Croiser les regards, les points de vue, faire se croiser les arts et les sciences, de nombreuses démarches existent en ce sens.
« Avec “La recherche de l’art”, le laboratoire est ainsi devenu un centre d’investigation photographique. Un lieu d’exploration et de découvertes, où l’art fait apparaître la science autrement.
Un partenariat signé entre l’Inserm et l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles (ENSP) permet de jeter des ponts entre deux mondes : le scientifique et l’artistique.
Des étudiants de l’école investissent chaque année les laboratoires de recherche de l’Inserm. Ils répondent à un double défi : s’affranchir des codes de la science pour éviter la littéralité et donner à voir au public comme aux chercheurs une vision différente de la pratique scientifique. Il en résulte une exposition et des publications autour du thème fédérateur “La recherche de l’art”. »
Témoignages : Anna Broujean & Stanislas Lyonnet
L’Inserm et l’École nationale supérieure de la photographie ont noué depuis des années une collaboration. Il s’agit d’inciter des étudiants en photographie à rencontrer, traverser, regarder l’univers des sciences.
De ces croisements naissent des échanges, des réflexions, des questionnements de la part des photographes comme des chercheurs.
Nous avons voulu savoir ce qu’avaient pensé Anna Broujean, photographe et Stanislas Lyonnet, chercheur en génétique à l’Inserm, de cette collaboration.
Plonger dans l’univers de la science, d’un chercheur c’était comment ?
Anna Broujean :
Je m’intéresse aux liens qui se tissent entre la science et l’art depuis de nombreuses années, et plus particulièrement à l’influence de la science dans l’art. L’une de mes plus grandes sources d’inspiration est la science-fiction.
Le projet proposé à l’Inserm est né d’une précédente série réalisée en résidence à Shanghai en 2016. J’y avais découvert les recherches de scientifiques chinois ayant greffé une oreille humaine sur le dos d’une souris et j’avais alors imaginé des sculptures sur plantes vertes représentant des mutations dans un futur proche. Rayonnement Gamma s’inscrit dans la continuité directe de ce projet. Grâce à l’Inserm, j’ai pu interviewer différents scientifiques qui m’ont expliqué leur processus de recherche, leurs expérimentations, leurs journées de travail ; c’est avec cette base d’informations que j’ai construit le monde fictif de ce projet.
Pouvez-vous nous présenter votre travail lors de cette immersion ?
Anna Broujean :
Ma résidence à l’Inserm n’a pas été une immersion, et c’est ce qui a rendu la résidence riche et intéressante. J’ai pu construire mon projet indépendamment et faire appel à différents pôles de recherche selon mes besoins. Je suis allée puiser librement dans les archives de l’Institut, j’ai été visiter les laboratoires modifiant l’ADN de souris, j’ai posé des questions à une spécialiste du cœur, la responsable de la plateforme génomique m’a expliqué les problématiques de son département, j’ai parcouru les salles de l’école de médecine, Édith Doucet, ingénieure et maintenant chargée de communication, m’a montré comment faire fonctionner des machines scientifiques… Ces différentes rencontres et les déambulations entre services m’ont permis de construire un projet transversal, qui interroge les problématiques des laboratoires : méthodes de travail, expérimentations, rapport au patient, matériel médical, etc. À partir de ces observations, j’ai pu construire une fiction : un laboratoire, créé en 2030 après une catastrophe météorologique, qui étudie les effets des rayons gamma sur le comportement cutané humain.
Savoir que son travail, son univers va être regardé, observé, interprété par une artiste est une expérience singulière pour un chercheur, comment l’avez-vous perçu ?
Stanislas Lyonnet :
À l’institut Imagine, comme dans beaucoup d’autres laboratoires de recherche de l’Inserm, il est possible d’établir un parallèle entre les démarches de créations scientifique et artistique. Non pas que les chercheurs se prennent pour des artistes, ou l’inverse, mais parce qu’intellectuellement, tout comme dans les capacités d’enthousiasme, de passion et d’inventivité, les processus intellectuels sous-jacents à ces deux domaines peuvent être rapprochés : question, hypothèse, méthode, expérience, résultats et leur présentation. Il s’en dégage des qualités, au fond, partagées : passion, abnégation, rigueur, tout comme désir d’être utile aux autres ou encore de donner un sens à son ouvrage ou son œuvre.
Cette réflexion a pour corollaire l’acceptation, me semble-t-il assez naturelle pour le scientifique, que son travail puisse avoir un intérêt intrinsèque artistique. Tout cela peut débuter par de simples observations de circonstance, donnant aux fruits de la recherche une dimension esthétique ; mais aller bien au-delà, quand le regard sur le processus de questionnement scientifique, permet à l’artiste de créer sur un thème qu’il travaille.
Je ne pense pas que, pour un scientifique, le sentiment d’être observé ou interprété représente une gêne quelconque, pourvu que cette démarche, naturellement, puisse se fonder sur un échange de « bons procédés », au sens le plus strict de ces mots.
Pour illustrer ces quelques mots, il me vient à l’esprit que j’ai eu la chance de visiter l’atelier de Philippe Parreno, en compagnie de Kamel Mennour, l’un des grands bienfaiteurs d’Imagine. Cette visite a conforté cette opinion.
En jouant avec les mots, en transformant les sons en images, ou vice-versa, en s’intéressant aux modèles vivants que représentent les organismes animaux, Philippe déploie un véritable programme de recherche, une entreprise scientifique, une machination poétique, dans laquelle les grands canons de la biologie moderne sont représentés en toute majesté : l’image sous toutes ses formes, la perception du temps long de l’évolution des espèces, les données recueillies en nombre, la génétique tout comme le sens ontologique, ou encore les neurosciences notamment sous l’angle des sensorialités.
Savoir, en écho à cela, que cet artiste philosophe pourrait avoir envie d’intégrer dans son œuvre, comme un composé ou un pigment, nos propres expériences, a au contraire quelque chose de très réconfortant pour les chercheurs que nous sommes.