L’engagement citoyen avec et auprès des chercheurs peut se penser à des échelles différentes. D’un travail de proximité avec des habitants, des usagers jusqu’aux dispositifs d’innovation ouverte les formes sont diverses.
Au travers de ces témoignages, nous avons voulu croiser des regards sur les apports respectifs dans un secteur professionnel en l’occurence l’agriculture et l’environnement.
Voir l’autre point de vue, de Quentin Delachapelle, agriculteur et président du réseau des Centres d’Initiative pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural (CIVAM)
Pourriez-vous nous présenter votre démarche de construction de collaboration entre le méta-programme EcoServ de l’INRA et le réseau des CIVAM ?
Nous sommes encore en phase exploratoire. Ce qui est certain c’est que ce méta-programme se veut véritablement transversal et destiné à souder une communauté sur les services écosystémiques.
Cette action conduite par plus de 1 600 scientifiques dans le monde, a permis de populariser cette notion de services écosystémiques, à savoir les services rendus aux humains par la nature. Ce concept est à l’interface entre la science et les citoyens.
On retrouve la diversité des instances concernées par les services écosystémiques sur la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)1. Plus généralement, les actions conduites dans ce cadre peuvent aller de la gouvernance des politiques publiques à des enjeux beaucoup plus locaux autour d’un concept qui est censé être un levier pour accroître la place de l’agroécologie.
Comment pourrions-nous qualifier la différence entre agroécologie et services écosytémiques ?
L’agroécologie s’intéresse aux écosystèmes cultivés là où les services écosystémiques regardent les écosystèmes de manière beaucoup plus large. L’agroécologie est à la fois une branche disciplinaire qui essaie de réunir l’agronomie et l’écologie, et un mouvement social ; cela désigne aussi un ensemble de pratiques agricoles. L’idée est finalement de promouvoir des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et qui s’appuient sur le fonctionnement de l’écosystème et le rôle de la biodiversité.
Ce que l’on appelle les services écosystémiques, c’est une sortie « ultime » du fonctionnement de ces écosystèmes pilotés par des pratiques agricoles.
Il y a plusieurs catégories de services écosystémiques :
- les services de régulation, de maintien : ils concernent la régulation et la maintenance de toutes les conditions qui sont importantes pour le bien-être humain ;
- les services culturels, par exemple la biodiversité patrimoniale ;
- les services d’approvisionnement, qui incluent la production agricole, de bois, de matières à vocation énergétique ou pour d’autres usages ; pour ces services « marchands », il y a débat : certains parlent de « biens » plutôt que de services.
Les services écosystémiques ont été promus par des chercheurs qui étaient à l’interface entre l’écologie et les sciences économiques. Derrière il y a souvent une valeur utilitariste et une idée de monétarisation que certains contestent, des philosophes mais aussi les personnes du CIVAM qui ne partagent pas la vision utilitariste selon laquelle tout serait transformable en unités monétaires.
De fait, on ne peut réduire l’évaluation des services à une évaluation strictement économique ; cette évaluation doit et peut être aussi sociale et environnementale.
Dans un certain nombre de cas, l’économie arrive en force, par exemple dans les politiques publiques. Les CIVAM ont des préoccupations sur la notion de paiement pour services environnementaux, lesquels ne sont pas équivalents aux services écosystémiques mais relatifs à des actions pour les préserver. Cette notion pose beaucoup de questions, notamment sur l’évaluation : par exemple est-ce que tel ou tel service permet réellement de compenser telles ou telles dégradations réalisées par ailleurs ?
Pourquoi ce rapprochement avec le CIVAM ?
Il s’est produit par une volonté commune du CIVAM et de l’INRA. Il y a eu une démarche de construction d’une convention entre l’INRA et le CIVAM, qui travaillent de concert depuis un certain temps sur des sujets autres que les services écosystémiques.
Ce rapprochement du méta-programme EcoServ avec le réseau CIVAM a pour objectif de monter des projets avec les acteurs dans les territoires et pour cela la notion de services semblait propice à cette interface entre les scientifiques et les acteurs.
Les CIVAM ont une démarche agroécologique générale, ils ont un souci de l’autonomie énergétique, décisionnelle et de l’ordre de la connaissance. Ils sont eux-mêmes en recherche d’apprentissage et non pas de recettes à appliquer. Cette démarche rejoint ce que l’on veut faire en recherche et c’est pour cela que nous nous sommes rapprochés.
Qu’allez-vous produire, de la réflexion ou de l’accompagnement à l’amélioration ?
C’est justement le point de débat. Côté méta-programme, nous nous sommes dit qu’il fallait monter au plus vite des projets sur le terrain avec des agriculteurs des CIVAM. Nous avons donc produit une première série d’idées sur les infrastructures agroécologiques et les avons soumises à notre partenaire.
Mais nous avons assez vite compris que le CIVAM ne voulait pas commencer par cela. Il souhaitait d’abord avoir une réflexion plus globale. Voilà où nous en sommes.
Ce positionnement semble paradoxal : finalement les chercheurs promeuvent une action de terrain, là où les agriculteurs souhaitent être dans une réflexion ?
Les CIVAM sont très préoccupés par la question des paiements des services environnementaux (PSE). Et avant de penser projet concret, ils veulent avoir une phase de réflexion, qui oblige à se poser la question de l’évaluation et de ses critères biologiques, écologiques, économiques mais aussi celle de la manière dont cela va pouvoir être contrôlé, ce qui fait entrer la question juridique dans la boucle de discussion.
Nous allons donc organiser un séminaire commun afin de nous mettre d’accord sur ces questions. Et nous souhaitons, au travers de ces questions, pouvoir ensuite développer des projets sur le terrain.
Les CIVAM ont une vision globale et systémique des choses. Leur crainte est d’arriver à une vision segmentée.
Le méta-programme EcoServ défend une vision « bouquet de services » qui s’intéresse aux interactions entre les services, positives ou négatives. Et nous pensons que cette vision rejoint celle des CIVAM. Ceux-ci souhaitent que l’on ne parle pas que de la dimension environnementale mais aussi de la question des services pour l’emploi, l’alimentation…
Toutefois, en voulant utiliser un concept, certes fort et large, mais qui n’embarque peut être pas tous les sujets considérés par les deux parties, nous risquons de ne pas atteindre nos objectifs. C’est en ce sens que l’échange, le dialogue, les retours sont la force de ce partenariat.
Pensez-vous que ces méthodes peuvent à long terme être bénéfiques pour nos sociétés ?
Nous essayons de créer une synergie entre les types de connaissance des uns et des autres.
C’est primordial pour une agriculture basée sur la biodiversité.Bien que compliqué, il est important de favoriser cette synergie pour finalement augmenter le potentiel général, augmenter les forces d’innovation. L’échelle de travail est également essentielle, car pour les services écosystémiques, tout ne se résume pas à celle d’une parcelle agricole. Il est aussi capital de considérer la diversité des acteurs impliqués de près ou de loin dans la construction de modalités de gestion des écosystèmes cultivés, leurs relations sociales, et les échelles correspondantes.
L’idéal dans ces projets territoriaux est d’arriver à faire travailler ensemble une diversité d’acteurs. Cette idée se retrouve dans les « territoires d’innovation de grande ambition ».
Mais il faut souligner que les valeurs, les perceptions des différents services écosystémiques ne sont pas les mêmes pour les divers acteurs. Des protecteurs de la nature, des forestiers, des agriculteurs ont des objectifs et des enjeux spécifiques, et donc des perceptions différentes de tel ou tel service écosystémique.
Il faut donc chercher des compromis acceptables pour tous les acteurs impliqués, et des modalités de gestion qui permettent de les atteindre.
C’est probablement ainsi que l’on peut qualifier le terme de science engagée.
Pour aller plus loin sur cette thématique : découvrez le point de vue de Quentin Delachapelle, agriculteur et président du réseau des Centres d’Initiative pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural (CIVAM)