« Science Ouverte » face à la ghettoïsation

Du partage des sciences à l'engagement citoyen - 40 ans de politiques de CSTI
Edgar Morin tenant une conférence à l’invitation de l’association Science Ouverte en collaboration avec l’Université Paris-Montaigne à Clichy-sous-Bois en mai 2007 © Droits réservés

Evoquer la démocratie cognitive comme une arme pour lutter contre la ghettoïsation dans les quartiers suburbains comme en Seine-Saint-Denis où intervient l’Association Science Ouverte peut sembler paradoxal. Or, on est là au cœur de la problématique d’enfermement et de ségrégation ressentie par beaucoup de jeunes et d’habitants de ces quartiers. Elle pousse ceux qui le peuvent à bouger pour, pensent-ils, d’autres horizons, aggravant la différenciation sociale des territoires.

Une science qui ne s’ouvre pas n’est pas une science mais un outil de pouvoir. Si elle ne fonde sa légitimité que sur l’autorité de la connaissance, elle contribue à sa propre confiscation par ceux qui possèdent les « codes », à la reproduction en vase clos des couches « supérieures ». On le constate aujourd’hui très clairement et ce n’est pas nouveau. L’inégalité criante dans les études qui en résulte contribue en retour à l’aggravation de la ghettoïsation. 

Avant même la création de l’Association Science Ouverte, l’éclosion de pratiques scientifiques vivantes, exploratoires, inclusives et de qualité, puis, dès 1995, la création d’un club CNRS Sciences et Citoyens en Seine-Saint-Denis à partir du lycée de Bobigny et d’un petit groupe d’étudiants, ont contribué à créer une ouverture pour plusieurs dizaines de jeunes, plusieurs dizaines de chercheurs aussi qui ont établi dans ce cadre des rapports de qualité. Ce club a participé activement pendant une vingtaine d’années avec une cinquantaine de jeunes aux Rencontres CNRS Sciences et Citoyens de Poitiers.  Il a aussi organisé quatre Rencontres régionales d’envergure en Ile de France lors lesquelles les jeunes ont partagé leurs interrogations et leurs réponses autour des sciences, leur développement, leurs rapports à la société et aux citoyens.

Un fort courant favorisait alors les initiatives d’ouverture des sciences, avec une prise de conscience du rapport complexe des sciences à la société, à l’humanité et à son avenir, à côté d’une volonté de puissance technologique toujours présente mais parfois critiquée.  Comment cela a-t-il évolué ?

En tout cas, se sont greffées progressivement autour de ce club d’autres activités qui toutes, dans des circonstances où la culture scientifique se développait sous de multiples formes, mettaient en contact les jeunes et les chercheurs, et favorisaient les rencontres entre milieux sociaux.

En 2010, la création du projet “Science ouverte à Paris 13 (SOP13)” découle d’une volonté des associations Animath et Science Ouverte, avec le soutien de l’Université Sorbonne Paris Nord, de créer un événement annuel fort permettant aux jeunes en Seine-Saint-Denis attirés par des études scientifiques de renforcer leur vocation et d’entrer au sein de Science Ouverte, dans une relation permanente avec le milieu de la recherche scientifique et de l’enseignement supérieur.

Un objectif ambitieux pour ce territoire connoté très négativement à l’extérieur, et parfois aussi par ses habitants eux-mêmes.

Tout en offrant une ouverture à la culture, aux débats, aux jeux autour des sciences en général et à des activités sportives, ce stage de deux semaines met l’accent sur les mathématiques, en raison de leur aspect symbolique, de leur rôle de porte d’entrée dans les études scientifiques et de leur importance dans la plupart des sciences.

Après dix années, 340 élèves de seconde de Seine-Saint-Denis ont participé à ‘‘SOP13’’. Parmi eux, plus de 55% de filles, et 40% de jeunes issus des quartiers Politique de la Ville. Ceux d’entre eux qui l’ont souhaité, ont ensuite participé à des semaines de stages scientifiques sur les thèmes les plus variés, à des animations, à la préparation d’expositions ou au montage d’une expédition scientifique en Arctique. Ainsi est né un véritable pôle de jeunes qui s’impliquent et prennent du plaisir à faire des sciences. Cela les motive dans leurs études et ils offrent des exemples de réussite à tous. La plupart suit d’ailleurs des études longues et certains parmi eux sont même reçus dans les écoles les plus prestigieuses. 

La démocratie cognitive, l’inaccessibilité de contenus questionnée par le mouvement d’Open Science, la lutte contre les fake news et d’autres discours concernant le dialogue entre sciences et société posent sous différents angles les mêmes questions aux acteurs qui aspirent à agir pour l’enrichissement du débat entre sciences et citoyens :

Quels objectifs devrait-on se fixer lors de la préparation des rencontres entre citoyens et scientifiques. Quel public doit-on cibler par ces actions et quelle participation attend-on d’eux ? Quels intervenants impliquer et quel apport leur demander ? Aussi, quels sujets devrait-on ouvrir prioritairement au débat entre citoyens et chercheurs ? Enfin, comment évaluer la réussite de ces actions, quels indicateurs montrent un débat vif et ouvert et comment imaginer une façon de les déterminer et les mesurer ?

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