Afin de maintenir un lien entre la communauté scientifique et le public malgré la distanciation physique, la pandémie a accéléré le développement d’initiatives numériques. Avec la réouverture des lieux culturels et la reprise des activités en présentiel, faut-il abandonner celles-ci, ou au contraire bénéficier de cette impulsion pour repenser les formats d’interaction ?
Quelles attentes ?
S’agissant des rencontres entre scientifiques et scolaires par exemple, il y a encore un énorme manque, puisqu’on peut estimer qu’en France, 80 % des lycéens n’ont jamais rencontré de scientifiques et 90 % déclarent ignorer comment les nouvelles connaissances sont produites 1. Ce phénomène est particulièrement accentué dans les zones rurales, plus éloignées des centres universitaires et scientifiques. Déjà avant la pandémie, l’utilisation du numérique était évoquée comme un levier d’inclusion, pour atteindre plus de personnes éloignées des sciences pour des raisons culturelles, géographiques ou sociales2. De premiers éléments suggéraient son potentiel pour favoriser l’accès de la culture scientifique à une population moins favorisée3. Pré-pandémie, au-delà des nombreuses actions de vulgarisation en ligne (blogs, vidéos), les initiatives proposant un véritable dialogue par voie numérique entre les publics et les scientifiques restaient cependant relativement restreintes et peu évaluées.
Qu’est-ce qui a été mis en place ?
En empêchant les interactions en face à face pendant les confinements, la pandémie a forcé le réexamen des pratiques, leur adaptation ou l’invention de nouveaux dispositifs 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12. 80 % des programmes de médiation étudiés par Ufnar et al.13 ont ainsi décrit avoir pris des mesures pour passer au numérique pendant la pandémie. En France, le tissu de la CSTI s’est rapidement adapté, avec, par exemple :
- la création de “Sciences en Live”14, plateforme d’agrégation de l’offre numérique ;
- le passage à des formats en ligne notamment pour les formations (L’Arbre des Connaissances);
- le développement d’activités en direct, comme le programme “Confine Ta Science”15 proposant activités expérimentales en lien avec la recherche, jeux de discussion autour de controverses socio-techniques, ateliers inspirés du tinkering, …, la création de chaînes Twitch pour des lives interactifs comme “Parlons Maths”16, et de nombreuses autres créées par les acteurs du réseau du Café des Sciences ;
- le développement de nouveaux modes d’échanges interactifs entre scientifiques et publics comme les speed-meetings virtuels mis en place lors des eDeclics ou durant la Nuit Européenne des Chercheurs).
À l’heure de la levée des restrictions, qu’avons-nous appris ? Est-il pertinent de maintenir des initiatives en numérique dans l’ère post-confinement ?
Un outil puissant…
Les initiatives numériques l’ont démontré durant le confinement : elles permettent de rompre l’isolement créé par l’éloignement physique, favorisant l’inclusion de publics éloignés. Le programme eDeclics a ainsi permis de toucher 2 000 élèves de lycées éloigné(e)s des centres universitaires. Même si les évaluations des actions sont encore restreintes, quelques études montrent une efficacité équivalente 8, 11, 17, voire meilleure 1,18 des initiatives numériques sur les indicateurs visés. Certaines actions ont même des avantages que les programmes en présentiel n’ont pas, comme l’accès à des équipements ou des laboratoires normalement fermés au public. 12 Faire usage du digital permet aussi aux scientifiques s’impliquer davantage dans des initiatives de médiation, en réduisant significativement leur temps de déplacement et le stress de leurs interventions. 19
…mais avec des limites à garder en tête pour l’utiliser à bon escient
Pour faire du numérique un outil efficace en CSTI, nous listons ici cinq points à garder en tête.
- En 2019, en France, 12 % des 15 ans et plus ne possédaient pas d’Internet à domicile et l’illectronisme, ou illettrisme numérique, concernait 17 % de la population. 20, 21 Les fragilités numériques vont fréquemment de pair avec des fragilités sociales et économiques, rendant ces publics d’autant plus difficiles à atteindre.
- Internet n’est pas un simple et vaste réseau entièrement interconnecté, Les algorithmes favorisent en fait son fractionnement en mini-réseaux (les “bulles informationnelles”) qui engendrent des différences d’accès significatives aux informations. Diffuser sur un réseau ne signifie pas avoir accès à tou(te)s ses utilisateurs et utilisatrices, mais bien souvent constituer une communauté des personnes déjà intéressées par le sujet. 22
- S’il est déjà difficile d’évaluer les actions de médiation 23, il faut prendre en compte dès la conception la difficulté accrue d’évaluation des actions numériques, pour s’assurer d’un taux de retours corrects et éviter les biais de réponse.
- Il est crucial de garder un niveau d’engagement élevé 5, via des outils d’interactions directes par visioconférence 18, voire des échanges en petits groupes en utilisant les fonctions de “breakout rooms”. 13
- Il ne faut pas oublier que la dématérialisation ne va pas forcément de pair avec une baisse des coûts. Il arrive souvent qu’au contraire, le développement et la réalisation d’activités en distanciel coûtent au final plus cher notamment en moyens humains.
Loin d’être la panacée, l’utilisation du numérique pour renforcer le dialogue sciences et société représente donc néanmoins un vrai levier d’inclusion. Les prochaines années révéleront comment le monde de la CSTI s’en saisit en complément du présentiel.