Directeur du département sciences et techniques de la Bibliothèque nationale de France, Michel Netzer analyse le développement de la place des sciences dans les bibliothèques, qui ambitionnent de faciliter l’accès à tous les savoirs et créer du lien social.
Pourriez-vous rapidement présenter votre parcours ?
Je placerais volontiers mon parcours sous le double signe de la curiosité intellectuelle qui m’a toujours animé et de ma crainte de m’enfermer dans une spécialité. Après des études de langue et littérature allemandes, je me suis intéressé à l’histoire des sciences et à la « culture scientifique » dans la continuité de mon travail de maîtrise sur l’œuvre de l’écrivain autrichien Robert Musil, qui était ingénieur de formation. Puis le déroulement de ma carrière de conservateur des bibliothèques m’a permis de découvrir la diversité de ces institutions, depuis le réseau de lecture publique de la Ville de Paris jusqu’à la Bibliothèque nationale de France, en passant par le service commun de la documentation médicale de l’université Pierre et Marie Curie. Je dirige aujourd’hui le département sciences et techniques de la BnF.
Vous avez coordonné l’ouvrage Les sciences en bibliothèque1: pour quelles raisons le faire maintenant ?
Il y a eu un précédent… En 1994 paraissait, à peu près sous le même titre et chez le même éditeur, un ouvrage collectif dirigé par Francis Agostini2 dont l’objectif déclaré était de « faire entrer la science » dans les bibliothèques de lecture publique. A l’époque, on déplorait la faiblesse des fonds scientifiques dans les bibliothèques municipales et départementales et l’on regrettait que celles-ci restent à l’écart du mouvement de diffusion de la culture scientifique et technique qui prenait alors forme à travers la création des centres de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) et l’ouverture de la Cité des sciences et de l’industrie. Vingt ou vingt-cinq ans plus tard, on constate un enrichissement de l’offre documentaire et un intérêt grandissant de la part des professionnels de la lecture publique pour les questions relatives à la médiation des sciences.
Mais cette prise de conscience se traduit encore insuffisamment dans la réalité de la programmation culturelle des bibliothèques. Sans doute est-ce en partie lié au fait que les bibliothécaires sont majoritairement issus de filières d’études littéraires et que leur formation professionnelle accorde trop peu de place à la culture scientifique et technique. D’où l’utilité d’un ouvrage qui leur apporte à la fois des éclairages théoriques sur les fondements de la culture scientifique et, de manière pratique, répond à la question : comment constituer un fonds de sciences en bibliothèque, le valoriser et organiser des actions de médiation scientifique auprès du public ?
Pensez-vous pouvoir lier ce développement de la place des sciences dans les bibliothèques avec le renouveau de ces dernières ?
Non, je ne pense pas. Les évolutions que connaissent aujourd’hui les bibliothèques sont principalement liées à la révolution numérique, qui modifie profondément notre rapport au savoir.
Les bibliothèques s’adaptent aux mutations culturelles, économiques et sociales qui en découlent en offrant de nouveaux services, comme la consultation de ressources en ligne ou le prêt numérique, en faisant davantage de médiation, sur place et à distance, et en réaménageant leurs espaces afin de les rendre plus conviviaux ; elles ont besoin de lieux d’échanges présentiels pour les communautés virtuelles, pour créer du lien social.
Ces nouveaux usages sont transverses à tous les domaines de la connaissance. Ce qui est déterminant – me semble-t-il – pour expliquer le renouveau des sciences en bibliothèque, c’est plutôt la légitimité acquise par la culture scientifique et technique dans l’opinion publique, la conscience croissante de la place qu’occupe aujourd’hui la science, ou la « technoscience », dans notre société.
Les bibliothèques de lecture publique, encyclopédiques par vocation, ont pour mission de faciliter l’accès du plus grand nombre au savoir, à tous les savoirs : il leur incombe naturellement de favoriser la diffusion des connaissances scientifiques auprès des citoyens afin de leur permettre de participer aux débats en lien avec les enjeux sociétaux de la science et de la technologie.
Au-delà des fonds documentaires, comment pourriez-vous décrire les coopérations avec les acteurs de la médiation des sciences ?
Les bibliothèques, qui offrent un maillage fin du territoire, peuvent tout d’abord être des lieux d’accueil pour des actions de médiation organisées par les organismes spécialisés dans la diffusion de la culture scientifique et technique. Elles peuvent également – c’est encore plus souhaitable – participer à des degrés divers à la conception ou l’organisation de ces activités en partenariat avec ces mêmes structures, des CCSTI, des associations ou des universités.
Si les expositions et les conférences-débats restent les manifestations les plus répandues au sein de la programmation culturelle des bibliothèques dans le domaine des sciences, d’autres types d’animations, plus exigeants en termes de matériel et de conditions de réalisation, sont proposés aujourd’hui, comme par exemple les ateliers de découverte ou de pratique scientifique, généralement organisés avec le concours d’associations comme les Petits débrouillards. Il me semble important de souligner que la coopération entre les bibliothèques et les acteurs de la CSTI est d’autant plus bénéfique qu’elle s’inscrit dans la durée. La Fête de la science devrait avoir lieu tout au long de l’année !
- Les sciences en bibliothèque, Édition du Cercle de la librairie, 2017
- Francis Agostini (dir.), Science en bibliothèque, Éd. du Cercle de la librairie, 1994. Cet ouvrage a notamment contribué à éclairer auprès des bibliothécaires le concept controversé de vulgarisation scientifique.