Éclat(s) de vie, le patrimoine immatériel à l’Écomusée de l’Avesnois

Culture industrielle : où en est-on ?

L’Avesnois fut autrefois le cœur battant des industries du textile et du verre, un endroit où le bruit des métiers à tisser et des fours des verriers résonnaient à travers les paysages, un endroit où la force de travail des ouvrier·ères tissait la trame d’un passé glorieux mais d’un présent difficile. Ainsi, des générations entières d’hommes et de femmes ont consacré leur vie à la production de verre ou de textile, façonnant ainsi l’identité et l’économie de la région. Cependant, le temps a passé, et les usines qui étaient autrefois florissantes ont progressivement fermé leurs portes. Les machines ont été démantelées, les bâtiments ont été abandonnés ou détruits, les ouvrier·ères ont été licencié·es, mais la mémoire de cette époque et le dévouement de ces ouvrier·ères persistent encore aujourd’hui, ancrés dans les récits encore trop peu sauvegardés et valorisés.

L’Écomusée de l’Avesnois, en tant que reflet de ce territoire, est implanté au cœur de deux anciens sites industriels emblématiques. La filature Prouvost-Masurel à Fourmies, renommée pour sa production de laine peignée, et la verrerie à Trélon, spécialisée dans la fabrication de bouteilles de champagne puis de flaconnages, sont des témoins vivants de cette histoire industrielle. Outre les bâtiments, les infrastructures techniques et les objets, l’Écomusée conserve un important fonds de témoignages d’ancien·nes ouvrier·ères. Ces récits, loin d’être de simples anecdotes, offrent une compréhension profonde de l’évolution des industries, de leurs techniques et de leur impact sur les individu·es et les communautés.

 

Un projet de numérisation des archives immatérielles

Dans de nombreux cas, la présentation du patrimoine industriel et technique peut sembler impersonnelle, dépourvue de la profondeur qu’une exploration authentique des récits individuels peut apporter. Dès ses débuts, l’Écomusée de l’Avesnois a pris conscience de l’importance de collecter et de préserver la mémoire des ouvrier·ères. Ainsi, il conserve dans ses archives un vaste fonds immatériel, comprenant des témoignages audios, audiovisuels et écrits. Ce fonds est remarquablement diversifié, tant dans ses thèmes que dans la forme des supports.

Dans ces archives sont présents des recueils de témoignages décrivant la vie personnelle et professionnelle des ouvrier·ères des industries emblématiques de l’histoire de la région, et notamment des industries textiles et verrières. Tous ces éléments constituent aujourd’hui une source d’informations inestimable pour l’enrichissement des connaissances scientifiques et techniques. Ces archives permettent, par exemple, de redécouvrir les gestes et techniques des artisan·es verrier·ères qui, sans cette documentation, auraient potentiellement été perdus, ou encore de retracer la vie des individus ayant façonné l’histoire de ces industries et de leur reconversion. Outre l’aspect technique, les témoignages permettent également de contextualiser les conditions de travail, ainsi que des procédures spécifiques en présentant une gamme de points de vue et d’opinions potentiellement divergents, sur par exemple les formations ou encore la mise en place du Bureau des normes dans le secteur des industries textiles. Aujourd’hui, le défi posé par ces archives réside dans leur valorisation par le biais de la numérisation. Celle-ci pose de nombreux défis techniques et comporte des contraintes, telles que la conservation du matériel des divers supports. Depuis le début des années 1970, les supports d’enregistrement ont connu de nombreuses évolutions, se traduisant aujourd’hui par une grande diversité de formats présents dans les archives de l’écomusée, de la VHS au format U-MATIC, du Super-8 au format Betacam, auxquels s’ajoutent les enregistrements sur cassettes audio. Des programmes d’assistance fournis par des structures spécialisées dans la numérisation existent, mais peuvent s’avérer coûteux. Néanmoins, des solutions adaptées aux petites structures culturelles sont envisageables. Des outils technologiques tels que les cartes de conversion permettent une consultation et une numérisation simplifiées de ces témoignages sur ordinateur. Depuis 2023, l’écomusée a installé une salle de consultation et de numérisation, lui permettant de consulter tout en enregistrant une version numérique de la plupart de ces archives. Cet outil offre aujourd’hui la possibilité de sauvegarder ce patrimoine immatériel et à terme de le mettre à disposition du plus grand nombre.

 

Vers une nouvelle mise en récit

Dans les années à venir, l’écomusée aspire à un enrichissement significatif de son parcours permanent en intégrant de manière permanente sa collection de témoignages, car à ce jour, l’objet tend trop souvent à se suffire à lui-même et n’intègre pas assez un discours anthropologique, autrement dit l’humain, l’ouvrier·ère. Cette initiative vise à offrir aux visiteur·ses une expérience immersive et complète, où l’histoire matérielle et immatérielle entrent en résonnance.

L’incorporation de témoignages au sein de l’espace d’exposition offre au public une expérience plus immersive, dans laquelle les individus et leurs récits font écho aux objets présentés. Ces témoignages insufflent une vie supplémentaire aux artefacts, leur conférant cohérence, présence et âme, et rendent l’expérience plus riche en émotions. Les visiteur·ses peuvent ainsi s’identifier aux témoins ou du moins ressentir une empathie à leur égard, ce qui rend l’expérience plus humaine et accessible, tout en renforçant le lien entre le patrimoine présenté et son public. De plus, intégrer des témoignages dans les parcours d’exposition offre l’opportunité de repenser la manière dont nous préservons et exposons la mémoire ouvrière, de reconnaître les nuances et les défis de cette histoire susceptible de résonner avec les préoccupations contemporaines, et ainsi d’éclairer notre compréhension des événements actuels et futurs. Pour ce faire, il est nécessaire de trouver un équilibre subtil entre la commémoration des expériences passées et la mise en lumière des enjeux complexes qui continuent de façonner notre société aujourd’hui.

En résumé, l’Écomusée de l’Avesnois joue un rôle essentiel dans la préservation du patrimoine matériel et immatériel de la région. À travers la numérisation et l’intégration des témoignages des ouvrier·ères, il offre une vision vivante du passé tout en éclairant les enjeux contemporains. En préservant la mémoire collective, l’établissement invite à une réflexion sur l’évolution sociale et économique de la région.

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