L’accessibilité dans l’exposition

Accessibilité dans la CSTI
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Au sein de l’Atelier à Kiko qui réunit des compétences en muséographie et en scénographie d’exposition, la question de l’accessibilité est essentielle.

 

Comment prendre en compte la question de l’accessibilité si le commanditaire ne donne pas d’orientation précise ?

Il faut tout d’abord comprendre que l’accessibilité des musées relève de deux champs d’action totalement distincts.

  • Il y a d’une part l’accessibilité « physique », quels que soient les handicaps considérés. Du fait de la loi de 2005, les maîtres d’ouvrage y sont globalement préparés. Si les conditions d’application et les moyens d’y parvenir restent parfois imprécis pour eux, ils comptent sur les hommes de l’art, les architectes et les muséographes, pour intégrer cette contrainte. Les maîtres d’ouvrage l’évoquent parfois dans leurs cahiers des charges, mais pas nécessairement puisqu’elle est naturellement due par les maîtres d’œuvre au titre du respect de la loi.
  • Il y a d’autre part l’accessibilité par la réalisation et la présentation de « contenus adaptés ». Ici, le fossé à combler est immense et source de nombreux malentendus ! En effet, dans la création d’une muséographie, il ne revient pas aux maîtres d’œuvre de créer les contenus qui seront présentés, comme le choix des collections, la rédaction des textes ou la réalisation de compléments aux collections, tels que des vidéos, des audios, des maquettes, des artefacts ou fac-similés, des objets tactiles, des animations ou des objets interactifs. Ces contenus sont d’ailleurs financés et gérés sur une ligne budgétaire différente de l’enveloppe allouée aux muséographes. Malheureusement il n’est pas rare que la confusion soit entretenue dans les programmes entre ces deux budgets et c’est un point qui est souvent soulevé par les équipes de muséographes, par exemple au moment du lancement des consultations sur concours.

Pour revenir plus précisément à votre question, il est hélas courant de ne trouver dans les programmes qu’une phrase plus ou moins sibylline demandant à ce que « le parcours soit accessible à tous les publics ». Toute l’ambiguïté est de savoir si cela traduit un réel manque d’attention à ces sujets, ou plus simplement la méconnaissance de ce qui pourrait être fait.

 

Pour les muséographies, quelles sont selon vous les principales difficultés rencontrées liées à l’accessibilité physique ?

Les difficultés sont connues, elles sont essentiellement liées aux handicaps moteurs et visuels pour les franchissements de niveaux, auxquels s’ajoutent les déficiences auditives pour la gestion des accueils comme des évacuations en cas d’incendie. La prise en compte de cette question se fera par les architectes pour le bâtiment, par les muséographes pour le mobilier et les facilités de circulation à respecter au sein des parcours.

Là où cela se complique pour nous, muséographes, c’est lorsqu’il s’agit d’aborder la présentation des contenus et leur éventuelle mise en accessibilité.

Dans le cadre d’un projet, face à l’absence de programme précis sur ce terrain, il s’agit alors pour nous de faire réagir le commanditaire à ces questions, de l’impliquer et parfois même de l’accompagner dans le processus afin que la muséographie puisse éventuellement accueillir des traitements spécifiques.

Malheureusement ce travail intervenant dans ce cas beaucoup trop tard nous n’avons jusqu’ici jamais eu à pousser au-delà des efforts de positionnement des objets ou textes de sorte qu’ils soient visibles par des personnes de petite taille ou en fauteuil (rejoignant la visibilité pour les très jeunes publics), ou des efforts de calibrage des typographies et contrastes graphiques pour faciliter la lecture des malvoyants. Et déjà, à ce niveau, les difficultés ne manquent pas.

Un exemple est très récurrent : exposer une œuvre papier très fragile, où l’éclairement est une des contraintes importantes de sa conservation, alors que la pratique d’une accessibilité élargie nous demanderait d’augmenter le nombre de lux pour le confort visuel d’une bonne partie de la population, notamment âgée, clientèle importante des musées. Nous avons eu à gérer ce type de problématique à La Maison des Lumières Denis Diderot de Langres où les originaux de livres anciens, comme l’Encyclopédie, demandent une attention toute particulière. Il est difficile de satisfaire à 100% les objectifs de chacune des parties.

 

Des moyens techniques et technologiques peuvent-ils répondre à des expositions pour tous ?

C’est un point délicat. Bien sûr, avant même de rechercher l’apport des diverses technologies, nous avons vu qu’il était possible d’introduire de simples attentions de bon sens dans un projet d’exposition, comme la hauteur des plans d’exposition, le dégagement des parties basses pour les fauteuils roulants, la taille et le choix de typographie adaptés ou contraste des mobiliers au sol. Toutes ces actions, quasi indolores financièrement, sont pour nous une base de travail.

Il est cependant des handicaps plus difficiles que d’autres à concilier avec l’exposition artistique ou savante. La mal ou non voyance, les handicaps mentaux, certaines formes de surdité, sont des obstacles vers l’accès aux collections présentées bien plus grands que les autres.

Si l’on imagine assez facilement permettre à des aveugles de connaître une sculpture ou un objet au travers du toucher de ceux-ci ou d’un artefact équivalent, comment leur permettre d’appréhender une œuvre picturale ou photographique ? Quelle compréhension réelle avons-nous de la perception d’une exposition par des personnes atteintes de troubles mentaux ?

 

Auriez-vous un exemple d’exposition dans laquelle l’accessibilité aurait été particulièrement bien prise en compte, avec des moyens technologiques adaptés ?

Nous avons eu avec l’exposition « Lanskoy, un peintre russe à Paris » au Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut (LAM) en 2011 l’occasion de découvrir le formidable travail de personnes formées et dédiées à la médiation avec les handicaps visuels, intervenant lors de visites groupées ou individuelles. Au-delà des outils de présentation tactiles dont elles disposaient, avec des reproductions en volume de sculptures et des reproductions de tableaux tactiles utilisant des encres thermo-gonflées, c’est leur capacité à trouver les mots justes pour rendre visible par la parole et ainsi trouver le point de partage entre les univers des uns et des autres qui frappait chez ces animateurs.

Nous sommes bien évidemment dans une période extrêmement riche en nouveautés technologiques et c’est un vrai potentiel pour l’interactivité des présentations avec les différents publics, handicapés ou non. La géolocalisation dite « indoor » ouvre dans ce domaine de nouveaux horizons. Mais à cette heure nous n’avons pas connaissance d’expériences réellement pertinentes à destination des handicaps les plus difficiles au sens où nous l’évoquions ci-avant.

 

Quelles tendances, liées à l’emploi de nouvelles technologies dans les expositions, observez-vous ?

À mesure que la technologie avance, celle-ci tend à disparaître au profit du service qu’elle rend et, bien souvent, nous voyons poindre une forme « d’humanoïdisation » de ces outils, bien illustrée par Siri ou Google search dans les smartphones où l’on remplace un clavier par une conversation. Nous pourrions dès lors nous attendre au même phénomène qu’avec la robotisation des tâches répétitives dans les usines : que la technologie permettant la reproduction sans faillir d’actions humaines finisse par coûter bien moins cher que les personnes qu’elle remplace, ouvrant ainsi une voie bien plus rapide et plus sûre à la démultiplication des actions et services concernés. En l’occurrence, nous sommes sans doute très proches de l’arrivée de logiciels automates capables d’assurer une médiation verbale ou visuelle, en langages des signes par exemple, en lieu et place des animateurs tels ceux du LAM via de petites interfaces prêtées à l’entrée des expositions.

 

La prise en compte de la loi de février 2005 dans les appels d’offres rend-t-elle la question de l’accessibilité plus présente ?

Soyons réalistes. La loi de 1975 sur l’aménagement des installations ouvertes au public n’a été que très partiellement appliquée. Quand à celle de février 2005, même si elle a eu plus d’écho auprès des différents acteurs, nous pouvons constater à la veille de 2015 que le résultat reste très fragile et incomplet pour les personnes en fauteuil et encore plus pour les autres handicaps. Les récents « Ad’ap » (agenda d’accessibilité programmé) vont par ailleurs continuer d’aménager des reports d’application.

Si les grandes institutions muséales ont souvent pris le sujet très au sérieux, avec des avancées visibles, palpables et souvent de qualité, il faut bien reconnaître que dans les cas que nous côtoyons à notre échelle, c’est un sujet financièrement très difficile à assumer pour les petites communes. Là encore, ce sont souvent les créations de contenus qui sont laissées pour compte et le personnel spécialisé et formé qui manque à l’appel.

 

En qu’en est-il des labels ?
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LaM, Lille Métropole musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, Villeneuve d’Ascq © Philip Bernard

Certains, comme « Tourisme Handicap », représentent une bonne motivation pour les maîtres d’ouvrage dans la communication de leurs projets. Et nous pouvons dire que cette initiative est réellement incitative. Mais pour ce qui concerne les appels d’offres publics, depuis 10 ans, au sein des programmes muséographiques, nous ne voyons pas vraiment une évolution sensible.

Le copieux guide « Culture et Handicap », édité en 2007 par le ministère de la Culture et de la Communication nous a parfois été utile, même s’il est parfois péremptoire ou déjà très désuet dans ses prescriptions… Il est tout de même dommage qu’à l’heure du numérique, cet outil n’évolue pas vers une véritable plateforme d’information, permettant d’y adjoindre le feed-back de représentants de la maîtrise d’œuvre muséographique qui ont évidemment nombre d’expériences à partager dans ce domaine, le tout doublé d’une veille technologique à la recherche des dernières innovations sur le sujet.

 

La thématique du handicap mobilise-t-elle un nombre croissant d’acteurs ?

Nous en profitons pour évoquer ici un autre thème qui nous tient à cœur à l’atelier à Kiko. Muséographes, designers, graphistes, nous désespérons autant des pouvoirs publics, comme législateurs ou même comme commanditaires de marchés publics, que des industriels français, face à la pauvreté de réflexion et de qualité formelle des objets, signes, actions, dans le domaine du handicap.

La quasi absence de design sur ces objets est réellement dramatique car elle participe du manque d’attention et de bienveillance des personnes valides sur les équipements à destination des personnes en situation de handicap. Nous ne comprenons pas pourquoi une plateforme élévatrice pour franchir un escalier devrait être laide au point que maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage aient envie de la cacher et que les handicapés eux-mêmes cherchent à la fuir et à la contourner.

 

La prise en compte des personnes en situation de handicap dans une exposition représente-elle un surcoût obligatoire dans la construction d’une scénographie dès lors que la question est prise en amont ?

Dans ce domaine, nous pourrions être tentés de distinguer les interventions sur une exposition temporaire et sur une exposition permanente. Car il est plus difficile de convaincre un maître d’ouvrage d’investir beaucoup pour une durée de seulement trois ou six mois, même si les contenus créés ont aujourd’hui une vie assez longue grâce aux accès dématérialisés. Les situations sont très variées. Mais c’est un faux-problème.

De fait une chose est sûre : les commanditaires responsables, Maîtres d’Ouvrage (MO) et Assistants à la Maîtrise d’Ouvrage (AMO), devraient évidemment générer dès le lancement de la programmation une ligne budgétaire dédiée aux contenus, et au sein de ce poste ouvrir une ligne pour les contenus dédiés à l’accessibilité. Il est clair que la seule existence de cette ligne serait un vrai catalyseur motivant l’implication des différents acteurs ; mais pour notre part, en 25 ans de carrière, nous n’avons jamais vu cette ligne budgétaire clairement projetée en amont.

Dans ce cas de figure, un coût envisagé dès le lancement d’une opération pourrait-il encore être considéré comme un surcoût ? Cela n’aurait aucun sens ! C’est la pratique actuelle consistant à considérer tardivement au cours de l’avancement des projets l’impact financier de l’ajout d’équipements ou de collections spécifiques qui fait d’eux sans coup férir des « surcoûts ». Car quand bien même les coûts sont extrêmement variés entre un plan multi-sensoriel, un enregistrement sonore, des textes en braille, ou un accompagnement pédagogique par une personne formée, tout cela a un poids financier réel.

Qui plus est, dans le contexte actuel, où les budgets culturels sont mis à mal, seule une volonté claire et affirmée dès le départ par une maîtrise d’ouvrage informée et volontariste pourra permettre le développement de l’accessibilité au sein des musées.

Nous craignons fort que, même encouragés par toutes sortes de recommandations publiques, les muséographes ne soient réellement pas les mieux placés pour porter une telle envie, à leur corps défendant. Le mieux que nous puissions faire aujourd’hui est de guetter la brèche, la possibilité offerte par un projet ou un autre de réaliser une avancée suffisamment forte pour qu’elle devienne énergisante, qu’elle puisse profiter à d’autres, mobiliser de nouvelles envies, galvaniser de nouveaux projets.

« Il y a un effet de contagion possible par l’enthousiasme, nous en sommes persuadés. »

 

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