De l’engagement citoyen à la précarité du métier : évolution et mutation des métiers de la médiation scientifique

Du partage des sciences à l'engagement citoyen - 40 ans de politiques de CSTI
© Olivier Lascar, journaliste à Sciences et Avenir

Selon la stratégie nationale de la CSTI, publiée en mars 2017 par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, la médiation scientifique « s’appuie sur des opérations et des actions visant pour tous ses publics le meilleur niveau de qualité […]. Il comprend l’ensemble des personnes et institutions qui ont vocation à réduire la distance entre le monde scientifique et le public, à établir une intermédiation ». Ce lien entre chercheurs, chercheuses, citoyens et citoyennes fait même l’objet d’une des cinq orientations stratégiques de ce rapport 1 : « développer la connaissance et la reconnaissance des acteurs ». Un ensemble de métiers dont la qualité et son caractère indispensable est identifié avec un rôle à jouer dans les rapports entre science en société, déjà en 2017.

Des préoccupations récentes ?

Pourtant dès novembre 1951, André Lévillé, directeur général du Palais de la Découverte, fait état du besoin urgent de recrutement de démonstrateurs et de démonstratrices, une des anciennes dénominations des métiers de médiateur et médiatrice. Un besoin qui doit être appuyé par une revalorisation de salaires de ces métiers déjà identifiés comme précaires. Si en 2018, 170 personnes étaient employées par le Palais de la Découverte, seules 40 à 45 d’entre elles étaient des médiateurs et des médiatrices. En 1939, il existait 70 démonstrateurs, dont 20 démonstratrices 2.

Des postes pérennes ?

Un autre aspect de la précarité qui doit être mentionné est la durée des contrats de travail pour un même poste. Toujours en 1939, un démonstrateur ne pouvait le rester qu’un maximum de trois à cinq ans et ne pouvait se faire réembaucher à un poste supérieur qu’après une période « sabbatique » de cinq ans. Aujourd’hui, difficile de débuter dans ce métier sans passer par un CDD court, d’un an ou moins, voire un service civique : ces postes de volontaires réservés aux jeunes de moins de 26 ans ne sont pas des contrats de travail et sont gratifiés à hauteur de 580 euros par mois, dont la majorité est payée par l’Etat. Ainsi, les contrats précaires forment près de 36 % des contrats de médiation dans les musées de CST 3, une part pouvant aller jusqu’à 74 % dans les structures d’éducation populaire.

Un vrai métier ?

Une des évolutions notable des métiers de la médiation est leur professionnalisation : l’officialisation du métier par le ministère de l’Enseignement date de 1998, précédée de l’apparition des filières de « médiation culturelle » quelques années plus tôt 4. Avec ce formalisme apparaît le besoin de diplômes qui pousse à des études parfois longues, du niveau Licence jusqu’au Master. Et dans le cas d’une reconversion professionnelle, engagée par nombre de jeunes scientifiques après un Master, un doctorat voir plus, l’entrée dans le marché du travail de la médiation scientifique peut être tardif : et ce, malgré leur niveau d’étude déjà élevé. En effet, près de 2/3 des médiateurs et des médiatrices ont au moins un niveau Licence3.

« Et… Tu saurais faire des vidéos ? »

Enfin, depuis plusieurs années, des « pro-amateurs » créent des contenus vulgarisés sur des plateformes telles que YouTube, Twitch, publient des ouvrages ou s’expriment sur les réseaux sociaux. Des acteurs et actrices également identifiés par la Stratégie Nationale de la CSTI : « mais des initiatives fleurissent comme celles des jeunes vidéastes indépendants qui font un travail remarquable suivant un modèle économique précaire. Tous ces médiateurs professionnels ou bénévoles ont besoin d’être soutenus, encouragés […] il est également nécessaire de reconnaître et de valoriser la qualité de leur travail, leur créativité et leur professionnalisation ».

Pourtant, ces vidéastes, indépendants et indépendantes pour la majorité, peinent à vivre de ce métier. Leur éventail de compétences, parfois large, et les missions effectuées témoignent de la grande variabilité des sources de revenus. Cette instabilité et l’absence de structure les placent de facto dans les statuts précaires de la médiation.

Un nouveau modèle économique ?

Face à ces métiers en évolution, bousculés par la crise sanitaire et devant s’accorder avec les enjeux du numérique, quel modèle économique doit-on penser aujourd’hui ? Une structure rassemblant la diversité de ces acteurs et actrices, pouvant défendre leurs intérêts, les guider dans leur évolution professionnelle sonnerait presque comme une revendication face à la précarité des métiers de médiateurs et médiatrices scientifiques. Mais ne serait-ce pas là une nouvelle preuve de la reconnaissance de leur engagement citoyen ?

 

1 Stratégie nationale de culture scientifique, technique et industrielle (SNCSTI), 2017, CNCSTI

2 Une brève histoire de la médiation scientifique au Palais de la Découverte, Découverte n° 410, mai-juin 2017, Denis Savoie

3 Enquête sur les besoins en formation des médiateurs / animateurs scientifiques et de leurs encadrants, 2013-2014 : Socio-démographie des répondants, 2016, Stéphane Frugier OCIM / Universcience pour ESTIM - Ecole de la médiation

4 Médiation scientifique, Arts et Savoirs 2016, Andrée Bergeron 

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