En fait, les zoos, à quoi ça sert ?
Elle est loin l’époque où les animaux sauvages étaient capturés dans leur milieu naturel pour être présentés dans des conditions précaires à un public familier de l’esprit colonial. Ce passé révolu souligne la révolution idéologique et concrète qu’ont connue les parcs zoologiques ces cinquante dernières années. Ils sont aujourd’hui des acteurs incontournables dans la conservation de la biodiversité, contribuent à l’avancée de la recherche scientifique et sensibilisent un public plus nombreux aux problématiques environnementales de notre planète. Ainsi, chaque année en France, des millions de visiteurs poussent les portes de ces ambassades de la faune sauvage qui œuvrent au quotidien pour la préservation d’écosystèmes ou d’espèces en danger.
La première véritable évolution des zoos est marquée par l’entrée en vigueur de la Convention de Washington en 1975[1]. La directive européenne de 1999 appliquée en France par l’arrêté de mars 2004 a marqué ensuite une autre étape majeure en donnant aux zoos trois missions réglementaires : la conservation, l’éducation et la recherche. Pour une meilleure efficacité dans la mise en œuvre de ces prescriptions, les parcs zoologiques se sont regroupés au sein d’associations nationales, comme l’Association Française des Pars Zoologiques (AFdPZ), ou internationales. L’Association Européenne des zoos et aquariums (EAZA) rassemble aujourd’hui plus de 400 institutions de 48 pays à travers l’Europe et l’ouest asiatique. Son objectif est de promouvoir la coopération entre établissements pour la préservation des espèces et des milieux.
La conservation
Elle se fait à deux niveaux. La mise en place de programmes d’élevages d’espèces sensibles coordonnés à l’échelle internationale constitue la conservation ex situ. Des études scientifiques de dynamique de populations garantissent un suivi génétique rigoureux. Certains animaux issus de ces programmes sont réintroduits dans le milieu naturel afin de renforcer les populations sauvages. Pour exemple, le Zoo d’Amiens a participé à la réintroduction de la chouette de l’Oural (Strix uralensis) dans son habitat d’origine en relâchant dans une forêt bavaroise des individus nés au sein du parc.
Reproduire en captivité une espèce menacée sans mener d’action parallèle de sauvegarde de son milieu naturel ne serait pas cohérent. C’est la conservation in situ. De nombreux programmes sont menés simultanément par des associations, des fondations ou des zoos qui agissent en France, en Europe et dans les pays concernés par l’espèce ou le biotope à protéger.
C’est dire à quel point les zoos et leur dynamique sont un acteur majeur dans la conservation de la biodiversité mondiale.
Logo de l’ONG indienne HNAP (projet de conservation des calaos) à titre d’exemple – Crédits : Tous droits réservés
L’éducation
Les parcs zoologiques mettent en œuvre une sensibilisation à l’environnement vis-à-vis de tous les publics par des actions pédagogiques et/ou culturelles. La présentation d’animaux au public n’a de sens que si elle amène les visiteurs à se questionner sur les problèmes écologiques actuels, et que si elle sert à informer et sensibiliser les jeunes et moins jeunes sur le monde vivant, sa diversité et les enjeux du maintien d’un équilibre entre l’impact humain et le reste de la planète.
Leur image de lieu de divertissement reste forte, quoique récemment revalorisée par une médiatisation accrue. Malgré leur succès, ils font l’objet de polémiques, liées aux relations humain/animal, cristallisant un rapport anthropocentré au monde vivant. Le XXIe siècle est marqué par l’inquiétude d’une planète au devenir incertain quant à ses ressources, sa richesse animale et végétale, ainsi que son climat. La biodiversité est menacée et il est urgent pour les scientifiques de sensibiliser tous les publics à ce problème, devenu omniprésent et sujet politique brûlant.
Animation auprès des scolaires – Crédits : Photo Zoo Amiens Métropole
La recherche
Les zoos, par l’accueil de nombreuses espèces de la faune sauvage que les équipes peuvent suivre, accompagnent ou mènent des projets de recherche dans plusieurs domaines. Des disciplines comme l’éthologie, la médecine vétérinaire, la physiologique animale, la biologie de la conservation et même la sociologie sont abordées de manière plus ou moins approfondie selon les moyens des établissements.
Intervention vétérinaire sur un serval – Crédits : Photo Pierre Bouthors
Un peu d’histoire, cependant
Humains et animaux cohabitent dans une relation complexe dont maintes disciplines se font l’écho depuis la nuit des temps, de la philosophie à la biologie, de l’anthropologie à l’histoire de l’art.
Un zoo présente des animaux captifs, êtres vivants sauvages « non humains ». Paradoxalement, il informe le public que nous faisons partie d’une lignée commune… Il s’agit de rendre cohérente une démarche a priori contradictoire, imprégnée d’une dimension ludique et d’affect, pourtant sous-tendue de problématiques majeures de conservation, de recherche et d’éducation. L’enjeu est de taille !
S’ajoute le fait que, page sombre de l’histoire, celle des zoos est liée à l’affirmation du pouvoir colonial. Phénomène populaire au XIXe siècle et qui a duré jusqu’en 1958, les « zoos humains » invitaient les visiteurs à observer, tels des animaux, des hommes, des femmes et des enfants venus de contrées lointaines. Une véritable industrie du spectacle naît à cette époque : plus d’un milliard quatre cent millions de visiteurs vont voir 35 000 figurants dans le monde entre 1800 et le début des années 1950. Les grandes puissances coloniales peuvent ainsi étaler la richesse de leurs territoires, et justifier la colonisation en montrant que ces contrées sont peuplées par des « sauvages à civiliser »[2] ! A titre d’exemple, en 1906 un « village sénégalais » fut installé à l’emplacement de l’actuel zoo d’Amiens. L’inauguration du village noir a lieu en présence de Mamdou Sek, le chef de tribu, qui, maître bijoutier à Gorée, est recruté par des impresarii français, et offre, de 1904 à 1924, une mise en scène familiale, entouré de sa femme et de ses enfants. Mais en 1931, après l’Exposition coloniale qui eut lieu à Paris, plusieurs voix s’élevèrent pour dénoncer ce phénomène. La mobilisation permit de mettre un terme à ces zoos humains, même si un village congolais fut tout de même reconstitué à Bruxelles lors de l’Exposition Universelle de 1958…
Par l’installation, en 2016, de l’exposition « Les Zoos humains », la direction du zoo d’Amiens a voulu commémorer cette page sombre de l’histoire et questionner l’évolution du rôle des zoos dans les représentations de l’humain et du non humain. Rôle aujourd’hui radicalement différent, il faut le souligner.
Carte postale sur l’exposition Internationale d’Amiens 1906 : « village sénégalais » à la Petite Hotoie, site du futur zoo – Crédits : Tous droits réservés
Zoos des villes et zoos des champs… et le politique dans tout ça ?
Environ 20 % des zoos sont des structures publiques (en particulier les zoos urbains) et 80 % sont privés. Pour ces derniers, raisons économiques obligent, c’est l’animal « mignon » ou spectaculaire qui sera mis en avant. Leur implication active et financière dans la conservation est cependant de plus en plus forte.
Dans une collectivité, le zoo est toujours un casse-tête. Un musée, un lieu de spectacle, sont « naturellement » rattachés à une direction culturelle et à un élu culture, tout comme une piscine au sport. Un zoo peut, selon les villes ou métropoles, être affecté aux espaces verts, au tourisme, à la culture… Souvent, une équipe nouvellement élue se pose la question : où mettre le zoo ?
Toutefois les parcs zoologiques, par leur triple mission, sont des lieux privilégiés dans le sens où ils sont à la fois inscrits dans des réseaux internationaux très pointus de conservation d’espèces et de biotopes, et quotidiennement ouverts et accessibles à un très large public. Ils peuvent alors être pour une ville, une région, un pays, un modèle et une vitrine en matière de développement durable et d’éducation au respect de l’environnement, tout en garantissant une attraction touristique forte.
En raison de leur mission de service public, les zoos de ville seront souvent dotés de moyens plus conséquents dédiés à la diffusion des connaissances. Peu de zoos ont cependant une programmation culturelle, des activités artistiques stricto sensu requérant des compétences spécifiques. Et pourtant, ce sont en fait des espaces hautement politiques qui, sous une enveloppe « bon enfant », questionnent la place de l’humain sur la planète et sa vision du monde. Le zoo est un endroit où il y a à la fois rencontre et rupture entre l’animal et l’humain.
Panda roux (Ailurus fulgens) – Crédits : Photo Amiens Métropole
Par leur grande popularité, ils sont l’opportunité de mettre en place une action culturelle impactant un public large et peut-être peu enclin à fréquenter les salles de spectacle ou les lieux d’exposition.
Avec 22 millions de visiteurs par an en France, 140 millions en Europe et plus 700 millions dans le monde, l’intérêt pour les zoos reste intact, toutes catégories sociales confondues[3].
Notes
[1] Convention de Washington (Cites) sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Elle interdit la capture d’animaux. Signée par 21 pays le 3 mars 1973, dont la France, elle entre en vigueur le 1er juillet 1975 à la suite de la ratification de 10 pays. En 2020, elle est signée par 183 pays : https://cites.org/fra/disc/text.php
[2] Zoos humains et exhibitions coloniales, Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Eric Deroo, Sandrine Lemaire, Editions La Découverte (2011)
[3] Source : Association Française des Parcs Zoologiques (AFdPZ), Association européenne des zoos et aquariums (EAZA), Association mondiale des zoos et aquariums (WAZA)