Si la notion de tiers-lieu est plus connue et plus grand public actuellement, il n’en reste pas moins que la question d’une création ex-nihilo d’un tel lieu ou la transplantation d’un lieu existant sur un autre territoire sont posées ponctuellement. Une demande qui interroge La Licorne : sommes-nous un modèle reproductible ? Et en ce cas, comment le reproduire ? Comment passe-t-on d’une association de parents d’élèves bénévoles à une association d’administrateurs bénévoles employeurs de six salariés ?
1er semestre 2006, Saint-Germain-Lembron (63-Puy-de-dôme) : la menace d’une fermeture de classe primaire pousse des parents d’élèves à se mobiliser pour s’y opposer. Cette mobilisation crée des liens et se poursuit en demandant à la municipalité une salle pour accueillir les enfants de moins de trois ans et leurs parents afin que tous se réunissent plusieurs fois par semaine autour de jeux et de café. L’association La Licorne dépose ses statuts auprès de la sous-préfecture en octobre de la même année.
Dès le départ, il s’agit d’une association d’éducation populaire qui souhaite « proposer des activités ponctuelles ou régulières et des animations socio-culturelles permettant à une population variée d’accéder à des pratiques artistiques, culturelles, civiques, sociales ou intellectuelles ». Il s’agira aussi de « développer des actions permettant de soutenir le lien enfants/adultes ». Autre élément déterminant dans cette construction, l’une des bénévoles de l’association s’est installée depuis peu sur la commune. Ses deux filles sont jeunes. Volontairement, elle ne travaille pas. Et comme sa formation et ses premières expériences professionnelles l’ont conduite à exercer dans des structures type maison des jeunes, elle initie nombre de projets avec un œil professionnel.
Dès l’année suivante, des activités hebdomadaires sont proposées aux enfants et aux adultes en veillant à ne pas concurrencer des propositions déjà existantes sur la commune : de la pratique instrumentale en passant par l’éveil musical ainsi que des pratiques culturelles, linguistiques ou liées au bien-être. L’objectif étant seulement l’équilibre budgétaire, une péréquation entre les différents ateliers permet de soutenir des activités nouvelles ayant besoin de plus de temps pour trouver leurs publics. De même, comme le territoire est rural (classé ZRR -Zone de Revalorisation Rurale- actuellement), le coût de ces ateliers est calculé au plus juste afin de permettre au plus grand nombre d’y inscrire ses enfants. Après ces ateliers, l’association accueillie, dès le départ, dans des locaux communaux, ouvre une salle d’exposition. Annuellement, quatre artistes présentent leurs œuvres et très vite, un partenariat se construit avec le Rectorat : les professeurs des écoles rencontrent l’artiste et une conseillère pédagogique chargée des arts plastiques. Les écoles du territoire viennent voir les œuvres et exposent en fin d’année leurs travaux inspirés de leurs visites.
L’association s’est ensuite professionnalisée en recrutant d’abord une animatrice puis une secrétaire-comptable en contrats aidés ; elle imagine une Semaine du livre Jeunesse ainsi qu’une librairie éphémère tenue par des bénévoles et achalandée avec des libraires clermontois d’abord puis issoiriens ou brivadois. En octobre prochain, La Licorne fêtera sa 15ème semaine du livre Jeunesse.
En 2015, au sein même de ses locaux, et toujours avec le soutien de la municipalité, l’association ouvre une médiathèque, en veillant à ce que l’accès à cet espace dédié aux livres notamment, comme aux autres espaces, se fasse par l’unique porte d’entrée. Ceux et celles qui pousseront la porte pour une raison ou une autre sont incités ainsi à découvrir les autres espaces. Deux médiathécaires en contrats aidés sont recrutés. A ce moment, l’association gère une salle d’exposition, un espace salon – la toute première salle dans laquelle se sont réunis les premiers membres -, une salle pour les activités régulières au 1er étage du bâtiment municipal. Et au rez-de-chaussée, un espace concert/spectacles, un espace accueil et une médiathèque.
L’annonce inattendue de la fin des contrats aidés représente une véritable menace même si ceux-ci l’étaient déjà puisque les salariés embauchés dans ce cadre pouvaient quitter leur poste du jour au lendemain ou presque. Les quatre salariés en contrats aidés signent des CDI. La commune s’engage. L’API (Agglomération Pays d’Issoire) aussi, même si les oppositions politiques sur d’autres sujets rendent les engagements des différents partenaires de l’association difficiles. Pendant longtemps, la mère de famille bénévole continue d’œuvrer dans l’association en vraie professionnelle, en occupant un poste de coordinatrice. La mairie lui confie pendant trois ans une mission qui lui permet de poursuivre son engagement dans l’association. Mission qui ne se sera pas reconduite. La présidente en poste, jeune retraitée, prend une partie de la charge de travail assurée jusqu’alors par la coordinatrice. Les 4 salariées se répartissent les autres dossiers. Ce coup du sort va conduire, de fait, l’association à adopter une gouvernance plus horizontale et partagée. Difficile après cette expérience d’imaginer embaucher un.e coordinateur.trice et d’ôter des responsabilités parfaitement assumées finalement par les salariées qui, au départ, n’avaient rien demandé. Nouveau recrutement pendant la pandémie d’une salariée s’occupant de gestion administrative et comptable. Un conseiller numérique rejoint l’équipe. Comme un espace numérique avait été imaginé, la proposition de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est saisie pour ouvrir un lieu où l’on pourra répondre à la fracture numérique.
Ce tiers-lieu ne s’est pas construit ex-nihilo en imaginant que l’absence ou le manque de liens entre des publics différents imposait la création d’une association dont les statuts puissent répondre à cette problématique, ni parce que la culture et les pratiques culturelles étaient éloignées des habitants du territoire. L’A75 qui relie Béziers à Clermont-Ferrand permet au territoire de Saint-Germain-Lembron de rejoindre Issoire, sous-préfecture, en plus ou moins dix minutes et Clermont-Ferrand en une demi-heure. Il ne s’est pas construit non plus en réaction à des politiques culturelles ou sociales descendantes.
Son évolution est d’abord faite de rencontres, de partenariats, des savoirs et compétences complémentaires mais aussi de décisions institutionnelles saisies comme des opportunités pour réagir, repenser, modifier la structure existante.