Identité industrielle et médiation des enjeux de transition – Le « Jeu à la nantaise »

La CSTI contemporaine : transitions et lien aux territoires

L’industrie nantaise a évolué depuis les années 1970-80 avec la fermeture de nombreux sites. Elle est toujours intégrée au territoire, sous des formes multiples. La métropole et le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) Pays de la Loire sont au nombre des acteurs qui se sont engagés à accompagner la transition écologique et sociétale auprès des citoyens, des collectivités et des entreprises. La culture scientifique, technique et industrielle (CSTI), portée politiquement, est à même d’aborder ces enjeux traversant l’ensemble des composantes de la société. Pour nos deux structures, l’objectif revient à mettre en œuvre des dispositifs de médiation qui appréhendent, donnent à éclairer, les questions socialement vives, notamment en aiguisant le regard sur l’histoire de la technique et de l’industrie et leur devenir, face aux enjeux climatiques et à l’épuisement des ressources.

Xavier Noël : Ludivine peux-tu pour commencer présenter ce qui est à l’œuvre au travers du pôle de CSTI de Nantes métropole ?

Ludivine Vendé : Sur le territoire nantais, la CSTI est portée par une multitude d’acteurs : institutions, associations, sociétés savantes… Depuis de nombreuses années, il y a eu différentes démarches pour fédérer ce réseau et faire reconnaître la CSTI au sein des politiques publiques, notamment culturelles. Le pôle de CSTI qui sera à terme structuré en association en est le résultat. Il a été lancé en 2015, porté par un chef de projet, Philippe Guillet directeur du Muséum, et par un élu, Gildas Salaün. Depuis 2020 une élue de la métropole, Aziliz Gouez, est déléguée à la CSTI. Avec elle, et le directeur général à la culture de Nantes métropole, nous travaillons à la mise en place d’une feuille de route dédiée.

Un des axes forts sera de valoriser le lien entre l’histoire industrielle de notre territoire et les enjeux les plus actuels. Le but est que les citoyens s’approprient les sujets concernés, les expérimentent sur leur lieu de vie. Le pôle est donc là pour rassembler et fédérer le réseau d’acteurs : ceux du patrimoine et ceux de la médiation. Comme acteurs du patrimoine citons la Maison des Hommes et des techniques, mais aussi et la Mission de Valorisation du Patrimoine scientifique et technique contemporain (Patstec) qui est portée par le Cnam et Nantes Université. Cela contribue à rendre plus visible auprès du public et aussi auprès des décideurs en quoi consiste la CSTI. C’est une voie aussi pour que les entreprises soient plus proches de la CSTI. A noter enfin que la métropole contribue ainsi à ce que la région des Pays de la Loire soit un territoire de sciences et des techniques inscrit dans la stratégie régionale de la CSTI.

Le fait que le pôle de CSTI soit porté par le Muséum illustre l’intérêt de prendre en compte ensemble les questions relatives aux limites planétaires et à la perte de la biodiversité. Les limites planétaires et l’épuisement des ressources sont d’ailleurs au cœur des actions de médiation du Cnam Pays de la Loire.

XN : Historiquement, le Cnam déploie une pédagogie d’appropriation de la culture scientifique, technique et industrielle favorisant l’émancipation. Et effectivement la connaissance du patrimoine industriel est une voie d’appropriation pertinente pour saisir un certain nombre d’enjeux actuels, puisque nous devons porter une attention soutenue à la circulation des technosciences dans la société et au traitement des controverses qu’elles engendrent. Dans notre Pôle régional Sciences-Société nous sommes sollicités pour accompagner les transitions, contribuer aux réflexions de citoyens, de collectivités et d’entreprises sur les futurs possibles dans nos sociétés, qui sont technologiques qu’on le veuille ou non. C’est pourquoi nous avons conçu des médiations ludiques fondées sur notre rapport à la technologie : est-on pro high tech, pro low tech (ou right tech), ou pro no tech ? Autrement dit, quelle est notre perception du rôle que peut jouer la technologie pour répondre aux grands enjeux de société ? Cela nous permet, non pas de faire de la prospective à partir de cette entrée, mais plutôt de la nourrir, en travaillant sur des manières de penser les futurs, en favorisant les processus d’idéation en vue de confronter des visions opposées fondées sur notre rapport à la technologie. S’agissant de la prospective, avec de telles approches pédagogiques, nous n’appliquons pas la méthode des scénarios mais nous cherchons à favoriser l’identification de déterminants contrastés. Parfois nous amorçons cette démarche par des questions de débat comme : « la technologie sauvera l’humanité… ». On est là pour être dans le débat et non dans la justification ou la promotion de l’innovation. C’est toute la question de l’acceptabilité sociétale des projets industriels qui est en jeu et il se trouve que notre public en ce domaine est aussi le monde industriel qui vient nous solliciter.

LV : A ce sujet il faut rappeler quelques composantes industrielles de notre territoire : l’aéronautique, l’agro-alimentaire, la conserverie, la métallurgie, la chimie… La conserve est un bon exemple d’un objet technologique patrimonial du quotidien, qui peut nous permettre d’aborder un sujet très actuel : le do it yourself est évidemment une pratique pertinente mais il est utile aussi de rappeler dans le même temps l’importance de quelques précautions sanitaires à prendre, fondées sur des apports scientifiques et de souligner que la conserverie industrielle, qui est ancienne  et donc inscrite dans notre patrimoine industriel, permet de manger des produits hors saison et de garder des qualités gustatives et nutritives.

XN : Au titre des composantes industrielles, mentionnons aussi le pôle européen des technologies de fabrication[1] , qui se consacre à l’exploration des réponses à apporter face aux enjeux climatiques, d’indépendance énergétique et de souveraineté industrielle. Ce pôle défend le concept d’industrie 5.0 « qui va bien au-delà du pur changement technologique car il s’agit de faire en sorte que la production respecte les limites de notre planète »[2]. Cela implique pour ses concepteurs « que l’on s’interroge sur ce que la technologie peut faire pour nous au lieu de nous demander ce que nous pouvons faire avec elle ». Nos médiations scientifiques et techniques sont bien dans ce registre quand on se préoccupe de redirection écologique, ou de la société de la maintenance (le care industriel de Pierre Caye)[3] plutôt que de l’innovation à tout prix.

LV : Cela permet en effet de concilier l’approche territoriale avec une vision macroscopique. Nous bénéficions d’une culture technique et industrielle bien ancrée avec un écosystème de médiation scientifique et technique dynamique. Notre histoire industrielle a été marquée par une période d’oubli, au profit d’une politique culturelle artistique. Certaines friches ont été réinvesties, transformées en lieux culturels, le patrimoine industriel réinterprété en objet d’art. Cela a d’une certaine façon sauvegardé une partie de notre histoire. Et à notre tour de la « réinvestir » et la révéler, pour mieux comprendre aujourd’hui et imaginer demain.

XN : Aujourd’hui nous sommes à une nouvelle étape : quand on parle du « TI » pour Technique et Industriel, et c’est inévitable quand on nous sollicite sur la 5G, la vaccination, la qualité de l’air, les choix énergétiques, etc. : il s’agit de sujets qui concernent directement le territoire, au plus près du quotidien des habitants, la CSTI étant un support de mise en débat. D’ailleurs, la chaire partenariale du Cnam, Territoires durables et transitions énergétiques, sera avec tous ses partenaires un lieu de diffusion de culture scientifique sur les avancées de la recherche énergétique. Pour ce qui concerne la dimension subjective de notre rapport à la science et à la technique elle a évidemment toute sa place et nous cherchons d’ailleurs à faire en sorte qu’elle s’exprime dans une forme pédagogique qui associe subjectivation, objectivation (apport de connaissances là où c’est nécessaire) et délibération.

 

Notes

[1]EMC2 : https://www.pole-emc2.fr/

[2] Ibid

[3] Pierre Caye, Durer. Éléments pour la transformation du système productif, Les Belles Lettres, 2020

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