Une carrière scientifique au cœur de la physique, une passion pour la scène et une volonté de transmission ont conduit Elisabeth Bouchaud à créer un savoureux mélange entre science et théâtre.
Vos études vous ont conduite à devenir chercheure, comment définiriez-vous la place de la science dans votre vie ?
La science a tenu une place majeure dans ma vie pendant longtemps, et ce depuis mes classes préparatoires, puisque c’était mon activité principale. Mais très tôt, et jusqu’au bac, les mathématiques m’ont fascinée, j’en étais pour ainsi dire amoureuse ! J’ai découvert cette passion très jeune, elles m’ont permis une évasion intellectuelle qui ne m’était donnée jusque-là que par la lecture, ma première et éternelle passion.
En classes préparatoires, j’ai commencé à trouver les mathématiques trop abstraites, et je leur ai préféré la physique. En physique, vous êtes ramené à la réalité par l’expérience. Les ordres de grandeur ne pardonnent pas ! Et au fond, je crois que j’ai besoin de garder un lien fort avec le réel, parce que je suis une rêveuse. C’est un peu – quoi que différemment – la même chose avec le théâtre. La scène est cet endroit particulier où la réalité s’arrête et où le rêve commence. C’est une frontière. Si on a du mal à savoir qui l’on est dans la vie réelle, au théâtre c’est beaucoup plus facile : on peut mesurer la distance qui nous sépare, nous, actrice, de notre personnage.
Comment le théâtre a-t-il pris une place si importante pour vous ?
Le théâtre est entré dans ma vie par la littérature. J’ai toujours été passionnée par la langue. J’avais pour le français la déférence d’une immigrée, même si c’était ma langue maternelle. Alors, quand j’ai commencé à lire Molière, Racine et Corneille, j’ai été bouleversée. Puis j’ai joué, au lycée, dans des pièces mises en scène par mes professeures de français. Comme j’étais dans un lycée de filles, je jouais d’ailleurs uniquement des rôles d’homme, les seuls qui m’intéressaient vraiment dans le théâtre classique.
Je n’ai jamais osé m’inscrire à un cours avant ma troisième année à l’École centrale de Paris. Je viens d’une famille modeste, je n’aurais pas pu vivre en ne sachant pas ce que je gagnerais à la fin du mois. Je me suis inscrite au conservatoire de Bourg-la-Reine/Sceaux, où j’ai eu la chance de travailler avec deux extraordinaires professeurs, Cécile Grandin et Jean-Pierre Martino. Ils ont achevé de rendre irrésistible le désir de monter sur scène !
J’ai donc fait depuis du théâtre en pointillés, en parallèle de ma carrière scientifique : j’ai joué quand je pouvais et j’ai écrit des pièces. Et il y a cinq ans, j’ai décidé de donner plus de place au théâtre, en faisant moins de physique. C’est passé par le rachat du bail de La Reine Blanche.
La reprise du théâtre de La Reine Blanche a été un tournant important. Vous avez souhaité consacrer une part de la programmation à la science en faisant le choix de proposer et produire des œuvres à dimension historique montrant le contexte de la construction de la connaissance. Est-ce pour vous une manière de partager votre passion des sciences ?
Oui, je crois qu’il faut vraiment partager la culture scientifique avec le plus grand nombre. Toute la culture, bien sûr, la science aussi. Pour moi, la culture est à la fois une et plurielle. Il y a une culture scientifique indissociable de la culture générale. Elle permet de connaître de grandes joies intellectuelles et elle donne des clés pour décrypter le monde. Dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, c’est encore plus important, car nombre de questions sociétales (climat, énergie, procréation…) exigent qu’on ait au moins un peu de connaissances scientifiques pour être un citoyen lucide.
Le point de vue historique est intéressant à plusieurs titres : il montre comment les idées naissent, font leurs preuves et demeurent, mais il permet aussi de démystifier l’image du scientifique, toujours mâle, austère, voire aseptisé… La science qui se pratique dans les laboratoires, ce n’est pas du tout ça ! La science est joyeuse, sensible, et requiert une sacrée dose d’imagination. Elle requiert aussi de la rigueur, de la patience, de l’humilité. Comme l’art !
Aujourd’hui, vous avez fait le choix de quitter votre activité de recherche. La décision s’est-elle imposée d’elle-même, ayant trouvé, au travers de cet engagement pour le théâtre, une manière de partager votre première passion ?
Oui, bien sûr, c’est une façon de partager mon amour pour la science qui me permet aussi de vivre pleinement celui que j’ai pour le théâtre. J’ai passé quatre années à jongler entre le laboratoire et La Reine Blanche. C’était compliqué. Maintenant que j’ai repris un autre théâtre parisien, Les Déchargeurs, que j’en ouvre un en Avignon, Avignon-Reine Blanche, et que j’ouvre également, avec mes complices Florent Azoulay et Xavier Gallais, une école de formation de l’acteur, c’est devenu impossible. J’ai du mal à admettre mes propres limites, mais parfois, la réalité se rappelle à moi…