Le 2 décembre dernier les membres du Conseil d’Administration de l’Amcsti ont partagé un moment d’échanges avec le Président de l’observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, retranscrit dans cet article.
Cette rencontre avec Jean-Louis Bianco fait suite au travail de réflexion conduit par l’Amcsti autour du projet Science, culture, croyance, comment en parler ? Lors de la journée organisée au Musée de l’Homme le 17 mars 2016, Jean-Louis Bianco, nous avait déjà apporté son point de vue. Cette rencontre avec les membres du conseil d’administration s’inscrit dans la continuité de ce travail de réflexion, et s’adossait à la sortie de l’ouvrage écrit par Jean-Louis Bianco « La France est-elle laïque ? ».
La rencontre s’ouvre par une présentation des principaux axes de l’ouvrage « La France est-elle laïque ? » publié récemment par le Président de l’observatoire de la laïcité aux éditions de l’Atelier. L’ouvrage cite notamment un extrait du discours prononcé par le Président François Mitterrand, « un musée, un objet derrière une vitre »1, pour le cinquantenaire du Palais de la Découverte, le 18 mai 1987. Pour Jean-Louis Bianco, la rédaction de cet ouvrage est dictée par une nécessaire réflexion historique sur le thème de la laïcité ; « le débat actuel concernant la laïcité est très confus, pourquoi parle-t-on autant de laïcité depuis 5 ou 6 ans ? Et l’on ne parle pas uniquement de laïcité, car l’attention a glissé sur les thèmes du burkini et des crèches de Noël ».
Citant l’article 10 – «Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi » – de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, « qui pose un premier pilier », Jean-Louis Bianco rappelle comment la laïcité est née sur des valeurs héritées du siècle des Lumières et de la Révolution. Il évoque ensuite le XIXe siècle, au cours duquel l’idée de laïcité est dominée par le combat pour l’Etat, citant notamment Jules Ferry « qui éduque les enfants, qui contrôle les consciences ? » et l’exemple de la thèse sur « la laïcité anticléricale » soutenue par le député du Var Maurice Allard en 1905 ; « le débat se cristallisait sur les processions et la question de l’interdiction éventuelle des soutanes des curés ». La loi concernant la séparation des Eglises et de l’Etat a été votée le 9 décembre 1905.
Au XXe siècle, la question de la laïcité est d’abord liée à celle de l’enseignement privé, et aux conditions de son financement public. Puis, à partir de 1989, avec l’affaire du foulard de Creil, les débats se concentrent sur les signes religieux et sur l’islam. « À partir de 2010, marqué par la loi anti-burqa, le débat est beaucoup plus vif. L’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public se fonde à la fois sur la sécurité intérieure et le vivre ensemble. C’est un débat profondément lié à la société française, le principe juridique repose sur les principes de liberté et d’égalité. Nous sommes tous différents, mais nous avons tous les mêmes droits ».
Le Président de l’observatoire de la laïcité, conclut son propos introductif en évoquant plusieurs débats actuels. « Est-ce que l’on prononce des paroles ou commet des actes contraires aux lois de la République ? ».
Les questions adressées à Jean-Louis Bianco portent d’abord sur la présence en France, dans le débat public, du fait religieux. « Il existe une inflation du débat sur l’Islam depuis 30 ans. La société Française, avec des personnages publiques comme l’Abbé Pierre ou le Chanoine Kir, ne se posait pas les mêmes questions voici quelques décennies. Le Président de l’observatoire de la laïcité souligne que le retour du fait religieux en France est probablement dû à une plus grande visibilité des musulmans, qu’à une hausse de la pratique. L’omniprésence du débat sur l’islam dans le débat public est d’avantage liée à la perte de repères qu’à l’idéologie. Et, avec un affaiblissement des repères, nous nous raccrochons à des valeurs sures liées à la laïcité et à la République. Dans un climat de pessimisme, il y a à la fois une perte du sentiment d’appartenance à des valeurs communes et un repli identitaire. La loi de séparation des Eglises et de l’Etat a fêté ses 111 ans, à cette occasion l’Observatoire de la laïcité a remis le Prix de la laïcité de la République française, lors d’un colloque organisé avec le ministère de l’Education nationale sur Laïcité et esprit critique ».
Plusieurs questions portent sur l’enseignement ; mais aussi sur les régimes dérogatoires, par exemple l’université de Strasbourg forme des prêtres, il s’agit d’une région qui tient à ses particularismes. « La loi de 1905 indique que ‘la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte’, l’attachement de l’Alsace Moselle est donc lié à un particularisme historique ce qui explique que 90 % des habitants souhaitaient conserver un régime cultuel. L’observatoire de la laïcité s’est saisi de cette question et ses recommandations ont principalement porté sur l’abrogation du délit de blasphème, l’inversement des modalités de choix de l’enseignement religieux, afin qu’il ne soit plus nécessaire pour les parents qui ne souhaiteraient pas que leur enfant suive cet enseignement de demander une dispense ; le fait que l’enseignement religieux soit placé en dehors du temps scolaire commun. Dans certains territoires d’Outre-mer, ce particularisme s’exprime de manière encore plus large. Pour l’exécuteur testamentaire de Aimé Césaire, Daniel Maximin, membre de l’Observatoire de la laïcité, c’est parce que la France est présente sur tous les continents qu’elle est légitime à parler au nom de l’Universalité. »
La question des signes religieux, notamment des calvaires et des crèches, dans l’espace public et des établissements publics est également abordée. « Concernant les calvaires construits avant 1905, la question ne se pose pas ; l’article 28 de la Loi de 1905 indique qu’il ne faut pas détruire ces signes ou emblèmes religieux. Cependant, la loi précise qu’à l’avenir il n’est plus possible d’installer de tels symboles. Les musées et expositions font exception. Ce que l’on constate c’est que nous sommes souvent entre le culturel et le cultuel, entre le caractère historique et religieux. L’observatoire a été interpellé sur la présence d’un arbre de noël dans une mairie ou sur le financement du funiculaire d’accès à la basilique de Fourvière à Lyon. Les crèches conservent un caractère cultuel et sont bien sûr parfaitement légales dans les lieux de culte. Par contre, pour les bâtiments publics, le Conseil d’Etat dit ‘non en raison de leur neutralité. dans l’espace public c’est possible à certaines conditions notamment, si ces crèches ont un caractère festif ou si leur présence est une tradition culturelle’ ».
Plusieurs exemples concrets d’actions de CSTI – l’utilisation de gélatine de porc, l’intervention d’un père Jésuite pour une conférence sur l’évolution dans un muséum – sont à l’origine de plusieurs questions. « C’est un problème politique rencontré dans le cadre de l’aide à l’enfance. Un exemple de cas balisé est celui des cantines scolaires : il s’agit à la fois d’offrir un choix bon pour la santé, végétarien par exemple, et en accord avec la religion, sans viande de porc. Avoir des tables halal, casher, sans confession, c’est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Le repas est un moment que l’on passe ensemble. Dans tous les cas, il faut d’abord expliquer calmement les choses. La montée des revendications religieuses dans les écoles peut créer des situations complexes, notamment concernant la pratique de la natation en éducation physique, il faut rappeler dans ce cadre que l’EPS est un cours obligatoire et qu’à ce titre aucune dispense automatique ne peut être accordée sauf pour raison médicale. En ce qui concerne la visite des musées ou des lieux de culte il faut rappeler que celle-ci est possible en expliquant la différence entre savoir et croyance. A Montpellier, par exemple, un parcours est proposé aux enfants pour découvrir différents lieux de culte de la ville ; ailleurs l’association « Coexister » propose le temps d’une « nuit des religions et de la laïcité » une visite des lieux de culte de la ville, pour que les gens puissent se connaître ».
Une série de questions porte ensuite sur le rôle que les acteurs de la CSTI pourraient jouer pour aider les publics à distinguer entre ce qui relève du savoir et de la croyance. Sur quels outils peuvent-ils prendre appui dans leurs actions, quels sont leurs repères ? « Il faut expliquer aux élèves qu’ils ne peuvent invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester un enseignement, cependant l’école est un lieu de débat ouvert. Ainsi, si dans le cadre de l’enseignement laïque des faits religieux, un passage de la Bible ou du Coran est étudié il ne pourra s’y opposer. Il faut donner des instruments de savoir et donner la capacité de s’émanciper, de choisir soi-même. Mais votre rôle est aussi de nous aider à faire connaître les bonnes pratiques, les pistes d’évolution, les solutions à éviter. Et nous pourrons ensuite diffuser les résultats de cette enquête via l’observatoire de la laïcité. Par exemple, nous avons réalisé un travail similaire sur le sport, plus précisément sur les tenues des joueurs et des joueuses ».
Pour terminer, des initiatives de mise en place de « chartes de la laïcité » à l’échelle de villes, comme Rennes ou Angers, ou des régions, comme la Bourgogne Franche-Comté, sont évoquées par des membres du CA et Jean-Louis Bianco.