Depuis quelques années, les chaînes YouTube culturelles connaissent un succès grandissant. Pour une partie du public, elles se substituent même de plus en plus à la transmission des savoirs par la traditionnelle voie écrite. Phénomène de mode ou véritable évolution ? À partir de mon expérience personnelle, je souhaite partager quelques observations pour apporter des éléments de réponse.
En 2010, j’ai créé « Science étonnante », un blog de vulgarisation me permettant de partager ma passion pour les sciences. Destiné à un public ayant des connaissances scientifiques de niveau lycée, ce blog totalisait début 2015 environ 150 000 visites mensuelles. Un chiffre a priori très respectable, et pourtant…
C’est en janvier 2015 que je me suis décidé à expérimenter le format vidéo, en démarrant en parallèle de mon blog une chaîne sur la plateforme YouTube. En seulement quelques mois, la fréquentation de la chaîne avait rattrapé puis largement dépassé celle du blog. Elle s’établit aujourd’hui à environ 1 million de vues mensuelles, et ne cesse d’augmenter. Des chiffres flatteurs, mais qui sont encore bien loin des statistiques des stars du genre, comme e-penser ou DrNozman, dont la chaîne compte aujourd’hui plus de 2,7 millions d’abonnés.
Comment expliquer une telle différence entre les succès des formats écrit et vidéo ? Loin d’être un simple phénomène de mode, je pense que cette observation révèle une tendance profonde sur la pédagogie et la manière dont se transmettent les savoirs.
Une forme de communication naturelle
Le langage oral est notre forme de communication naturelle. Bien qu’elle soit difficile à dater précisément, l’émergence du langage dans la lignée humaine remonte à plusieurs centaines de milliers d’années. Sur de telles échelles de temps, les mécanismes évolutifs ont pu jouer leur rôle, et notre cerveau a notamment développé des spécificités qui le rendent efficace pour la pratique de la communication orale. On peut faire l’hypothèse raisonnable que l’évolution nous a câblé pour la pratique du langage oral, tant en qualité qu’émetteur que de récepteur de cette communication : au-delà des mots et de leur sens, nous sommes excellents pour percevoir les intonations de voix, le langage du corps, tout ce que nous avons coutume d’appeler « le non-verbal ».
Il y a environ 5 000 ans, l’invention de l’écriture nous a permis de dépasser les limites du langage oral, en rendant possible la communication à distance, tant dans l’espace que dans le temps. C’est l’écriture qui a permis d’administrer des empires, d’accumuler des savoirs et de diffuser des connaissances sur de grandes distances. Et pourtant, contrairement au langage oral, l’écriture reste fondamentalement un mode de communication artificiel, biologiquement parlant. L’écriture ne date en effet que de quelques milliers d’années, et fut longtemps réservée à une portion restreinte de la population.
L’évolution n’a pas eu l’opportunité de jouer pleinement, et il est raisonnable de penser que nous n’avons que peu de dispositions particulières spécifiques à la pratique de la communication écrite.
Une façon simpliste de le dire, c’est que nous ne sommes pas des animaux faits pour communiquer par écrit. Des siècles après l’invention de l’écriture, l’imprimerie puis, bien plus tard, le Web, révolutionnèrent la communication écrite en la rendant « massive ».
L’imprimerie permit la diffusion à un grand nombre de lecteurs, mais avec toujours très peu d’auteurs ; tandis que le Web restaura l’équilibre : grâce à l’apparition des blogs notamment, il est devenu possible pour n’importe qui de s’improviser auteur, d’exprimer sa créativité ou ses opinions, et d’être lu potentiellement par un grand nombre de personnes.
Et pourtant, toute révolutionnaire qu’elle soit, cette communication sur le Web reste une forme de communication écrite. C’est-à-dire une communication qui ne nous est pas « naturelle ».
Un format qui captive l’audience
L’apparition de YouTube, et plus généralement de la vidéo en ligne, a constitué une véritable révolution en matière de communication, car elle cumule tous les avantages du Web (communication massive, à distance dans l’espace et le temps), tout en revenant à notre mode de communication naturel qui est le langage oral. Une vidéo permet de passer des messages de manière bien plus efficace, elle fait appel à d’autres modalités que le simple sens des mots, à savoir les expressions corporelles, le langage du corps, etc.
Il est d’ailleurs à noter que le format adopté par la plupart des vidéastes culturels est souvent d’une grande sobriété : plan fixe et face caméra. Une manière de faire totalement en contradiction avec les productions très léchées de la télévision ; mais une manière qui ressemble en définitive à la façon que nous avons de simplement discuter entre nous dans un cadre informel, autour d’une table ou d’un café.
C’est ce format sobre « face caméra », qui à mon sens explique en grande partie la puissance pédagogique de la vulgarisation telle qu’on la trouve actuellement sur YouTube.
Quand on regarde une vidéo de ce type, il s’établit une connexion émotionnelle qui prend appui sur notre capacité à recevoir avec finesse la communication orale, et décrypter tous ces signes non-verbaux qui font la différence entre une conversation et un texte écrit.
Un chiffre me surprend toujours : je sais grâce aux statistiques fournies par YouTube que pour chaque vidéo, environ 70 % des spectateurs la regardent jusqu’au bout, et ce même si les durées sont fréquemment autour de 15-20 minutes. Il s’agit pour moi d’une preuve de cette capacité à captiver l’audience que possèdent les formats vidéos de ce type.
Il est presque évident que l’écrit ne disparaitra pas pour autant, car il restera probablement plus simple à mettre en œuvre et plus efficace sur les sujets les plus complexes, mais il y a fort à parier que dans le domaine de la culture populaire, la vidéo en ligne devienne le média dominant.