Au cours de cet entretien, nous avons pu, par le regard et l’expertise d’Isabelle Sourbès-Verger, revenir sur les enjeux de la conquête spatiale et questionner ce que sera le futur tout en ouvrant des pistes de nouvelles pistes et de la place des citoyens dans ces projets.
Comment regarder cet engouement autour de l’exploration, de la conquête spatiale au regard de la récente mission de Thomas Pesquet ?
Il est intéressant que vous me posiez cette question car l’histoire de Thomas Pesquet est d’abord celle d’un homme à bord d’une station en orbite autour de la Terre. Ce qui a marqué le public, c’est principalement son regard sur la Terre et pas celui sur l’Espace en tant que tel… On est dans une contradiction assez profonde. Les citoyens sont fascinés par Thomas Pesquet en tant que citoyen ordinaire, – c’est en tout cas comme cela qu’il se présente lui-même -, transcendé par son statut d’astronaute. On en arrive presque à une dimension d »icône, en grande partie grâce aux réseaux sociaux.
Cette personnalisation – et le phénomène n’est sans doute pas étranger à notre époque – se retrouve dans un tout autre registre, celui de l’entrepreneur spatial, avec la figure de l’homme providentiel, Elon Musk. Il ne s’agit plus d’apparaître comme un explorateur, mais de vendre une vision assortie de réalisations concrètes, celui d’un accès à bas coût à l’Espace avec les lanceurs de sa société Space-X et celui, plus futuriste, d’un voyage vers Mars. On retrouve des valeurs américaines classiques, celle du pionnier et de l’initiative personnelle avec une célébration du secteur privé. Les réseaux sociaux, l’usage de narratif deviennent des éléments clefs de la nouvelle perception de l’Espace. Si l’on regarde le dernier tir de SpaceX Heavy, on est parfaitement dans ce cas de figure. Il est scénarisé avec des sociétés de communication ; l’exploit technique retrouve un effet de magie. Cela parle aux citoyens et en particulier aux jeunes.
Dans le cas d’Elon Musk, on touche au culte de la personnalité et ce qui est célébré, c’est la capacité à « vendre » l’Espace. On peut trouver d’ailleurs une similitude avec Steve Jobs et la mise en scène de l’Iphone. Ensuite, il y a la résonnance de la singularité de la politique spatiale de la NASA qui dépend désormais d’un acteur privé pour assurer la desserte de la station spatiale, d’où un côté d’homme providentiel.
Le spatial a toujours possédé ce côté « extra-ordinaire » : on n’est plus dans le milieu naturel de l’homme. Vous êtes un homme exceptionnel quand vous vous inscrivez dans cette dimension, ce que renforce le traitement médiatique de Pesquet comme de Musk..
Ne s’agit-il pas d’une instrumentalisation ?
Il y a différents phénomènes mais que l’on retrouve assez souvent. On l’a vu d’une certaine manière avec Claudie Haigneré, la première femme cosmonaute française, qui a ensuite été nommée ministre…
Mais aujourd’hui la grande différence ce sont les réseaux sociaux et une bonne conjonction d’astres par rapport à l’actualité et le souci de mettre en avant des personnalités jeunes et dynamiques.
Il y a un va-et-vient et un mélange qu’il est important de noter. On célèbre tout à la fois dans la mission de Thomas Pesquet, le côté exploit physique et personnel, et le côté activité exceptionnelle.
Sur ce dernier point, cela engendre une relance pour la conquête spatiale. Cet engouement de la part des citoyens va être une caisse de résonance et de ce fait avoir un impact sur le politique. Et bien sûr, la communauté spatiale va capitaliser sur cela.
Comment pouvons-nous communiquer ?
On peut imaginer deux façons de communiquer sur l’Espace :
On peut réaliser des actions destinées à un vaste public, en communiquant sur des résultats scientifiques et des découvertes comme par exemple les exoplanètes, la recherche de la vie. L’Espace devient alors un élément de la connaissance.
Mais on peut aussi communiquer sur l’Espace comme exploit technique autour des lanceurs, des satellites …
Il est important aussi de noter qu’il y a également une dimension d’instrumentalisation, entre autres, dans notre rapport à la Terre via l’Espace. C’est très significatif déjà dans les années 1970, avec la mission Apollo. En effet, c’est à partir de là qu’il va y avoir une utilisation des images de la Terre pour montrer la fragilité de notre planète et porter le discours sur l’environnement et le développement durable.
En définitive ce que l’on vit aujourd’hui est le résultat d’une histoire ?
Il y a une multitude d’histoires. L’histoire spatiale, l’histoire des satellites… Mais aussi l’histoire de qui sera le premier à réussir un exploit technologique.
En 1957, en pleine Guerre Froide, on découvre une URSS insoupçonnée. On la pensait technologiquement en retard par rapport aux Etats-Unis – ce qui était vrai – mais c’est elle qui lance Spoutnik, le premier satellite de l’histoire. Cela va enclencher le phénomène bien décrit de la course à la conquête spatiale qui s’achève avec la marche d’un Américain sur la Lune.
Il y a là une volonté de revanche mais aussi d’accomplissement qui marque définitivement les esprits et c’est bien ce qui s’est produit. Il n’est pas question de situation objective mais de porter une dynamique. En 1966, un journaliste scientifique russe, passé à l’Ouest, ne comprend pas comment le programme spatial soviétique, dont il connaît les faiblesses, peut à ce point servir d’aiguillon. Il écrit un ouvrage dans lequel il explique pourquoi les Russes ne peuvent pas être les premiers sur la Lune. Cet ouvrage ne trouve pas d’éditeur, et il ne sera finalement publié qu’après 1969, et personne ou presque n’en entend parler. Le titre révèle d’ailleurs un profond malentendu puisqu’il s’intitule The Soviet Space Bluff et l’auteur s’interroge sur la capacité soviétique à tromper les observateurs. En réalité, il n’était pas question pour les Occidentaux de remettre en cause la narration de cette course spatiale. L’image d’une URSS conquérante et ambitieuse était décisive pour la mobilisation de moyens qui n’auraient pu être réunis autrement.
Une nouvelle ère de la conquête spatiale s’ouvre ?
Oui, aujourd’hui on découvre le NewSpace, celui des entrepreneurs à la pointe de la politique américaine. De nouveaux projets apparaissent, moins médiatisés mais avec tout autant d’enjeu. Par exemple ce qui se construit autour des nanosatellites, comme le projet de PlanetLabs qui pourra fournir une image complète de la Terre tous les jours… Tout ceci va certainement complètement modifier le paysage dans les décennies à venir ainsi que le paysage spatial et le rapport ou les usages des citoyens avec ce spatial.
C’est finalement l’évolution technologique non spatiale qui est à l’origine de cette rupture. On voit apparaître la capitalisation de technologie dite de garage qui finalement passe de l’état de bricolage à l’état de start-up. Tout ceci change la relation du citoyen ; l’Espace devient une infrastructure et se banalise à ce niveau en servant les besoins terrestres.