Les muséums d’histoire naturelle, par la nature même de leurs expôts 1, sont vus comme des musées accessibles. La présence d’animaux dans un établissement, naturalisés ou vivants, donnent l’impression que moins de prérequis sont nécessaires pour profiter pleinement du contenu proposé. Profitant de ce potentiel de proximité, il semblait intéressant de continuer ce rapprochement avec le public et de se questionner sur la possibilité de concevoir ensemble tout ou partie des expositions.
Serge Chaumier 2 est parvenu à synthétiser très clairement les différents types d’implication qui peuvent unir musée et public. De la simple implication contributive, sous forme de collecte de données pour les expositions notamment, à l’implication participative, qui permet à des publics de s’impliquer pour produire un certain nombre de séquences, il est possible d’aller jusqu’à l’implication collaborative dans laquelle une action est définie depuis le départ avec les publics et conduit de A à Z avec eux.
Dans le cadre des expositions réalisées au sein du Muséum-Aquarium, différentes sortes d’implications furent testées. Ainsi, l’exposition « Ces animaux qu’on mange… » (mars 2015 - janvier 2016) amenait le public à se questionner sur l’impact d’une consommation carnée. Pour introduire le propos, l’objectif était de réaliser une construction pyramidale à base de conserves vides habillées aux couleurs de l’exposition. Malgré une sollicitation dans la presse locale et sur les réseaux, très peu de boîtes furent collectées, l’entrée de l’exposition fut plutôt décevante. Donner ses déchets ne semblait ainsi pas impliquer assez le public.
Persévérant dans cette quête et dans le cadre de l’exposition « Moches ! » (novembre 2016 – septembre 2017), exposition pour jeune public centré sur la notion même de beauté et de laideur toute subjective, le public fut invité à nous confier une vielle peluche sans plus d’explication quant à son utilisation ultérieure. Prêter un objet, même sans raison concrète, motiva un public plutôt conséquent. Ce furent ainsi des dizaines d’ours, dinosaures, hérissons, lions et autres animaux en tout genre qui nous furent confiés par un public clairement adulte qui avait gardé précieusement toutes ces années ce souvenir de l’enfance. Quelques semaines plus tard, ce même public retrouva dans une mise en scène introductive, la peluche, identifiable au prénom du prêteur ajouté un peu comme une étiquette d’identification. Objet de confidences et de câlins, l’animal se voyait alors déformé dans un bocal reprenant les codes des collections fluides des musées. Le beau devint laid, interpellant donc sur le concept central de l’exposition. Quant au public, il pouvait identifier son objet, retrouver un peu de lui exposé, et en éprouver ainsi une certaine fierté. Ce sentiment renforçant le lien l’unissant au musée.
Au fur et à mesure des années et des expositions, d’autres appels à participation furent lancés en direction du public qu’il s’agisse de témoigner sur son lien étroit et compliqué avec sa chevelure (« Poils », novembre 2019 – octobre 2020), d’expliquer sa relation à la consommation ou à la non-consommation de viande ou encore de narrer une histoire d’amour (« Attraction – Histoires de rencontres », novembre 2021 – septembre 2022). Ce sont les propositions participatives et contributives demandant un certain investissement qui connurent le plus de succès, le public se sentant ravis de partager expérience ou point de vue.
Ces projets furent plaisants et permirent au public de se sentir partie prenante dans l’exposition ; toutefois, aucun ne prit vraiment l’apparence d’une co-constrution. Il apparut alors comme essentiel de poursuivre cette démarche en allant plus loin dans la relation à tisser avec le public.
C’est ainsi que tout naturellement le lien avec les tiers-lieux sembla une solution intéressante. Le tiers-lieu donne une place prépondérante à la collaboration et peut en effet permettre de changer le rapport au public. Dans la définition du tiers-lieu culturel donnée il y a quelques années par Raphaël Besson, cet « espace hybride et ouvert de partage de savoir et des cultures, plaçant l’usager au cœur du process d’apprentissage, de production et de diffusion des cultures et des connaissances », il suffit de remplacer « usager » par « public » pour que cela résonne dans le monde muséal. Il n’y a pas de modèle unique de tiers-lieu et c’est justement cette diversité qui rend impalpable, non pertinente une catégorisation, et qui en fait sa force. Un tiers-lieu c’est avant tout une communauté, la plus égalitaire et ouverte possible, qui partage des valeurs souvent, des idéaux parfois et des envies toujours.
Le musée peut faire communauté avec son public, peut s’hybrider davantage sans pour autant perdre sa nature profonde. En s’ouvrant toujours plus vers son public, il peut tenter autre chose, différemment mais cette fois-ci collectivement. L’avenir redevient possible, la coopération à porter de main : il convient de devenir plus proche de son public, faire un pas de plus vers lui pour qu’il se sente le bienvenu dans nos lieux parfois austères et isolés ; arrêter la course vers le plus de fréquentation, vers le plus de monde accueilli, et favoriser une relation construite et riche ; ne plus s’arrêter aux effets directs et valoriser au niveau de nos élus ces externalités si difficiles à saisir.
1 Expôt ou exponat : concept désignant tous les objets au sens large, incluant donc les matériaux visuels, sonores, tactiles ou olfactifs, susceptibles d’être porteurs de sens dans le cadre de l’exposition.
2 « Séminaire de muséologie 2016 : vous avez dit muséologie participative ? » - avril 2016