L’engagement citoyen avec et auprès des chercheurs peut se penser à des échelles différentes. D’un travail de proximité avec des habitants, des usagers jusqu’aux dispositifs d’innovation ouverte les formes sont diverses.
Au travers de ces témoignages, nous avons voulu croiser des regards sur les apports respectifs dans un secteur professionnel en l’occurence l’agriculture et l’environnement.
Voir l’autre point de vue, de Françoise Lescourret, directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA)
Pouvez-vous rapidement présenter le réseau CIVAM ?
Le réseau des Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural fédère 12 000 citoyens, pour la plupart paysans, au travers de plus de 100 groupes répartis sur l’ensemble du territoire français. Ces groupes agissent dans des domaines aussi divers que la transition vers l’agroécologie, la relocalisation de l’alimentation, le lien social et la création d’activités rurales.
Comment est venu le rapprochement avec le méta-programme sur les services écosytémiques porté par l’INRA ?
Des groupes CIVAM sont impliqués dans des projets de recherche et développement avec l’INRA depuis près de 20 ans. Une convention cadre de collaboration entre nos 2 organisations a été signée au niveau national en 2014, afin de faciliter nos collaborations et développer nos capacités réciproques à intégrer les nouveaux enjeux dans les programmes de recherche appliquée. Notre réseau est engagé depuis de nombreuses années sur l’évolution des politiques publiques visant la prise en compte de l’environnement dans les pratiques agricoles ; le méta-programme sur les services écosystémiques a rapidement été identifié comme un axe permettant d’alimenter notre réflexion sur les conditions de mise en œuvre de ces politiques publiques.
Peut-on dire que tous les membres des CIVAM sont tournés vers l’agroécologie ? Et pourquoi ce choix ?
Ce choix est le résultat de l’évolution de l’agriculture et le besoin de renforcer la résilience de nos agrosystèmes. Notre réseau a contribué, comme l’ensemble des organisations agricoles, à la modernisation de l’agriculture au milieu du XXè siècle. Nous nous inscrivons dans les mouvements d’éducation populaire et notre vocation a toujours été de donner à nos membres les moyens de leur émancipation sociale et donc d’acquérir une autonomie décisionnelle. Dès les années 1980, des groupes CIVAM, qui avaient été en pointe dans la modernisation, ont commencé à s’interroger sur l’efficience de cette dernière et ses conséquences tant économiques que sociales. Diverses initiatives ont alors émergé, suivant les problématiques auxquelles les paysans étaient confrontés localement, certains groupes développant dès cette période une reprise en main de leur commercialisation via les circuits courts et d’autres, l’évolution de leurs pratiques vers une valorisation du milieu naturel en vue de diminuer le recourt à des achats extérieurs (aliments du bétail, engrais, produits chimiques…). Aujourd’hui, l’ensemble de nos groupes partage ce constat que l’agriculture doit valoriser au mieux son milieu pour assurer sa pérennité, et notre réseau travaille donc au quotidien sur la déclinaison de l’agroécologie, à la diversité des contextes locaux afin de permettre à chaque paysan d’évoluer vers une agriculture ancrée dans son territoire et en phase avec les enjeux sociaux et environnementaux actuels.
Pouvez-vous nous donner votre définition de « paiement pour services environnementaux » ?
La notion même de paiement pour services environnementaux (PSE) nous pose de nombreuses questions avant même de pouvoir la définir précisément. Nous considérons que le paysan et sa ferme font partie de la nature et l’un n’est pas au service de l’autre. Il est important de garder une vision globale et territoriale de l’agrosystème dans un milieu naturel où les interactions sont nombreuses. Si la rémunération des services non pris en compte par les marchés agricoles est un enjeu important pour faire évoluer les pratiques vers l’agroécologie, celle-ci ne doit pas engendrer un découpage des « services » qui aboutirait à la souscription de mesures à la carte sans cohérence avec l’activité de production, voire engendrant des contradictions entre enjeux territoriaux. Nous sommes très attachés à la notion de multi-fonctionnalité de l’agriculture qui nous semble plus cohérente en intégrant, au-delà de l’aspect environnemental lié aux PSE, les services pour l’emploi, la qualité de l’alimentation, la vie des territoires… Il ne faut pas voir ces services comme des services uniquement pour l’agriculture mais pour toute la société. La forme que les PSE pourraient prendre dépend du contexte : dans les zones très artificialisées, ils doivent permettre de faire évoluer les fermes vers des systèmes plus vertueux et dans les zones plus préservées, ils doivent permettre aux systèmes de perdurer, de consolider leur impact positif sur l’environnement voir de recréer des espaces de préservation.
Quelle est la plus-value envisagée du côté des CIVAM sur ce rapprochement ? Qu’attendez-vous de vos échanges avec les chercheurs ?
Nous sommes très attentifs à ce que la mise en place de PSE soit encadrée via une politique publique et que les dispositifs qui en découlent fassent l’objet d’une évaluation démocratique, publique et territoriale. La Politique agricole commune a progressivement mis en place, depuis 1992, des mesures agro-environnementales pouvant se rapprocher de la notion de PSE. De nombreuses fermes de notre réseau ont mobilisé ces mesures et sont aujourd’hui un vivier d’expériences permettant d’évaluer les conditions de réussites de ces outils pour engager une transition vers l’agroécologie. Nous souhaitons donc interagir avec la recherche afin de prendre le recul nécessaire sur ces expériences de terrain et définir les outils indispensables pour l’accompagnement d’une généralisation de l’agroécologie.
Pensez-vous que le duo chercheur-paysan devrait se généraliser afin de promouvoir de nouvelles formes d’agriculture et globalement plus d’engagement de la société civile au côté des chercheurs ?
Nous considérons les paysans comme les premiers acteurs de la recherche. Un paysan qui s’intéresse à l’agroécologie est conduit à mener ses propres expérimentations pour adapter ses pratiques à son contexte. La difficulté actuelle est de capitaliser ces expériences pour identifier les verrous socio-techniques et les leviers à mobiliser pour une généralisation de la transition. L’intensification de l’agriculture s’est basée sur un modèle très vertical dans lequel le paysan est déconnecté de la recherche via de multiples intermédiaires. Aujourd’hui ce modèle est totalement inopérant face aux nouveaux enjeux auxquels l’agriculture est confrontée au quotidien et qui mobilisent une grande diversité de disciplines scientifiques. Le paysan est amené à s’interroger en permanence sur ces choix techno-économiques et la construction des outils nécessaires à son accompagnement nécessite une interaction directe entre les acteurs de terrain, au premier rang desquels sont les paysans et les chercheurs. Cela implique une redéfinition complète du processus de construction des partenariats entre paysans et chercheurs, à commencer par la définition même des sujets de recherche qui doivent être co-construits le plus en amont possible avec les paysans confrontés à des situations problématiques.
Comment imaginez-vous une implication à vos côtés d’autres citoyens ?
Nous avons de nombreux groupes CIVAM dans lesquels se côtoient des citoyens paysans et non paysans. C’est grâce à cette mixité que nous avons pu anticiper les évolutions actuelles. Les citoyens qui ne sont pas confrontés au quotidien à la production agricole ont un regard plus neutre et permettent aux paysans une certaine prise de recul nécessaire à l’intégration des attentes sociétales. Il faut réussir à proposer de nouvelles formes de construction des sujets de recherche, en associant également les citoyens intéressés par ces questions, au même titre que les paysans. La recherche participative ne doit pas se limiter à la collecte de données mais doit également tendre vers une définition des problématiques à soumettre aux chercheurs.
Pour aller plus loin sur cette thématique : découvrez le point de vue de Françoise Lescourret, directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA)