Évoquer la diffusion de la culture scientifique à l’échelle régionale n’a rien d’anecdotique. L’engagement, de longue date, des chercheurs, des acteurs éducatifs, et des collectivités locales, a permis et permet de créer une dynamique, des communautés d’intérêts , et de faire en sorte que le tout soit supérieur, à la somme des parties. Le présent article permet de donner à voir la trajectoire des acteurs au profit des jeunes et des moins jeunes, des territoires qui composent la région et plus largement de l’économie de la connaissance.
La dimension culturelle de la science
La Bretagne, de par son histoire et sa géographie, a été à l’écart des vagues d’alphabétisation de l’époque moderne. Du fait de l’absence de ressources naturelles à l’exception notable de la ressource halieutique, elle n’a pas non plus bénéficié de l’impact des révolutions industrielles pour son développement. En conséquence, à la fin du XIXème et lors de la première moitié du XXème siècle, un exode rural massif a contribué à alimenter en main d’œuvre les régions françaises industrieuses, mais aussi a fait prendre conscience, après la seconde guerre mondiale, de la nécessité de trouver les voies et moyens d’un développement singulier qui passait par l’éducation, la science, plus largement par l’intelligence. Ce que l’on appelle l’économie de la connaissance est un concept, qui par nécessité s’est imposé dans les esprits, et est devenu une obligation collective. Le développement de l’enseignement scolaire et supérieur, le déploiement territorial des lycées et des établissements d’enseignement supérieur (universités, grandes écoles et IUT) a ainsi conduit à la diffusion des connaissances scientifiques et à faire émerger la culture scientifique, technique et industrielle comme une composante essentielle, essentielle à la formation des citoyens petits ou grands, essentielle à la capacité des uns et des autres d’accéder et de participer aux débats d’idées, essentielle pour forger son esprit critique et se garder des « fake news » dont la toxicité n’est plus à démontrer (la terre est plate, par exemple). De ce fait la culture scientifique n’est pas un sous-produit de la culture mais joue aujourd’hui un rôle majeur pour appréhender les grandes transitions en cours, en particulier dans le domaine environnemental mais aussi du numérique.
Les collectivités territoriales dans leur ensemble se sont très vite emparées de cette dimension culturelle en considérant d’une part la dimension supérieure de la démarche scientifique largement encouragée par les chercheurs, et d’autre part la dimension complémentaire de la CSTI au regard des enseignements disciplinaires dispensés dans les cursus scolaires ; très vite l’accompagnement des publics scolaires est apparu pour les collectivités locales comme une priorité.
La loi Fioraso levier législatif en Bretagne
En Bretagne, l’action régionale en faveur de la CSTI repose pour une large mesure sur les dispositions de la loi n°2013-660 du 23 juillet 2013, en particulier l’article 19 qui dispose « La région coordonne, sous réserve des missions de l’État et dans le cadre de la stratégie nationale de recherche, les initiatives territoriales visant à développer et diffuser la culture scientifique, technique et industrielle, notamment auprès des jeunes publics, et participe à leur financement ». Ce n’est pas nécessairement l’article 19 qui a le plus retenu l’attention1 lors de l’élaboration de la SNCSTI, mais c’est une disposition législative qui a permis de décloisonner les initiatives, et de proposer un cadre d’intervention souple pour l’organisation de la coordination régionale. Ainsi, le principe de subsidiarité de la stratégie, applicable aux politiques régionales et aux actions locales laisse toute latitude aux acteurs et opérateurs pour adapter les initiatives aux réalités des territoires, en fonction également des moyens qui y sont réservés. Cadre souple d’autant plus nécessaire que les années 2000 ont été marquées par un désengagement du pilotage de l’Etat sur cette politique publique. La création des Pôles territoriaux régionaux (PTR) sous l’égide d’Universcience fut une tentative de mise en cohérence. Elle a permis de préfigurer ce qui sera le futur pôle de culture scientifique au travers de l’élaboration d’un cahier des charges en mars 2012 et de définir la représentation du PTR en confiant sa direction à l’Espace des sciences de Rennes. Le pilotage des PTR par Universcience (opérateur national) n’a pas résisté aux contradictions de cet exercice, d’où les dispositions de loi Fioraso.
Par ailleurs le transfert aux régions des crédits destinés à la coordination des dispositifs dédiés à la CSTI (seule compétence dévolue aux régions dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche) s’est révélé résiduel comparativement aux dotations que l’État réservait dans les années 80 à cette politique publique. L’État a conservé une enveloppe pour le financement de la Fête de la science, manifestation nationale annuelle et les dotations couvrant le financement d’Universcience (le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l’industrie). Aujourd’hui, au plan national et selon le MESRI les collectivités locales consacrent 29 M€ annuellement à la CSTI ce qui représentent 3% de leurs dépenses consacrées à la recherche (régions, conseils départementaux et EPCI notamment les métropoles). L’exercice devrait être affiné en première analyse les charges fixes supportées par les métropoles pour le fonctionnement des centres de CSTI ne paraissent pas clairement identifiées.
En confiant à la région un rôle de coordination de la diffusion de la CSTI, le législateur a facilité une structuration régionale des actions de CSTI et permis et favorisé, pour ce qui concerne la région Bretagne, la constitution d’un pôle de coordination : le Pôle Bretagne culture scientifique (BCS).
Le Pôle Bretagne culture scientifique comme catalyseur
Les principes de départ sont simples. Dans le respect de l’autonomie des opérateurs réunis au sein du Pôle BCS l’idée première a été et est de garantir les spécificités des uns et des autres et de valoriser les savoir-faire de chacun inscrit dans un territoire. L’appartenance au Pôle, n’est pas assujettie au respect d’un cadre statutaire. Elle repose sur une démarche volontaire et sur une lecture partagée des enjeux conduisant au renforcement des liens. Elle vise à établir des connexions entre des acteurs complémentaires. Cela va de soi, donner aux jeunes une culture scientifique est un enjeu majeur qui contribue à l’éveil, au regard éclairé et à la construction de la citoyenneté en devenir. Deuxième enjeu : diffuser la culture scientifique sur l’ensemble du territoire, ne pas en faire uniquement un trait métropolitain mais gagner toutes les zones géographiques de la région qui pourraient être éloignées des centres urbains. Troisième enjeu : favoriser une culture commune en facilitant des rapprochements avec les acteurs institutionnels notamment les représentants de l’État en région mais aussi favoriser des échanges via le conseil national de la CSTI. Il s’agit de chercher à renforcer la professionnalisation de la médiation scientifique qui est un métier à part entière et s’apprécie comme tel.
Le Pôle Bretagne culture scientifique regroupe 6 opérateurs labellisés au printemps 2016 : Océanopolis à Brest, La Cité des télécoms à Pleumeur-Bodou, L’Espace des sciences/Maison de la Mer à Lorient, Le Planétarium de Bretagne à Pleumeur-Bodou, Les Petits débrouillards Bretagne, L’Espace des sciences à Rennes qui anime le Pôle BCS. La Fondation Tara Océan a rejoint le Pôle en 2018.
La relation à la région académique Bretagne constitue un élément majeur et caractéristique. L’académie est fortement associée et impliquée dans les travaux du Pôle BCS et joue un rôle de premier plan pour la diffusion de la culture scientifique à tous les niveaux d’enseignement : écoles, collèges et lycées. La DAAC (Délégation académique à l’éducation artistique et culturelle) incarne et pilote la dimension éducation et culture toujours présente dans les initiatives retenues. La DRAC (Délégation régionale des affaires culturelles) y veille par ailleurs.
La Délégation régionale à la recherche et à l’innovation (DRARI) avec qui nous travaillons étroitement, est mobilisée très régulièrement et les acteurs du Pôle, en tant que de besoin, se tiennent disponibles pour concourir en particulier aux manifestations de la fête de la science relevant de l’État en lien avec les communautés scientifiques pleinement mobilisées.
Un budget régional conséquent pour une politique incitative
La région consacre chaque année plus de 300.000 € aux activités du Pôle Bretagne culture scientifique et de l’ordre de 910.000 € annuels au financement des opérateurs de CSTI. La région signe des conventions pluriannuelles avec les centres de CSTI pour la réalisation d’initiatives et/ou d’investissements favorisant leur attractivité et leur développement.
Les actions mutualisées relevant du pôle BCS portent sur :
- le cofinancement de la revue Science Ouest. Le mensuel est un exemple unique de presse magazine grand public dédiée à l’actualité de la science et à sa vulgarisation, conçu et édité en région, en Bretagne en l’occurrence. Sciences Ouest, c’est : 200 chercheurs interviewés chaque année sur le territoire breton et au-delà, 10 numéros par an de 28 pages, une maquette entièrement refondue en 2019 assortie d’une ligne éditoriale et d’un traitement de l’information spécifiques pour mieux cibler le public scolaire et le grand public, une édition papier (2500 exemplaires en moyenne) et une diffusion numérique en essor (abonnés individuels, institutionnels et grands comptes).
- le financement d’une mission d’itinérance d’expositions de CSTI avec des cartels et manipulations adaptés aux établissements scolaires et aux besoins des enseignants, une offre très large d’expositions de formats divers (de la petite forme à l’exposition de plus de 100 m2) , destinées aux médiathèques, centres sociaux et culturels, etc… En 2019 plus d’une centaine d’expositions ont circulé sur l’ensemble du territoire régional atteignant une fréquentation de 60.000 visiteurs.
- le cofinancement d’une initiative annuelle avec la région académique Bretagne et le CNRS « immersion Sciences », où des jeunes lycéens (promotions de 60 élèves issus d’une vingtaine de lycées et de préférence d’établissements ruraux) ont l’occasion de développer le goût des filières scientifiques, durant une semaine de rencontres avec des chercheurs au centre nautique finistérien de l’Ile Tudy. (9ème édition du 29 mars au 4 avril 2021)
Enfin et suite à sa candidature à un programme d’investissements d’avenir, l’Espace des sciences de Rennes, en lien avec l’agglomération de Morlaix et la région Bretagne, a obtenu une très forte subvention permettant de restaurer le bâtiment classé de la Manufacture royale des tabacs de Morlaix datant du début du XVIIIème siècle et dont l’activité traditionnelle s’est prolongée jusqu’en 2004. Ce projet, adossé aux savoir-faire de l’Espace des sciences de Rennes, qui confirme ainsi sa dimension régionale, est l’occasion de développer un nouveau centre de culture scientifique tourné vers la culture industrielle et les sujets d’innovation (ouverture prévue en 2022). Singularité du projet morlaisien, sa prise en compte de la culture industrielle, y compris dans ses dimensions patrimoniales et sociétales.
Le Pôle Bretagne culture scientifique souhaite renforcer ses initiatives à l’aune des dispositions opérationnelles de la LPPR (Loi de programmation pluriannuelle de la recherche), dans le cadre des propositions nationales devant permettre de renforcer les liens entre le monde des sciences et la société dans son ensemble. C’est à la fois un renforcement et une continuité, à l’instar des préconisations qui ont fondé la Stratégie Nationale de Culture Scientifique, Technique et Industrielle de 2017.
Je m’autorise une citation de Jonathan Dong, médaille d’argent des olympiades internationales de physique à l’Académie des Sciences. « La science, voilà bien quelque chose qui me fait rêver : non seulement pour la curiosité jamais assouvie qu’elle suscite, mais également pour son caractère humain, car la science est bien quelque chose qui touche à la vie même, et qui a, par conséquent, le devoir de se projeter dans toutes sortes de domaines afin de trouver la place qui lui revient. La science me fait rêver, et je rêve de consacrer ma vie à la recherche … »
Bernard Pouliquen
Conseiller régional, vice-président en charge de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la transition numérique
Inspecteur général de l’enseignement, des sports et de la recherche
- D’autres dispositions dans le corps de la loi précisent le rôle de la CSTI dans l’interaction entre la science et la société ce qui renforce le positionnement de la CSTI au sein de l’enseignement supérieur. Un rôle particulier est donné « aux établissements de recherche » en charge du partage de la culture scientifique, technique et industrielle et de la valorisation de la recherche au service de la société.