La Martinique, un contexte scientifique, technologique et industriel particulier

Le 12 février 2024

Par: Christophe Simonin, directeur du Carbet des Sciences, CCSTI de la Martinique

De: Carbet des sciences – CCSTI de la Martinique

bulletin Martinique territoire

Ce contexte martiniquais est tout d’abord marqué par une pression anthropique très forte sur le milieu naturel, provoquant non seulement sa fragmentation mais aussi sa dégradation. Le retard de développement dans de nombreux domaines par rapport à la France hexagonale tend à se combler ces dernières années mais les problématiques auxquelles la recherche et la diffusion de ses travaux est confrontée sont extrêmement diverses et variées. De plus, ces problématiques nécessitent généralement des recherches spécifiques à la Martinique et autres régions ultra marines.

Historiquement, les domaines de recherches liés aux caractéristiques géographiques ont émergé spontanément faisant de ces territoires des laboratoires naturels (insularité, climat tropical ou subtropical…). En outre, adossées à la géographie – et à l’histoire –, les particularités économiques et humaines ont, pour leur part, suscité des vocations, notamment dans l’agroalimentaire et la santé, mais également dans les sciences humaines et sociales.

La biodiversité dans les Antilles est très importante et sa préservation est un enjeu majeur. Les Antilles font d’ailleurs partie des 36 hotspots de la biodiversité mondiale.
De nombreux risques naturels majeurs peuvent affecter la Martinique. Le volcanisme de la Montagne Pelée, l’activité sismique, le risque de tsunamis, les glissements de terrains, ou encore les problématiques climatiques telles que les cyclones, les inondations ou encore les sécheresses intenses …).
L’agriculture bénéficie sous ces latitudes de climats chauds et humides, de cycles accélérés de maturations des plantes, mais aussi de développements de parasites difficiles à contrôler. L’impact des espèces exotiques envahissantes introduites sur un territoire insulaire comme la Martinique n’est pas négligeable. Les espèces endémiques insulaires sont fragilisées pour des raisons évolutives mais aussi du fait de l’isolement géographique de l’île. De plus la pression anthropique très forte, en particulier sur certaines zones, peut également faciliter la propagation d’espèces envahissantes.
Les ressources marines : Les Zones Economiques Exclusives (ZEE) des trois départements français d’Amérique représentent plus de 300 000 km². Les ressources vivantes du milieu marin sont l’objet de recherches qui tiennent compte des contraintes et des atouts de la région. La fragilité de certains écosystèmes spécifiques des régions tropicales (récifs coralliens, mangrove, forêts tropicales…) a également amené le développement de recherches spécifiques.
La Martinique est marquée par une culture caribéenne qui lui est propre

L’Université des Antilles a été répartie à l’origine entre les trois départements français d’Amérique puis, toujours aujourd’hui, entre la Martinique et la Guadeloupe. Cette organisation a contribué à éloigner les scientifiques de la Martinique qui est longtemps restée spécialisée dans les filières des Sciences Humaines et Sociales.

Le scandale sanitaire, lié à l’utilisation du chlordécone, qui a éclaté en 2018/2019 dans le grand public, a réellement brouillé le message des scientifiques et de l’Etat et donc impacté les recommandations durant la pandémie de Covid 19 qui a suivi. La chlordécone est un insecticide qui a été utilisé dans les plantations de bananes avec dérogation de l’Etat malgré sa dangerosité connue et son interdiction ailleurs. Il a durablement pollué les sols, rivières et baies. Particulièrement inquiète de la pollution de ses sols, la population martiniquaise souhaite être informée des travaux réalisés et des solutions trouvées pour développer une agriculture respectueuse de l’environnement et soucieuse de la santé publique. Cependant ce scandale a provoqué une grande défiance de la population à l’égard de la parole de l’Etat mais aussi de celle des scientifiques, nourrissant le discours des nombreux adeptes des théories complotistes.

Aujourd’hui, la volonté de la population martiniquaise est de prendre en main son développement et de localiser davantage les pouvoirs sur place. On comprend donc le rôle crucial que doit jouer le Carbet des Sciences, CCSTI de Martinique, dans un tel contexte. Il est avant tout d’agir en service public pour donner aux Martiniquais – par une information rigoureuse (validée sur le plan scientifique) sur les questions qui les concernent – la possibilité de s’approprier les progrès scientifiques, techniques et industriels et d’en maîtriser les effets indésirables. Les attentes et demandes de la population en la matière sont nombreuses.

Cette nécessité de diffuser au public martiniquais les résultats de la recherche scientifique est d’autant plus importante que les communications locales restent encore trop limitées alors que des travaux spécifiques se sont imposés aux organismes de recherche sur place, du fait des particularités du contexte « insulaire » et tropical.

Dans ce contexte et pour répondre à ces besoins d’information et de sensibilisation, le Carbet des Sciences s’efforce de suivre à la fois les attentes de la population mais également les politiques publiques locales et nationales. Afin de toucher le plus large public possible, plusieurs moyens de communication ont été testés ou sont régulièrement mis en œuvre.

Les multiples spécificités du territoire sont un problème récurrent que nous rencontrons avec les locations d’expositions extérieures. Même si nous nous efforçons systématiquement de renforcer ou de développer le volet local de ces dernières. Les expositions « importées » ne cadrent pas toujours avec les réalités de la culture martiniquaise. De plus, elles entraînent des surcoûts de transport considérables.

Le Pôle Nutrition-Santé du Carbet des Sciences a ainsi développé et reconfiguré des outils nationaux comme les « Classes du goût » à destination des cycles 1 et 3. Les équipes travaillent également actuellement à la réalisation d’une exposition interactive pour échanger avec le public sur les produits phytosanitaires actuels et passés et leur proposer des alternatives : « Pesticides ! De quoi s’agit-il ? ». Ce nouvel outil aura pour objectif d’expliquer au citoyen les avantages, en termes de santé et d’impact sur l’environnement, d’un jardinage sans pesticides. Un volet de cette exposition sera consacré au Chlordécone.

Sur un territoire dont l’énergie est 8 fois plus carbonée qu’en France hexagonale, le Pôle Energie déploie des programmes à l’attention des responsables d’entreprises (Programme SEIZE) et des scolaires (Programme « Watty à l’école »).

Le Pôle Biodiversité anime la sensibilisation du public dans le cadre des Plans Nationaux d’Action « tortues marines et iguane des petites Antilles ». Il coordonne également plusieurs aires éducatives (marines – AME et bientôt la première Aire Terrestre Educative – ATE, de Martinique). Il déploie aussi un programme d’éducation à l’environnement marin (EduMER) qui a pour objectif de sensibiliser les scolaires et le grand-public, de façon ludique et interactive, sur le rôle indispensable des écosystèmes marins dans notre quotidien et la nécessité de les préserver. Ces connaissances sont indispensables afin de comprendre les enjeux et de participer à la préservation du monde marin.

Ainsi, avec une équipe dynamique forte de 12 à 15 salarié.e.s, et fortement ancrée sur son territoire, le Carbet des Sciences parvient à toucher aujourd’hui près de 11 % de la population martiniquaise à travers ses multiples ateliers, expositions interactives et programmes spécifiques. Nous avons la volonté de développer notre offre et nos activités auprès du plus grand nombre et d’essayer de toucher d’autres publics. Dans cette optique, nous développons par exemple depuis plus d’un an notre présence sur divers réseaux sociaux avec une communauté atteignant plus de 8 000 abonnés et bien plus d’internautes de passage (non-abonnés). Cette présence sur ces réseaux sera accrue en 2023 par la mise en valeur des travaux de recherche du Pôle Martinique de l’Université des Antilles afin de développer le lien science-société sur notre territoire mais aussi de produire de l’information et une présence de qualité sur ces canaux d’information.