En 1999 lors de la création de La Rotonde au sein de l’École des Mines de Saint-Étienne, un des enjeux stratégiques était de positionner la structure dans l’écosystème local et de participer activement à la vie culturelle de son territoire.
24 ans après, La Rotonde est reconnue comme un acteur majeur des territoires de la métropole et du département et a su, à travers le temps et les projets, construire et asseoir une dynamique collective autour de la découverte des sciences.
Mais le chemin est sinueux et complexe et demande des focales à longue distance pour une prise de recul et d’analyses critiques. Comment la culture scientifique prend-elle sa place dans un territoire donné ? Son animation et sa présence contribuent-elles au dynamisme ? Le « faire ensemble » oui, mais pourquoi et comment ?
Une des forces de la culture scientifique, technique et industrielle est sa capacité à irriguer de nombreux sujets de société et rejoindre ainsi des problématiques portées par différents secteurs : éducation, culture, tourisme, formation, économie sociale et solidaire, industrie, enseignement supérieur, recherche….
Un centre de sciences a dans son ADN le nécessaire besoin de faire le lien entre ces grands domaines et créer des ponts entre les différents acteurs d’un territoire. Ainsi, la Rotonde peut travailler à la fois avec un cinéma, une école qui fait un projet sur le Blob, un centre pour femmes de quartier qui cherche une activité culturelle d’empowerment, etc. Tout est sciences et permet de faire des sciences.
Mais cette force est aussi une faiblesse. Comment dès lors ne pas être partout et nulle part à la fois ? Comment éviter le saupoudrage superficiel sur l’ensemble d’un territoire ? Un des enjeux est là, lutter contre la dispersion avec le leitmotiv d’être « transversal et de générer un engrenage de coopération culturelle ».
Depuis quelques années, La Rotonde a fait le choix de se positionner sur des thématiques précises telles que la santé et intégrer l’écosystème local qui est dense, mais insuffisamment tourné vers la culture. C’est une de nos clés pour mener des actions de fond avec une force de frappe maîtrisée et dirigée, qui a un impact profond et de longue durée. Ainsi La Rotonde intègre le plan Cancer de la ville de Saint-Étienne, porte des collaborations avec le Centre hospitalier universitaire et des réseaux de santé thématiques. Cette immersion dans ces écosystèmes déjà très bien organisés nous offre la possibilité d’apporter nos compétences et notre volonté de parler santé aux citoyens avec une approche différente et complémentaire. La Rotonde joue ainsi pleinement un de ses rôles : faire du lien entre les habitants d’un territoire, ses ressources et ses acteurs.
Autre exemple, autre stratégie : le projet de l’Académie de la médiation porté par La Rotonde et soutenu par Saint-Étienne Métropole donne la possibilité aux médiateur·ices culturel·les, chargé·es de projets du territoire, d’entrer dans un cycle de formation professionnel autour de la grande thématique de l’inclusion. La Rotonde a su, sur ce projet, se positionner comme la structure tête de réseau, en capacité de porter pour le collectif ce projet et agréger différentes structures culturelles (art moderne, design, astronomie, culture industrielle, technique, …). Plus qu’un engrenage qui participe activement à la dynamique de territoire, La Rotonde est parfois la machine qui entraîne et articule l’ensemble.
Comment arriver à gagner cette légitimité et être reconnu sur un territoire ? Ces exemples sont le résultat d’années de collaborations, de confiance avec les collectivités qui reconnaissent les savoir-faire et l’exigence de la structure, notamment celle de fédérer des équipements différents autour d’une thématique/préoccupation commune. Rien n’est acquis et cela demande une implication de chaque instant, une présence stratégique et politique dans la vie territoriale. Si aujourd’hui la reconnaissance est là, elle a demandé des engagements forts sur le long terme avec passion, énergie et persévérance.
Des lieux totems et la capacité à quitter nos murs.
Nous avons su trouver notre place dans l’écosystème global. Mais qu’en est-il de nos actions propres, directement en lien avec le public ?
La Rotonde, c’est aujourd’hui et depuis 2021, l’animation active de deux lieux culturels distants de 5 kilomètres et proposant deux modes d’immersion dans les sciences.
Pourquoi ouvrir un second lieu ? Comment être accueilli dans un nouveau quartier ? La volonté n’était nullement de dupliquer notre « Soucoupe » sur une autre partie de la ville, mais bien d’avoir deux lieux complémentaires et de proposer nos actions dans un autre secteur de la ville bien différent de notre lieu historique.
Ouvrir un nouveau lieu culturel aurait été d’une complexité autrement plus importante sans avoir la garantie d’un pilote déjà connu et reconnu par les collectivités : La Rotonde.
Ainsi, un des premiers critères de réussite fut la co-construction de ce projet ambitieux avec la ville de Saint-Étienne et la Métropole, deux partenaires majeurs qui ont su avoir la vision politique de soutenir ce projet et valider l’ambition de créer plus de liens entre sciences et société avec un projet en rupture et novateur. Tout ceci a pu aussi voir le jour, car La Rotonde a su, à travers les années, inscrire un climat de confiance et de collaboration constructive avec les acteurs locaux et se positionner comme un partenaire sur qui « on peut compter ». Le soutien pluriannuel par convention d’objectifs et de moyens accordés par l’ensemble des institutions locales, départementales et régionales montre la confiance et l’engagement qu’ils portent auprès de la structure. Adossez cela à un vaste programme d’investissement national porté par l’Etat autour de la CSTI et vous voyez naître un projet ambitieux : Explora.
Explora a ainsi vu le jour en mai 2021. Il a connu des rebondissements dans sa création et son pilotage, mais a tenu bon, pour proposer aujourd’hui un lieu novateur, innovant et faisant date chez les publics.
Explora est avant tout un lieu inscrit dans un quartier prioritaire de la politique de la ville de Saint-Étienne. Il s’inscrit dans une volonté stratégique de redynamiser un territoire en le rendant plus attractif, visible et avec une dynamique de création positive. Explora a donc posé ses valises dans le quartier Tarentaize Beaubrun Couriot, dans un bâtiment entièrement rénové appartenant à l’histoire de l’exploitation de la Mine puisqu’il était le « garage de Basse Ville » réparant les véhicules intervenants sur le site minier. Le lien historique entre le bâtiment d’Explora et notre Soucoupe, située dans l’enceinte de l’école des Mines ouverte il y a plus de 200 ans pour former les ingénieurs des mines, en dit long sur l’origine des différences entre les habitants de nos deux quartiers respectifs.
Explora et une partie de l’équipe Rotonde ont installé leurs projets et compétences dans ce quartier, pour tout d’abord comprendre les mécanismes et les habitudes sociologiques, éducatives, économiques et culturelles de ce nouveau territoire. Une grande phase d’appropriation, de découverte, de rencontres a été menée pour faire coïncider notre projet aux attentes des usagers (bénéficier d’un lieu ouvert, accessible financièrement, inclusif, où l’on s’amuse, en lien avec les programmes scolaires…) et en amenant la coloration de nos valeurs, notre façon de faire et nos ambitions à ce grand projet.
Explora a pour premier voisin la mosquée du quartier, mais aussi une salle des fêtes, un grand parc, une association l’Etabli qui accueille ses membres pour utiliser d’impressionnantes machines de découpe bois, un CFA (centre de formation et apprentissage), un musée de la mine, une médiathèque, une maison de l’emploi, un espace artistique, des centres sociaux, en résumé une vie de quartier déjà fournie. Cela aurait été une erreur grossière d’arriver en pensant dupliquer ce que l’on connaissait déjà et en proposant directement une programmation culturelle aux habitants du quartier. Nous sommes loin des pratiques culturelles de nos habitués du Cours Fauriel de notre Soucoupe.
S’implanter dans un quartier prioritaire
Avant même l’ouverture d’Explora, nous avons pris le parti d’être sur le terrain pour apprendre à connaître le quartier. La démarche nous a paru alors évidente : commençons, en bons voisins, par nous présenter pour apprendre à nous connaître. Pendant de longs mois, nous avons ainsi fait le tour des structures du quartier et fait visiter le chantier, puis le bâtiment Explora, afin de poser les fondements de notre implantation. L’accueil a été chaleureux et nous sommes pour notre part arrivés avec curiosité et intérêt, en ayant conscience que les structures du quartier étaient les seuls réellement à même de nous faire prendre conscience du contexte de vie des habitants. Une fois les présentations faites, l’intérêt était là pour chacun des acteurs. Restait alors à le concrétiser pour qu’Explora commence son maillage avec son public le plus proche. Les écoles, les centres sociaux et les associations nous ont alors fait confiance et nous avons mis en place des animations Explora dans leurs murs. L’objectif était triple : commencer à nous faire connaître par leur public, en les touchant sur leurs lieux de fréquentation, tester nos animations et travailler ensemble pour fortifier nos interactions avec les partenaires. Cette phase a été fondamentale pour commencer de bonnes relations. La réalité est qu’elle est loin d’être terminée, c’est un travail permanent : les structures du quartier ont un très fort roulement du personnel. Les directions et les équipes changent et il nous faut à chaque fois nous présenter, convaincre et faire ensemble. Mais ce travail porte ses fruits et en vaut la peine !
Une stratégie de conquête de nouveaux publics
La Rotonde à travers ses deux lieux culturels a la chance et le plaisir de recevoir de nombreux publics fidèles et enthousiasmés par l’immersion dans la science et la découverte. Mais se contenter de cette dynamique serait selon nous une faute sociale et culturelle.
Le « allez vers » est une stratégie de développement majeure pour la structure et s’inscrit dans une dynamique de conquête de nouveaux publics, éloignés de la science et de la culture.
L’arrivée d’Explora dans le paysage de La Rotonde a d’ores et déjà changé notre base publics avec l’arrivée naturelle des habitants du quartier et des quartiers proches découvrant un nouveau lieu et adhérant aux propositions faites. Être au plus proche des publics est un atout majeur ; les collaborations nombreuses avec les centres sociaux du quartier déjà implantés depuis de nombreuses années ont été des vecteurs de réussites. La participation au programme Cité éducative a aussi permis de consacrer du temps et des moyens en ciblant prioritairement les habitants proches et créant ainsi une dynamique très positive.
« Vous êtes ici chez vous » traduit notre volonté de positionner les publics dans les meilleures dispositions possibles et que leur première visite déclenche une envie motivante de revenir nous voir.
Donner l’importance qu’il mérite « aux hors les murs »
Animer des lieux culturels d’accueil du public offre de nombreux avantages, mais cela ne doit pas occulter le nécessaire besoin de développer le « hors les murs » et participer ainsi à une dynamique de découverte pour celles et ceux qui ne viendront jamais (pour l’instant) de leur propre chef dans un lieu de science.
Ainsi l’équipe de La Rotonde s’engage dans des évènements portés par d’autres (Fête du livre, Fête du quartier, kermesse, Journée des plantes..) et contribue à la vitalité du territoire en apportant une coloration science à chaque action. Elle fait le choix d’engager un partenariat avec le plus grand centre commercial de la ville pour aller les samedis après-midi proposer des actions de médiation scientifique ludique et motivante dans les allées du « retail park » et ainsi « attraper » quelques sourires, curiosités des passants qui enchaînent les magasins. Nos discours et actes sont simples, directs : nos lieux, nos actions sont inclusives, la notion de plaisir est forte, la curiosité règne en maître et ils sont faits pour vous sans aucun doute.
Ces actions contribuent fortement à la diversification de nos publics et nos chiffres de fréquentation sont des marqueurs d’analyses intéressants.
Public par public, famille par famille, enfant par enfant….nous nous attelons à donner envie à la rencontre.
Des envies dans une réalité économique
Le chemin est engageant et motivant, mais il est aussi sinueux et pointe des difficultés, des freins, des incompréhensions que nous tentons pas à pas, modestement de lever, faciliter ou adoucir.
Sur une partie plus professionnelle, animer deux lieux culturels distants entraîne des problématiques managériales, de sentiments d’appartenance, de dynamique collective. Nous apprenons en marchant et modifions au fil du temps nos pratiques pour tendre vers des solutions plus adaptées. Le collectif doit être la clef, le dire est déjà un premier pas, reste à le faire, l’incarner et le porter.
La réalité économique locale et nationale nous rappelle aussi de modérer nos ambitions quand notre volonté est d’accroître ces interactions, développer les échanges et porter des projets dans lesquels nous croyons. Modérer quand nos publics nous demandent l’inverse ou quand les réservations annoncent complet, c’est pour nous une frustration difficile à gérer et qui peut à terme casser une dynamique.
Enfin le vivre ensemble dans un écosystème local déjà bien établi demande des efforts permanents, d’écoute, d’échanges, de compromis et de propositions fédératrices ; chacun étant potentiellement persuadé que son angle de vision est partagé.
C’est une vie collective culturelle qui fait sens malgré ces freins et qui nous donne envie d’avancer ensemble pour des projets partagés en toute lucidité.
Modestement, mais avec volonté et engagement, nous construisons collectivement pierre après pierre un projet pour notre structure avec une envie redoutable de participer à créer ces liens essentiels entre les publics, les acteurs et le monde qui nous entoure.
