La capacité de réaction de la recherche autour de l’épidémie Covid-19 par le virus SARS-CoV-2 a été exceptionnelle. Partout dans le monde, le nombre de publications et de projets de recherche sur l’analyse de la pandémie, l’épidémiologie, le traitement et l’appui aux politiques publiques de santé ont explosé ces trois derniers mois. Tous les champs scientifiques sont mobilisés pour mieux comprendre et lutter contre la pandémie. Si cette exceptionnelle activité scientifique témoigne d’une réaction à la hauteur de la gravité de l’épisode sanitaire, elle ne doit pas faire oublier la somme de connaissances déjà disponibles, notamment sur l’approche éco-épidémiologique. Nous ne partons pas de rien, loin s’en faut. Les liens avec les modifications de l’environnement et la perte de biodiversité, bien connus, sont en effet essentiels à prendre en compte dans le développement de cette pandémie, dont les origines sont assurément zoonotiques.
La grande majorité des maladies infectieuses proviennent en effet du passage d’un virus d’un animal sauvage à l’homme. Il est donc intéressant de mettre en regard les recherches actuelles sur le SARS-CoV-2 avec le travail de longue haleine que nous avons mené ces dernières décennies, au sein de l’UMR TransVIHMI, sur le VIH, notamment autour de la découverte du patient zéro.
Nous avons établi que, pour le VIH, ce sont les contacts avec les animaux sauvages à l’occasion du dépeçage et de la chasse des grands singes qui ont été à l’origine du passage du virus à l’homme. Le berceau géographique du VIH-1 a été identifié au sud-est du Cameroun, région où les chimpanzés sont naturellement infectés par l’ancêtre du VIH-1. L’épidémie humaine a démarré ensuite véritablement à Kinshasa, favorisée par le contexte historique, notamment les facteurs sociaux-économiques mais aussi démographiques, qui ont permis au virus de se propager, car le sud-est Cameroun était jusqu’alors enclavé. Malgré la présence depuis le début du 20e siècle du HIV-1 dans la population humaine en Afrique centrale, les premiers cas répertoriés ne sont apparus que dans les années 80 aux États-Unis. Le virus s’était d’abord propagé à bas bruit.
A priori, le schéma de transmission du Covid-19 est le même. Avec un contact sanguin, tissus ou organes infectés, salivaire ou aérien, un virus passe d’un animal sauvage à un homme directement ou indirectement par l’intermédiaire d’un autre animal. On connaît désormais très bien le mécanisme qui a déclenché la dispersion du Sida dans le monde entier. Mais, si l’épidémie du Sida est restée longtemps inaperçue avec une diffusion lente et localisée du VIH pendant plusieurs décennies en Afrique, ce n’est pas le cas du Covid-19 : avec la mondialisation des échanges, la propagation du virus SARS-CoV-2 s’est faite dans un temps record, vers tous les continents et pays.
« Les liens avec les modifications de l’environnement et la perte de biodiversité sont essentiels à prendre en compte dans le développement de cette pandémie. »
De nombreux animaux sauvages sont naturellement infectés avec une multitude de coronavirus. Avec nos partenaires africains, nous avons débuté un recensement exhaustif de ces coronavirus qui circulent chez les animaux sauvages ou domestiques en Afrique afin de déterminer leur éventuelle dangerosité. Mais c’est un travail long et fastidieux. Pour comprendre les transmissions, il est aussi important d’avoir une approche multidisciplinaire et par exemple aussi de mieux connaître les modes et fréquences de contacts avec les différentes espèces d’animaux sauvages, afin de mieux identifier les populations et régions à risques pour des transmissions zoonotiques. Avec l’aide de chercheurs africains, l’IRD procède à des enquêtes de terrain pour cela. En Afrique, mais aussi en Asie, la faune sauvage, la viande de brousse sont largement consommés. Il faut donc appuyer les populations, les autorités des pays et travailler avec les scientifiques locaux pour faire comprendre les risques potentiels de ces pratiques de consommation. Nous participons par exemple à la sensibilisation à ce risque avec l’Office international des épizooties (OIE), l’institut Pasteur et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) dans le cadre du programme Ebo-Sursy.
Les expériences Ébola et VIH sont donc utiles pour nourrir les recherches actuelles sur SARS-CoV-2. Les récentes épidémies dues au virus Ébola en Afrique ont aussi permis de développer dans beaucoup de pays des réseaux de laboratoire et de systèmes de surveillance épidémiologique et permettent une meilleure réactivité. Mais avec l’augmentation des habitants dans les régions reculées, liées par exemple à l’implantation des concessions forestières ou minières, les moyens de communication toujours plus efficaces et rapides, le nombre de personnes en contact avec la faune sauvage a augmenté. Malheureusement, tout est en place pour de nouvelles épidémies. Responsable de ce contact, l’homme doit apprendre à gérer son exploitation des milieux naturels s’il veut éviter de nouvelles pandémies.