Pour ma part l’entrée dans la carrière d’acteur de la culture scientifique et technique est à peine plus ancienne que la naissance de l’Amcsti, puisque, alors directeur des affaires culturelles à la ville de Bagnolet, je réalisais ma première exposition scientifique invitant les visiteurs à partir « À la découverte de la vie », en 1977. Ce qui me conduisit en 1979 à proposer un avant-projet de Centre de Culture Scientifique et Technique en Seine-Saint-Denis.
Tel un spectre, une injonction formulée par Jean-Marc Lévy-Leblond, hantait alors les couloirs des très rares rencontres organisées sur la CST : « Il fallait mettre la science en culture » ! Pour ma part, venant de l’action culturelle, je faisais un pas de côté et pensais qu’il fallait plutôt : « Ouvrir la culture à sa dimension scientifique. »
En effet pour moi, la culture a comme premier impératif de permettre à chacun de renforcer ses capacités d’imagination et d’interprétation, de permettre au plus grand nombre d’aborder le monde en conjuguant cette double approche. Si l’art est un outil précieux pour stimuler l’imagination, qui mieux que la science nous ouvre aujourd’hui les portes de l’interprétation ? Cette dimension bicéphale de la culture m’apparaissait donc comme un cheminement naturel.
Non scientifique, je fus et reste certainement un vilain petit canard dans ce monde de la CST qui se peupla rapidement de projets imaginés par des personnalités toutes issues du sérail scientifique. Je reste intimement persuadé que, loin d’être un handicap, cette « virginité scientifique » offre au contraire une parfaite garantie professionnelle pour pouvoir jouer objectivement son rôle d’assembleur culturel. Un assembleur veillant scrupuleusement à ce que la dimension publique de l’objet inventé conjointement par le(s) scientifique(s) et le(s) metteur(s) en forme (décorateur, illustrateur, réalisateur…) soit parfaitement respectée. Tout comme on ne demande pas à un éditeur d’être lui-même écrivain ou à un galeriste d’être peintre, on devrait simplement demander à un directeur de CCST d’être avant tout un spécialiste de la relation aux publics.
Et si je mets ce mot de public au pluriel c’est qu’il est multiple. En schématisant beaucoup, je perçois deux grandes catégories de public. Le public friand de tout, ultra minoritaire, pour qui l’accès à une culture de découverte, dont fait partie la CST, n’est avant tout qu’une question d’information et l’autre catégorie, largement majoritaire, pour qui cet accès à une culture de découverte est beaucoup plus compliqué qu’une simple information, voire une gratuité de l’accès ou toute autre facilité marketing. Il n’est bien sûr pas interdit à un scientifique de tenir cette fonction mais ce n’est nullement un prérequis. Ce n’est pas à lui de prendre la parole pour diffuser le savoir. Son travail consistant à organiser la rencontre entre les authentiques producteurs de savoir scientifique et technique et le public le plus large et, toutes les structures françaises de la CST fonctionnant pour l’essentiel sur de l’argent public, c’est vers la catégorie de public ne disposant pas d’un accès « naturel » à une culture de découverte que doit se mobiliser prioritairement l’énergie des membres de l’Amcsti.
Comment ? Il existe bien sûr de nombreux vecteurs pour réaliser cet objectif. Personnellement je me méfie un peu des manipulations de type « Pif gadget » qui, si elles amusent sur le coup, valorisent plus la notion de réponses magiques que l’ouverture aux questionnements. Or la méthodologie de questionnement propre à la science est l’enjeu majeur de la culture scientifique. Ce d’autant plus à un moment où il devient de plus en plus difficile de distinguer une « fake new » d’une information véritable. Tout l’art du médiateur culturel scientifique consistera en effet à ne pas ensevelir le public sous une avalanche de repères mais à en choisir quelques-uns, centraux à la discipline choisie, qu’il introduira par des questions clairement exprimées.
Cette démarche, qu’elle soit muséale ou d’animation, doit se faire en veillant à rester à une place qui n’est pas celle des enseignants. Pour prolonger le parallèle avec la culture artistique : au théâtre un metteur en scène ne présente pas des cours mais des œuvres autour desquelles des pédagogues peuvent articuler leur enseignement. Un acteur culturel de la CST doit offrir des éléments permettant de développer de multiples mises en scène des sciences et des techniques autorisant soit un simple partage soit des partenariats nombreux avec des enseignants, des sciences, mais également de toutes les autres disciplines. Pour pouvoir prétendre à cette pluralité d’usages et de publics, les productions de CST se doivent de prendre en compte un élément central de leur cahier des charges culturel : le plaisir !
40 ans après la création de l’Amcsti, ce pari de la CST est-il gagné ?
En partie, mais en partie seulement car, si la science est entrée plus naturellement dans l’actualité et les médias, si les structures de CST se sont multipliées, je ne suis pas certain qu’elles aient acquis pleinement toute leur dimension culturelle. Elles m’apparaissent souvent comme un peu trop scolaires.
Le vent de l’expérience – pas toujours porteur de réussites bien sûr ! – qui soufflait il y a 40 ans semble s’être un peu calmé.
La plupart du temps, bloquées par des obstacles institutionnels et le poids des traditions en matière de vulgarisation, les portes du plaisir, que les producteurs de culture scientifique et technique invitent le spectateur à franchir,
ne sont souvent qu’entrebâillées.