Même fermés aux publics, les musées sont restés actifs
Selon le dernier rapport de l’Association des musées suisses, les musées ont été fermés aux publics en moyenne pendant 22 semaines entre le 16 mars 2020 et le 31 mars 2021. Les expositions du CERN, quant à elles, ont été fermées du 16 mars 2020 au 31 mai 2021. Paradoxalement, leur travail n’a pas diminué – c’est plutôt le contraire.
C’est le point de départ de notre enquête qualitative réalisée auprès de 26 organisations muséales des cantons de Genève et Vaud1. Nous souhaitions comprendre comment cette crise sanitaire a impacté leurs pratiques et ce qu’elle a révélé de leurs organisations. Cela a été possible grâce à la volonté des musées de partager leur expérience lors d’entretiens individuels par vidéoconférence.
À la découverte de l’organisation des musées
Avant d’explorer les comment et pourquoi derrière les multiples réponses à la crise, nous proposons de catégoriser les musées en 3 types d’organisation : artisanale, hybride et professionnalisée. Le type d’engagement de leurs membres, et le niveau d’institutionnalisation et de procéduralisation de leur organisation (schéma ci-contre), offrent un angle propice à l’étude de leurs pratiques de travail.
En résumé, le modèle artisanal est composé d’amateurs et amatrices, de bénévoles ou d’un très petit groupe de personnes salariées. C’est leur motivation et leur polyvalence qui assurent l’existence de l’organisation. Le modèle hybride repose sur des membres majoritairement salariés pouvant être assez polyvalents selon le degré d’institutionnalisation. Le modèle professionnalisé se distingue par la séparation plus stricte des fonctions de ses membres et leur professionnalisation. Les compétences professionnelles sont rassemblées par les gestionnaires des multiples départements.
Mises à l’épreuve par le contexte d’incertitude, les organisations muséales se sont révélées extrêmement dynamiques
Les musées, quels que soient leurs modèles, ont continué à remplir leurs missions malgré l’instabilité des cycles de fermeture et d’ouverture. Ils se sont concentrés sur les autres aspects de leur travail pour lesquels le temps manquait toujours et ont mis de côté certaines de leurs compétences afin de préserver l’organisation.
Étonnamment, les musées artisanaux, plus flexibles pour l’expérimentation, ont eu peu recours aux solutions « bricolées » pendant la crise. Les musées hybrides et professionnalisés ont davantage changé leur manière de collaborer et ont autorisé plus de polyvalence de la part de leurs employé·es ou bénévoles pour obtenir ces solutions de secours. Ils ont réappris à parachever leurs contenus sans atteindre la même perfection qu’avant.
Pour la diffusion de contenus auprès des publics, le numérique doit encore faire ses preuves. De nombreux musées, surtout artisanaux et hybrides, ont peu de compétences dans ce domaine et doivent avoir recours à des prestataires externes, moyennant des coûts qu’ils ne peuvent assumer. De plus, les musées professionnalisés qui ont réussi à mettre en place des solutions numériques pour garder un lien avec les publics restent dubitatifs et questionnent la surproduction d’activités en ligne très visible au début de la pandémie.
Enfin, selon les participant·es à l’enquête, les membres des équipes étaient l’essentiel à préserver durant cette crise. Pourtant, les périodes de fermeture ont affecté les multiples professions de leurs musées, laissant certaines en chômage technique et à la marge de la continuité des activités. La collaboration interne dans les musées hybrides ou professionnalisés, a été davantage fragilisée par le télétravail et le chômage technique. Même si les salaires et les contrats ont été assurés, certains membres se sont sentis isolés et démotivés. Cette crise met en lumière un besoin d’interactions pour donner du sens à ses actions.
Des recommandations pour les musées d’après
• Continuer à engager son musée dans des dialogues avec d’autres types d’organisations muséales grâce aux réseaux de musées.
• Évaluer les bienfaits des solutions « bricolées » dans son organisation et repenser le lien entre coût et qualité de l’offre muséale.
• Interroger la tendance générale au numérique. Représentera-t-elle une valeur ajoutée ou un poids pour son organisation ?
• Lutter contre le désengagement, l’isolation et la précarisation des membres impacté·es par la crise, surtout dans les organisations très segmentées plus sujettes à ces problématiques.
Annabella Zamora, chargée de projet au sein des expositions du CERN, étudiante en Master de Sociologie à l’Université de Genève
1 Les résultats seront publiés dans l’ouvrage collectif suivant :Bourrier, Mathilde, Deml, Michael et Kimber, Leah (éds) (2022). Inventer le quotidien au temps du Covid-19 : Communiquer, Soigner et organiser. Genève : Université de Genève (Sociograh – Sociologial Research Studies, 53)