De l’Exploratorium à l’Exploradôme

Du partage des sciences à l'engagement citoyen - 40 ans de politiques de CSTI
©Exploradôme

Entretien avec Goéry Delacôte, ancien directeur d’At-Bristol (Royaume-Uni), et de l’Exploratorium de San Francisco (USA), membre de l’Académie des Technologies, Fondateur de l’association « Savoir Apprendre – Exploradôme ».

Connaissez-vous l’Exploradôme ? Oui sans doute, ce « musée » situé depuis douze ans à Vitry-sur-Seine avec pour devise : « il est interdit de ne pas toucher ». Difficile de faire mieux en période de COVID !!!

Mais connaissez-vous son histoire qui commence en 1998 et celle de Goéry Delacôte qui en est l’inspirateur et le fondateur après avoir été à l’origine de multiples initiatives dans le monde de l’information scientifique et technique (IST) tant en France qu’à l’étranger depuis plus 50 ans ? L’Exploradôme est donc l’ultime étape d’une longue histoire que nous vous invitons à explorer avec son créateur.

Goéry Delacôte, pouvez-vous nous dire ce qui vous a conduit à la création de l’Exploradôme ? Et d’ailleurs pourquoi « dôme » puisque le bâtiment de Vitry ferait plutôt penser à un cube ?

C’est exact, mais la première localisation de l’Exploradôme a été le Jardin d’acclimatation.
Il y existait autrefois un delphinium abrité par une toile comme on en trouve au-dessus de certains terrains de tennis. Il n’y avait plus de dauphin, on m’a proposé l’espace. Voilà pour le « dôme ». Pour « Explora », j’étais à l’époque Directeur de l’Exploratorium,
le musée des sciences de San-Francisco, si particulier, créé par Franck Oppenheimer (le frère de Robert). A cette époque, il était considéré comme le meilleur du monde et j’ai eu envie de faire profiter la France de son esprit tout à fait exceptionnel, même à très petite échelle.

Et pourquoi Vitry-sur-Seine ?

Dans le début des années 2000, les orientations du jardin d’acclimatation ont changé et conduit à la fermeture du Musée National des Arts et Traditions Populaires, du Musée en Herbe … et à la migration de l’Exploradôme. C’est alors que la ville de Vitry-sur-Seine, par la personne de son maire d’alors Alain Audoubert, nous a accueillis dans cet ancien dispensaire, à deux pas du MACVAL, dans le cadre d’un partenariat riche de relations avec les scolaires et les vitriots.

Quelques années après le décès de Franck Oppenheimer, vous prenez en 1991 la direction de l’Exploratorium de San-Francisco. Comment en êtes-vous arrivé là ?

C’est une vieille histoire. En 1979, j’ai été chargé avec Maurice Lévy de la conception du musée scientifique de la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette. J’ai ensuite, de 1980 à 1982, dirigé le département « Conception des expositions » de la « Mission du Musée » en imprimant de fortes orientations au projet : interactivité, approche thématique plus que disciplinaire, présence des sciences humaines. C’est à cette époque, lors de visites de grands musées de sciences étrangers et en particulier de l’Exploratorium qu’est née ma rencontre avec Franck Oppenheimer avant son décès en 1985.

Ensuite de 1982 à 1991, j’ai été Directeur scientifique au CNRS, chargé de l’information scientifique et technique (IST), ce qui m’a conduit entre autres à la création de l’Institut de l’information scientifique et technique (INIST) à Nancy mais aussi en 1989, pour revenir à nos « musées », lors du cinquantenaire commun du CNRS et du Palais de la Découverte (tous deux créés en 1939 par Jean Perrin) nous avons réalisé une opération commune « 20 chercheurs - 20 manips ».

Après ces neuf années passées au CNRS le « board » de l’Exploratorium m’a demandé d’en prendre la direction. J’ai d’abord dit non puis j’y suis resté finalement presque quinze ans.

Et vous êtes revenu en France ?

Pas tout à fait, je me suis arrêté à Bristol (la ville de naissance de Paul Dirac, Prix Nobel de physique 1933 partagé avec Erwin Schrödinger) pendant cinq ans, jusqu’en 2011 pour diriger un autre centre de culture scientifique, le « At Bristol », dont la devise est « Amener la science à la vie ».

Et alors l’Exploradôme ? 

Au début des années 1990, avec le développement d’internet, il était évident que de nouvelles questions se posaient. Saurions-nous restructurer nos organisations éducatives ? Saurions-nous répartir le temps éducatif entre les âges de la vie ? Saurions-nous éviter l’exclusion de ceux qui n’auront pas accès à ces outils, à ces savoirs, à cette culture ? Ce fut le sujet d’un livre que j’ai publié en 1996 chez Odile Jacob : « Savoir apprendre ». C’est aussi le nom de l’association 1901 créée en 1998 et dont l’Exploradôme est le bras armé. Ces questions demeurent et sont même devenues essentielles.

L’Exploradôme semble être une structure singulière au sein des acteurs de la culture scientifique. Elle n’est rattachée ni à une institution scientifique, ni à une Grande Ecole, ni à un lieu de sciences, elle semble indépendante.

Oui, vous avez raison pour ce qui est de son origine, elle est née au sein de la cité. C’est d’ailleurs ce qui lui a permis de continuer à se développer sans trop de perturbations en passant du jardin d’acclimatation à la ville de Vitry-sur-Seine.

Par contre, même si nous sommes au cœur de nos publics, qui dépassent très largement la ville de Vitry pour s’étendre à l’ensemble de l’Ile-de-France, nous sommes aussi très connectés à l’ensemble des acteurs institutionnels de la Culture Scientifique : Vitry-sur-Seine bien sûr, la Ville de Paris, le Département du Val de Marne, la Région Ile-de-France, l’État et l’Europe. De même de nombreux partenaires privés nous ont aidés depuis plus de vingt ans, certains en continuité, telle la Fondation SCALER. Dès les premières années, sous le dôme au Jardin d’acclimatation, tout s’est mis en place grâce à l’implication du conseil d’administration et de toute l’équipe menée par Brigitte Zana.

Enfin et c’est également très important, nous ne sommes pas seuls car nous nous efforçons de travailler en synergie avec les autres acteurs de la CSTI. Je me limiterai à trois exemples :

  • le projet QSEC, projet francilien que nous avons porté de 2014 à 2020 avec sept autres opérateurs de la culture

scientifique, nous a permis de démultiplier l’impact de nos actions communes. 

  • la production de manips et d’expositions avec et pour d’autres partenaires comme le projet Fabriq’Expo développé avec Ombelliscience, même si la crise sanitaire a mis en pause ce type de collaboration.
  • les nombreuses manips développées en concertation avec l’Espace des Sciences de Rennes.

Cette participation à ce réseau d’acteurs se concrétise également par l’adhésion et notre investissement au sein de l’Amcsti, nous offrant un lieu d’échange, mais également une voie commune pour porter plus haut notre parole.

Comment définiriez-vous la place de l’Exploradôme dans la Cité ?

L’urgence de nouer le dialogue entre toutes les composantes de nos sociétés s’impose aujourd’hui avec plus de force que jamais. Implanté au cœur de territoires souvent stigmatisés, au service de populations d’origines multiples, l’Exploradôme ne peut pas ignorer la diversité culturelle qui l’entoure et le nourrit. Il est le témoin privilégié des difficultés de ces populations, mais aussi de leur demande de s’informer, de s’enrichir culturellement.

L’accueil qui lui a été réservé, dès son arrivée à Vitry-sur-Seine, par les familles et toute la communauté éducative en est la meilleure preuve.

Par quelle méthode ?

Dès 1998, alors que l’association Savoir Apprendre n’en était qu’à ses débuts, nous défendions la « pédagogie de l’étonnement » que nous avions découverte à San Francisco. Cette pédagogie ludique et interactive qui abandonne la posture magistrale du sachant a toujours été notre meilleur outil pour diffuser le goût des sciences.

Nous proposons le raisonnement scientifique, comme un langage universel commun de probité, de dialogue, d’interrogations, parfois passionné mais jamais excluant. De par sa capacité d’analyse, la science s’impose comme un langage qui distingue les faits des opinions et des préjugés, permettant l’établissement d’une communication de paix.

Notre démarche est d’amener chacun à adopter un raisonnement scientifique et critique, toujours dans le respect mutuel et dans un esprit de cohésion. C’est cette direction que nous continuons d’emprunter.

Chacune des expositions et activités de l’Exploradôme apporte certes des savoirs et des connaissances scientifiques et techniques, mais nous sommes plus attachés encore à mettre en valeur la démarche scientifique, les vertus du questionnement, de l’écoute, de l’échange et de l’esprit critique. 

L’approche de l’Exploradôme a-t-elle évolué durant ces vingt ans ?

Assurément. Tout en restant proche de sa mission initiale de diffusion d’une culture scientifique et technique pour le plus grand nombre, l’Exploradôme a profondément évolué, notamment en abordant plus largement des problématiques de société.

Au-delà de la découverte des grands principes scientifiques ou des usages numériques, il faut également accompagner tous nos publics dans une démarche de questionnement et de recherche, aiguisant un esprit critique
prompt à s’exercer dans tous
les domaines.

Les expositions récentes (Illusions, Super-égaux, Trajectoires, En quête d’égalité) témoignent de cet ancrage.

Comment avez-vous traversé la crise de la COVID 19 ?

L’implication des équipes et du Conseil d’Administration, a été exemplaire dans la gestion de ces deux années difficiles. L’état nous a fortement aidés comme toutes les entreprises dont l’activité est liée au public. De même la ville de Vitry-sur-Seine a également été très présente. Nous restons très prudents car cette crise n’est sans doute pas terminée.

Où en est la culture scientifique aujourd’hui ?

Force est de constater que, malgré ce travail et celui d’autres structures de la CSTI, la culture scientifique et technique reste le parent pauvre de l’univers culturel des Français.

Certes, les filières scientifiques de l’éducation formelle restent prestigieuses et forment de nombreux spécialistes de haut niveau. Mais les enjeux scientifiques et techniques traversent de plus en plus la vie quotidienne des citoyens qui ne sont pas suffisamment formés et informés pour participer aux débats qui façonnent la société d’aujourd’hui et de demain.

Plus encore que des connaissances et des savoir-faire, c’est à la première approche d’une démarche d’interrogation que s’attache la pédagogie mise en œuvre à l’Exploradôme : amener le grand public à se poser des questions, à réfléchir, à engager leur propre fonctionnement mental par l’interrogation. C’est cette démarche qui permet de mieux s’orienter dans le monde des idées et des savoirs et de résister aux manipulations obscurantistes.

La crise sanitaire, si dramatique pour le secteur culturel et si profondément bouleversante pour nos vies, aura paradoxalement fourni la démonstration implacable de l’importance de ce que nous défendons depuis plus de 20 ans. La nécessaire médiation scientifique, la connexion entre sciences et société, recherche et citoyens et plus encore l’indispensable développement de l’esprit critique se sont ainsi vus propulsés sur le devant de la scène. Si notre action a été entravée par cette crise d’ampleur, cette dernière nous offre aussi un tremplin formidable pour revendiquer plus que jamais le caractère fondamental (oserais-je dire « essentiel » ?) de notre mission. 

Plus que jamais, des ruptures de taille reconfigurent notre rapport au monde. Crise démocratique et climatique, tournant numérique, développement technologique… tous et toutes, jeunes ou moins jeunes, avons à repenser notre positionnement.

Nous continuerons évidemment à porter la culture scientifique, avec ferveur
et détermination, aux côtés de toutes celles et ceux qui savent combien tous les efforts doivent être consentis dans les périodes qui semblent les plus difficiles. Relevons ce défi, c’est à nos publics que nous le devons.

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