Philippe de Pachtère a assuré pendant 10 ans la direction du CCSTI de Lorraine (Au fil des Sciences, à Thionville). Il a ensuite pris la direction d’Annecy pour créer, mettre en place et piloter le CCSTI La Turbine sciences, de 2001 à 2020.
Qu’est-ce qui selon vous a profondément modifié le secteur de la culture scientifique et technique ces dernières années ?
Je pense que le numérique a fait vraiment évoluer les expériences qu’on propose aux publics et, en contre point, je trouve qu’on assiste à un vrai retour en force des ateliers pratiques d’expériences tels qu’on pouvait déjà les faire il y a 20 ou 30 ans.
Quel est votre objet de musée préféré ?
J’ai été captivé très jeune par les dioramas 1, d’abord dans les muséums puis dans les musées d’arts et traditions populaires jusque dans les expositions d’art contemporain. Il y a toujours un vrai défi à tenter de nous faire percevoir une réalité. Aujourd’hui, les technologies du numérique permettent au visiteur d’interagir avec le média exposition voire de devenir l’objet même de l’exposition. Si j’apprécie ces expériences, elles me semblent cependant plus relever de l’esthétique que du scientifique.
Pouvez-vous nous citer une exposition qui vous a particulièrement marqué ?
Ce qui me séduit avant tout c’est la scénographie, avant même la thématique et le contenu scientifique. C’est elle qui va être le facteur déclenchant d’émotion qui va me permettre d’entrer et de m’immerger dans le contenu.
Une exposition qui m’a vraiment marqué dans mon parcours en culture scientifique et technique est « le Jardin planétaire » qui était présenté dans la Grande Halle de la Villette en 1999-2000 avec Gilles Clément comme commissaire d’exposition, pour contribuer à évoquer non seulement une histoire naturelle mais aussi une histoire culturelle de la nature.
J’ai également été interpellé en 1995 par l’exposition « La nuit », présentée au Musée de la Civilisation à Québec, combinant une approche très « sciences humaines » de ce sujet et une mise en scène très ingénieuse.
Vous avez travaillé dans des structures et des territoires différents… Avez-vous identifié des particularités dans les approches des projets ou des façons différentes de travailler ?
J’ai eu l’occasion de travailler effectivement dans des territoires divers mais aussi à des époques différentes et les problématiques de territoire n’étaient pas les mêmes.
Je pense qu’en Lorraine, on était sur des projets qui étaient beaucoup plus enracinés avec le passé industriel du territoire, très en phase avec la montée en puissance de la culture scientifique et technique en région comme accompagnement de territoires en mutation.
Je l’ai moins connu en Haute-Savoie où le lien avec le territoire était plus construit autour des partenaires, des institutions, des hommes et des femmes qui travaillent autour de la recherche scientifique, de l’industrie de pointe, de la protection de l’environnement…
Parmi les projets que vous avez portés, lequel vous semblerait difficile à faire aboutir aujourd’hui ? En quoi faudrait-il l’imaginer différemment ?
Je pense que le projet de la péniche des sciences qui était porté par Au Fil des Sciences a été en quelque sorte une épopée de la culture scientifique et technique en région Lorraine. Pour exister, il ne pourrait plus maintenant trouver un modèle économique raisonnable dans une structure quelconque de culture scientifique et technique. Là où nous avions parié sur l’itinérance pour aller à la rencontre des publics en 26 escales en Lorraine dans l’inconfort d’une périodicité de production d’expositions très rapide, je pense qu’aujourd’hui je la proposerais comme une antenne du CCSTI sur 4 pôles forts comme Nancy, Metz, Épinal et Bar-le-Duc, sur des périodes plus longues, dans une logique d’ateliers créatifs autour des sciences coconstruits avec des partenaires locaux.
Comment imaginez-vous la CSTI dans 10 ans ou 40 ans ? Quels défis nous attendent ?
Je ne suis pas devin mais j’ai toujours l’impression qu’on est encore loin de quitter nos missions de « défricheurs ». Ce besoin chaque matin de mettre un pas dans le vide et de quitter sa zone de confort sera le garant d’un véritable renouvellement des pratiques. J’imagine une place prépondérante des sciences participatives dans les pratiques de CST.
Au-delà de nos frontières, quelles initiatives vous ont inspiré ou intrigué ?
J’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de me déplacer au Québec, dès 1995 dans le cadre d’un voyage d’étude avec l’OCIM. J’avoue que pour moi c’est quelque-chose qui a marqué le début de mon parcours professionnel, dans le sens où j’ai perçu à l’époque qu’on pouvait oser prendre des chemins de traverse, loin des stéréotypes muséographiques européens.
Pouvez-vous nous parler d’une rencontre qui a particulièrement compté pour vous ?
Il y a deux personnes qui ont vraiment inspiré ma vie professionnelle. J’ai eu la chance de croiser Hubert Curien au début des années 1990, avec sa vision très humaine de faire partager la science, notamment lors du lancement de la Science en fête, devenue ensuite la Fête de la science. J’ai également rencontré à deux reprises Jorge Wagensberg à Barcelone, ce qui m’a permis d’une part de préciser la place et le rôle des publics dans nos lieux de culture scientifique, et d’autre part d’affiner la prise de risque nécessaire à tout véritable partenariat.