La science dans la rue

Du partage des sciences à l'engagement citoyen - 40 ans de politiques de CSTI
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Entretien avec Daniel Raichvarg, professeur émérite de l’université de Bourgogne.

Il est président d’honneur de la Société Française des Sciences de l’Information et de la Communication et chargé de mission pour l’Académie des sciences à l’établissement public de coopération culturelle (EPCC) Terre de Louis Pasteur. Il a écrit des articles sur le spectacle vivant et la science et créé plusieurs spectacles. Il a reçu le second Prix-auteur du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en 1996 pour le Cabaret Pasteur. Il a construit, l’Experimentarium de l’Université de Bourgogne qui a reçu le Prix Diderot de l’Initiative Culturelle Scientifique et Technique mention : Institution en 2003.

Qu’est-ce qui selon vous a profondément modifié le secteur de la culture scientifique et technique ces dernières années ? 

Depuis une dizaine d’années, le secteur a explosé dans ses formes, ses lieux, son nombre d’acteurs impliqués, ses liens avec toutes les formes de culture et les institutions qui les portent. Ces multiplicités, diversités, parfois ces unicités, sont un élément positif pour un travail avec tous les publics, partout et même ailleurs, et un élément négatif pour leur reconnaissance d’intérêt général et particulier, comme l’écrivait très précisément Jean-Louis de Lanessan dans sa préface des Étapes de la science (en…1892). Il est difficile de dire ce qui a été le moteur d’un tel mouvement. On pourrait citer, sans décider d’un ordre d’importance :

  •  l’implication croissante des structures universitaires :
    • parce que planifier des événements de culture scientifique est une partie intégrante des facteurs de financement des projets européens ou investissements d’avenir (pas encore tout à fait un killing factor) ;
    • parce que de nombreuses universités ont créé des services de culture scientifique ;
    • parce que de nombreux laboratoires en Sciences de l’Information et de la Communication ont produit une masse de thèses au-delà de la simple muséologie - originellement « le » domaine de recherche ;,
    • parce que plusieurs masters ont produit des diplômés qui ont répondu à la demande sociale ;
  • l’installation par des institutions culturelles diverses d’événements dans ce secteur, pour de multiples raisons (un marché ? une volonté arts-sciences ?) : compagnies théâtrales, centres culturels, musées non ciblés sciences et techniques, youtubeurs de sciences,…
  • le développement des questions sociétales vives : santé et environnement au premier chef.
Quel est votre objet de musée préféré ? 

Cela dépend si on parle de l’objet seul, de la place de cet objet dans un espace muséographique ou de la place de cet objet dans ma propre perception des choses.

  • un objet : le diplodocus du Muséum national d’Histoire naturelle,
  • un objet dans un espace muséographique, ou plutôt sa non-intégration dans un espace muséographique, qui finit par faire oublier le pourquoi du comment de ces œuvres : La Nuit étoilée au MoMA à New York, ou Guernica au Musée Reina Sofía à Madrid,
  • un espace muséographique  : le Musée de la civilisation à Québec qui m’a fait réfléchir sur les formes d’engagement du public. 
Pouvez-vous nous citer une exposition qui vous a particulièrement marqué en tant que visiteur ?

L’ensemble rénové du Jardin Albert Kahn (au Musée Départemental Albert Kahn) par les thématiques abordées par Kahn lui-même, par la place donnée aux images du projet « Archives de la Planète », par les espaces du jardin eux-mêmes.

À quel projet porté par un collègue d’une autre institution auriez-vous aimé participer ? 

Sans hésitation : la rénovation du Musée des Arts et Métiers sous la direction de Dominique Ferriot.

Vous avez travaillé de nombreuses années à développer des formes moins répandues et parfois peu conventionnelles pour partager les sciences, en particulier le théâtre scientifique. Avez-vous identifié des conceptions différentes du travail, dans la façon de s’adresser au public ? Pensez-vous que la diversité de ces approches est essentielle ? 

La première chose est de poser « the » question : c’est quoi le théâtre scientifique ? Et la réponse est assez simple : c’est avant tout du théâtre. Du coup, beaucoup d’autres questions émergent : quelle place réserver à la « réalité » - que l’on regarde, par exemple, le traitement fantasmatique de la figure de Galilée par rapport à sa propre vie, que l’on interroge le degré d’identification du comédien par rapport au personnage qu’il représente ?

La deuxième question est plus personnelle : c’est mon intérêt pour les formes « plus vivantes qu’elles, tu meurs » – genre spectacle de rue. La « mise en rue de la science » m’a intéressé depuis les actions « Science dans la rue » dans les années 1980. Quand, avec Michel Valmer, nous avons créé Le Petit Cirque scientifique (avec 15 comédiens, 3 musiciens et un poney), quand nous avons créé l’Experimentarium (Université de Bourgogne) et que nous avons voulu aller le samedi sur le marché de Dijon, quand j’ai lu l’article de Serge Chaumier sur Marceli Antunez, les affres d’un cybermartyre, quand j’ai fait de l’orgue de barbarie dans la rue, j’ai l’impression que je me posais beaucoup de questions,
des anciennes, des nouvelles.

Vous avez écrit une histoire de la vulgarisation scientifique en 1991 (Savants et Ignorants, Éditions du Seuil), qu’est-ce qui serait différent si vous l’écriviez aujourd’hui ? 

Une nouvelle édition ne pourrait être que différente : la place institutionnelle de la « vulgarisation des sciences », les questions sociétales vives, les formes émergentes aux deux bouts du spectre : spectacle vivant et digital. Et puis, j’ajouterais un plaidoyer pro domo : les chercheurs en sciences de l’information et de la communication et les formations à la médiation scientifique.

Une rencontre qui a compté pour vous ? 

Je voudrais en mentionner deux : 

  • Jean Jacques, chimiste pas ordinaire, un jour quand je suis descendu de scène et qu’il m’a dit : « C’est curieux ton truc, mais viens au Collège (sous entendu : « de France »), on va discuter ».
  •  Michel Valmer, comédien, metteur en scène, éclectique. Je ne saurais jamais lui témoigner assez de ma gratitude.

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