politiques nationales, il faut revenir à une écologie de la santé qui considère les modifications des écosystèmes, les problèmes de pathologie animale, la santé humaine et la santé des plantes, mais aussi les politiques d’aide et de coopération avec les pays en voie de développement. Pour prévenir les problématiques sanitaires, il est indispensable de comprendre et d’appréhender les interactions et les dynamiques entre nature, usages et pratiques humains dans une démarche globale et multidisciplinaire, et de placer au cœur de notre économie cette prise en compte des liens entre la santé humaine et celle de la biosphère dans son ensemble.

  1. Forests and emerging infectious diseases: unleashing the beast within. Jean-François Guégan, Ahidjo Ayouba, Julien Cappelle et Benoît de Thoisy. Environmental Research Letters, 29 avril 2020.
  2. http://www.malinfemerg.org/index.html?diaporama2016 : présentation de Peter Daszak (zoologiste/parasitologue, Université Columbia, président de l’Alliance EcoHealth), programme américain Predict, « Understanding the ecology and economics of pandemics »

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