«  Le tour des savoirs  » : Valoriser les savoirs non-académiques et académiques avec les habitants

Du partage des sciences à l'engagement citoyen - 40 ans de politiques de CSTI
Aurélie Gonet, photo extraite du teaser « Tour des savoirs » © Sébastien Barna

En 2021, dans le cadre d’une biennale art-sciences intitulée « Réseaux, partout tu tisses » et développée en Bourgogne-Franche-Comté, l’initiative « Tour des savoirs » rompait avec les stratégies habituelles de diffusion de la connaissance. Aurélie Gonet (cycliste populaire dans la région) est partie deux semaines à vélo de Nevers à Morteau (environ 400 km) pour recueillir des savoirs auprès des habitants et les valoriser sur les réseaux sociaux avec l’aide des universités territoriales. 

En 2020, Aurélie Gonet a rallié Pékin à vélo depuis Dijon. Son périple, narré sur les réseaux sociaux, a offert à quelques milliers de « followers » un feuilleton composé de rencontres humaines mémorables. La plume de cette aventurière a touché le public par des récits redonnant leurs lettres de noblesse au naïf et à la simplicité. Alors qu’elle était en Géorgie, nous lui avons proposé le thème et le lieu de son prochain voyage : « chez nous » et « autour des savoirs ». Cette “Yes-woman” a tout de suite accepté alors même que nous nous étions gardés de définir cette notion de savoir.

Nous avions deux objectifs :

  • inverser la posture classique de la vulgarisation en recueillant les savoirs chez la population et en situant les universitaires en écoute et réaction ;
  • expérimenter la notion de réseau de savoirs en proposant à Aurélie de tisser son parcours en fonction des rencontres et conseils qu’elle glanerait sur son chemin. Si un habitant lui parlait d’un potier expérimentant de nouvelles formes de cuisson et que celui-ci se trouverait à « portée de mollets », elle le rejoindrait pour sa prochaine étape…

Alors qu’il était prévu de prendre le temps nécessaire pour expérimenter ce principe (sept semaines), suite au confinement, le tour a duré deux semaines.

À Nevers, Aurélie a dormi chez une conceptrice de vélos, puis, sur la route – dans les bois du Morvan – elle a croisé un couple fabriquant leur propre maison en rondins à partir d’un livre. Ces rencontres ont amené à des partages techniques mais surtout à des chroniques de philosophies de vie alternatives. Traversant un village chargé d’histoire, elle a fait part de ses interrogations et les internautes lui ont alors suggéré des pistes, citant par exemple des associations historiques locales. Les posts « facebook » 1 et « instagram » ont largement été commentés par les internautes. Ces derniers gardant toujours un esprit bienveillant, remerciant la jeune femme pour la beauté de ses partages et l’attention portée aux vies locales.

« La plume de cette aventurière a touché le public par des récits redonnant leurs lettres de noblesse au naïf et à la simplicité. »

Ce projet était porté par des universités. Si l’on considère la communication scientifique comme une stratégie de promotion, voire de consolidation de l’assise académique, le « Tour des savoirs » prenait des risques. Quels savoirs allaient être mis en avant ou relayés ? C’est bien l’expérience de plus de 20 ans de nos universités dans le partage de « la science en train de se faire » qui nous a permis d’oser mélanger les savoirs. En effet, nous savons qu’une posture humble vis-à-vis des savoirs et attentive à la relation au public évite les crispations. Crispations souvent renforcées par des formes de communication privilégiant les débats contradictoires ou les tribunes argumentatives. La personnalité d’Aurélie – emprunte de curiosité et d’écoute – a été le diapason de notre communication. Des scientifiques sont intervenus dans les séries de publications sur les réseaux sociaux. Ils se sont adressés à Aurélie sur le ton du témoignage : « nous étudions ce phénomène et on a pu constater… ». Nous avions également prévu la rencontre de quatre chercheuses et chercheurs effectuant des « terrains » sur le trajet Nevers-Morteau. Ceci constituait une entorse à notre parti pris radical. Pour une première, nous n’avons pas osé tout miser sur l’aléa et le recueil de savoirs populaires. Cependant, ces rendez-vous n’ont finalement pas détonné avec les rencontres fortuites de la population. À titre d’exemple, la rencontre avec Caroline Darroux, anthropologue étudiant les habitants du Morvan, a apporté une clé de compréhension à notre notion de savoir. Elle nous a surtout invités à reconduire ce type d’expérimentation et contribuer à nouer des compréhensions mutuelles sensibles pour les relations société – sciences. Voici ce que Caroline dit à Aurélie :

« Dans le cadre de nos vies ordinaires, je peux dire que j’ai un savoir parce qu’à force de le mettre à l’épreuve et de vérifier que ça fonctionne, je l’ai constitué en savoir. Par exemple je sais reconnaitre un « pouillot véloce » quand je l’entends, je sais utiliser des plantes, fabriquer un objet, l’histoire de mon village… Le savoir c’est un mot qui a été confisqué. Revendiquer un savoir, c’est l’apanage des gens qui sont lettrés. C’est une légitimité qui n’est pas évidente. »  2

 

1 https://www.facebook.com/directionlhorizon/

2 Les premières rencontres ont fait l’objet d’un “Génial.ly” : « Réseaux – Partout tu tisses » https://view.genial.ly/60a4cb516a3dcd0dac0655f0/interactive-content-tourdessavoirs

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