La Rochelle et ses tours constituent une jolie carte postale. Derrière ce cliché touristique, se cache une ville qui n’a cessé de se transformer depuis les 40 dernières années.Cette évolution, liée aux vicissitudes de son économie, aux changements de politique publique en réponse à ces mutations, va forger un lien particulier, fluctuant, avec la culture scientifique et technique et ses acteurs.
L’aventure de l’Astrolabe
A la fin des années 1980, La Rochelle subit le même sort que de nombreuses autres villes françaises. La fermeture des usines s’enchaîne et le coup de grâce est porté en 1987 avec l’arrêt du chantier naval. Mais la situation est aussi particulière car sa population avait déjà été très fragilisée par le déclin de son activité de pêche depuis le début des années 1970 (dans les années 1930, La Rochelle est le premier port atlantique en termes de pêche hauturière). La ville est alors en pleine crise. Le maire de La Rochelle, Michel Crépeau, élu depuis 1971, décide à cette période d’opérer un tournant politique fort et de prendre le parti de la technologie pour redynamiser et relever d’un point de vue économique la ville. Le slogan de la ville est alors « La Rochelle, ville haute définition ». C’est ainsi que le projet d’un technopôle regroupant une zone commerciale et industrielle ainsi qu’une université voit le jour sous le nom de Plan Université 2000, en complément de l’IUT existant depuis 1968. L’université de La Rochelle ouvrira ses portes en 1993. La fin des années 1980 à La Rochelle, c’est aussi l’ouverture de l’Aquarium, le début du Musée Maritime avec l’achat du France I (bateau météorologique), le pont reliant l’Ile de Ré au continent… La ville se transforme.
Dans le même temps, emboîtant le pas à un mouvement national vers une démocratisation de la culture et l’émergence
de la culture scientifique dans le champ culturel (et des subventions qui suivent), un tout nouvel équipement culturel est construit et s’ouvre en 1990 dans le quartier sensible de Mireuil, sur les cendres d’une MJC. Cette structure socio-culturelle appelée Astrolabe est gérée par une association et occupe des locaux municipaux construits spécialement pour cet usage. L’objectif était de créer un nouveau lieu attractif, moderne et qui soit un pôle culturel fort pour l’ensemble de l’agglomération, tout en étant au service de la population du quartier. Afin de porter cet objectif de devenir un pôle de référence, une thématique est choisie, ce sera « arts, sciences et techniques ». Le 16 février 1990, l’Astrolabe est inauguré par Jean-Loup Chrétien, astronaute d’origine rochelaise. A cette occasion, le maire Michel Crépeau s’exprime en ces termes « Nous avons souhaité des activités nouvelles inventées par les Mireuillais eux-mêmes, mais aussi des activités nouvelles proposées par eux à l’ensemble des rochelais. Notre ville qui cherche à assumer son temps ne peut pas ignorer la science et la technologie dans ses activités d’animation et de culture ». 1
L’Astrolabe va rassembler de nombreuses activités autour des sciences : un club d’astronomie, des ateliers sciences et techniques, des expositions temporaires, conférences, outils itinérants (exposition, planétarium). Les premiers bilans indiquent une fréquentation en hausse régulière d’une année sur l’autre (12 000 personnes en 1995 jusqu’à 17 000 personnes en 1998), avec une grande part de scolaires notamment sur les expositions temporaires et près de la moitié de cette fréquentation provient des animations hors les murs. L’association fonctionne avec les subventions de la ville de La Rochelle et décroche un accord-cadre entre l’Etat, la région et l’Espace Mendes France qui lui permet d’obtenir également un budget important sur quatre années.
Mais en regardant au-delà de ces premiers bilans, des failles apparaissent déjà dans les bases de cette structure. L’Astrolabe n’est pas un centre de culture scientifique mais un centre socio-culturel dont l’une des branches d’activités est dédiée à la science. Il y a aussi une section dédiée aux activités d’art (art graphique principalement), une autre aux activités corporelles et un centre de formation pour les jeunes en réinsertion. Cette diversité, qui aurait pu être source d’enrichissement mutuel, devient vite un vrai handicap : les sections ne travaillent pas entre elles et le pôle d’activité scientifique phagocyte l’attention et les subventions. De plus, le public drainé par l’Astrolabe n’est pas le public du quartier dans lequel il est implanté, mettant à mal le projet même de centre tourné vers ce quartier sensible. Les tensions au sein de l’équipe ne cesseront de grandir, tout comme celles entre l’association qui gère l’Astrolabe et la municipalité.
Le renouveau du Muséum d’Histoire naturelle
Dès 1995, cinq ans seulement après son ouverture, la ville souhaite que l’association en charge de la gestion de l’Astrolabe repense son projet avec trois points forts : renforcer la partie « sciences et techniques », favoriser le public du quartier de Mireuil et relier le pôle « sciences » au Muséum. La ville de La Rochelle a alors en projet de rénover le Muséum d’Histoire naturelle créé en 1832.
1995 est aussi l’année où démarre une étude de programmation pour la rénovation du Muséum sous l’égide de sa conservatrice Michèle Dunand. La municipalité souhaite qu’il devienne un pôle de référence régionale dans le domaine de la diffusion des sciences voire un pôle international sur certains domaines de référence. La même année débute la première phase des travaux avec la création de nouvelles réserves pour les collections. Puis en 1998 commencent les travaux de rénovation de la scénographie qui dureront neuf ans : réhabilitation du bâtiment Fleuriau qui abritait le Muséum régional accueillant les locaux administratifs et la bibliothèque scientifique, création d’un espace pédagogique dans une ancienne serre, restructuration de l’ensemble du bâtiment Lafaille afin de réhabiliter les anciens espaces muséographiques et reconvertir les sous-sols, bureaux et combles en de nouvelles salles d’exposition. La cour d’honneur est creusée pour créer une nouvelle salle d’exposition temporaire en sous-sol. Le Muséum passe ainsi de 900 m2 d’exposition à près de 2 300 m2. De nombreux nouveaux services sont créés pour le visiteur : salle d’atelier, bibliothèque scientifique ouverte au public, exposition temporaire, boutique. Le 27 octobre 2007, le Muséum rouvre ses portes durant 24 heures. Les rochelais s’y précipitent et plus de 8 500 visiteurs se presseront pour découvrir ce nouvel équipement.
Pendant les travaux, en 2000, la mairie décide que le rapprochement du pôle Sciences et Techniques de l’Astrolabe vers le Muséum deviendrait un rattachement physique. La conservatrice du Muséum devient donc la référente hiérarchique de l’équipe « Sciences » de l’Astrolabe qui compte alors un responsable, deux animateurs et deux conseillers scientifiques. Ils s’installent dans les nouveaux bureaux du Muséum. Les raisons de ce transfert sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, la municipalité de La Rochelle souhaite que le Muséum devienne la tête de pont de la diffusion des sciences avec un rayonnement régional et national. Ensuite, il semble logique que le Muséum devienne également un pont avec la recherche et l’enseignement supérieur (ministère de tutelle qui a soutenu financièrement sa rénovation). Enfin, la municipalité estime que les partenariats passés avec le pôle Sciences et Techniques de l’Astrolabe dépasse les capacités de la structure ou de l’association et seront plus de l’envergure du Muséum. Le transfert de cette équipe va permettre à celui-ci de continuer une programmation notamment vers les scolaires pendant sa fermeture durant les travaux.
La rénovation du Muséum permet de doubler sa fréquentation (en moyenne entre 15 000 et 20 000 visiteurs avant rénovation et entre 40 000 et 45 000 juste après rénovation). Il bénéficie également de la présence d’un service de médiation important grâce au transfert du personnel de l’Astrolabe. Toutefois le bilan reste très mitigé entre l’ambition affichée (devenir un pôle de rayonnement de la culture scientifique au niveau régional et national) et les résultats quelques années après sa réouverture. Il faut attendre le changement de direction en 2013 avec l’arrivée d’Elise Patole-Edoumba pour qu’une nouvelle dynamique s’enclenche pour le Muséum.
Création d’un réseau des acteurs de la culture scientifique
Depuis la fin des années 1980, le maillage des établissements et associations de diffusion de la culture scientifique n’a cessé de se densifier sur La Rochelle : 1986, création des Amis du Musée Maritime, 1988 ouverture de l’Aquarium, création du Musée Maritime, 1997 création de l’association des Amis du Muséum de La Rochelle, 2001 création de l’E.C.O.L.E de la mer, 2013 est celle du Bleu versant… auxquelles viennent s’ajouter les antennes départementales d’associations nationales comme la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), Nature Environnement, Les Petits Débrouillards… Dans ce cadre, plusieurs tentatives de création d’un centre de culture scientifique et technique ont échoué. Les seuls moments de rassemblements de ces acteurs sont restés les évènements autour de la Fête de la Science qui se succèdent depuis 1992 (pilotés par l’Astrolabe puis par la Rochelle Université).
En mai 2015, les « Assises de la culture » organisées par la mairie de La Rochelle ont réveillé l’idée de créer un réseau de la culture scientifique. En juin de la même année, à l’initiative du Muséum, une table-ronde a été organisée pour envisager de fédérer ces acteurs. C’est en juillet 2016 que se crée l’association ESCAL’Océan (Espace Science Culture Associé au Littoral et à l’Océan). Venant d’univers différents, ces établissements publics, privés et ces associations ont pour point commun d’être
des « passeurs de savoir ».
En 2019, le consortium rochelais (Communauté d’Agglomération, Ville de La Rochelle, Université, Atlantech, Port Atlantique) est lauréat d’un appel à projet national « Territoires d’Innovation » grâce à son projet « La Rochelle Territoire Zéro Carbone » (LRTZC). Le président de la Communauté d’Agglomération et Maire de La Rochelle, Jean-François Fountaine, indique « En agissant sur les mobilités durables, l’écologie industrielle et territoriale, les énergies renouvelables, la préservation de l’océan, l’efficacité des bâtiments… mais aussi et surtout en mobilisant les citoyens, nous ferons la preuve qu’une autre trajectoire est possible » 2. La volonté de la municipalité est de mettre en place un volet de médiation important vers sa population car la sensibilisation du public apparaît comme un préalable nécessaire avant toute action. C’est ainsi que se crée l’exposition temporaire « Climat-Océan » ouverte le 9 novembre 2019 au Musée Maritime. Elle est conçue comme une préfiguration d’un espace permanent qui serait une vitrine pédagogique des actions menées dans le projet LRTZC. C’est dans ce contexte d’un projet de territoire fort autour de la science et de l’innovation, auquel s’ajoute quelques années plus tard l’ambitieux projet « Science pour et avec la société » du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’innovation », que naît le réseau ESCAL’Océan.
En cinq années d’existence, grâce à des subventions publiques (Région Nouvelle-Aquitaine, Communauté d’agglomération de La Rochelle) mais aussi des commandes publiques (Ville de La Rochelle, Communauté d’agglomération de La Rochelle), cette association a permis de créer une nouvelle programmation incluant conférences, balades, projections de documentaires suivies de débats, ayant lieu dans différents lieux partenaires afin de rayonner au plus large sur le bassin de vie de l’agglomération. Le réseau a également permis le développement d’actions inédites comme le Forum enseignant « Infuse ta science », le week-end Eau autour de la journée mondiale de l’eau ou encore le Festival de l’eau. La force de cette association est aussi d’avoir pu créer des catalogues d’animations scientifiques autour de différents thèmes : « climat et océan » afin d’animer l’exposition du même nom se trouvant au Musée Maritime ou encore « Eau » répondant ainsi à une demande du service des Eaux de l’Agglomération rochelaise.
En retraçant l’historique récent de la diffusion de la science sur le territoire rochelais, il est remarquable de voir que le portage de la culture scientifique n’a eu de cesse de changer de main sans réelle continuité ni regroupement des synergies pourtant bien présentes sur le territoire. Les politiques publiques semblent pourtant toujours du côté de la science, de la technologie et de l’innovation. Alors si la volonté publique est présente, si la recherche est active sur le territoire, si les acteurs de la diffusion des sciences sont nombreux, complémentaires et de qualité, que manque-t-il pour que l’ensemble puisse enfin fonctionner de concert et dans l’intérêt de la population ? Espérons que la structuration de ce nouveau réseau, acteur de la diffusion des sciences, soit une partie de la réponse.
1 La Rochelle informations, spécial Astrolabe, février 1990
2 Dossier de presse « La Rochelle Territoire Zéro Carbone » 2019
Sources :
Chantal Vetter, 2003. «De la maison de quartier de Mireuil à l’Astrolabe/Espace culture de quartier. 1972-2002,
30 ans d’action culturelle dans un quartier d’habitat social». Mémoire de DESS Développement culturel de la ville, Univ. La Rochelle.
Michèle Dunand, 2007. « Le Muséum d’Histoire naturelle rénové de La Rochelle ». Musées & collections publiques de France, N°252.
Pierre Gordon, 2010. « Les politiques culturelles de la ville de La Rochelle : Histoire de l’Astrolabe de Mireuil, 1986-2006. ». Mémoire de Master 1 Histoire, Univ. La Rochelle.