Une exposition dédiée à l’histoire sociale du VIH/sida vient de fermer ses portes au Mucem, Musée des civilisations de l’Europe et de la méditerranée. 1 Son titre invoque un slogan historique d’Act up 2 et interpelle le visiteur sur la permanence de la pandémie dans un contexte sanitaire malheureusement marqué par la présence du COVID-19 : VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie !
Sa conception est le fruit d’un travail participatif qui a mobilisé plusieurs dizaines de personnes. Pour préparer cette exposition, un « comité de suivi » composé d’universitaires, d’artistes, mais également de militants, d’associatifs, de soignants et de personnes vivant avec le VIH, a travaillé avec un « comité de pilotage » composé de professionnels de musée et d’universitaires. Notamment inspirée par les principes de Denver élaborés en 1983 3, la méthode déployée a permis de convoquer et articuler des mémoires plurielles dans la production d’un discours muséographique. L’engagement multiple des personnes mobilisées a été rendu possible par l’organisation d’une série de journées d’étude, organisées au Mucem entre 2017 et 2019 4. Au cours de ces rencontres, plusieurs acteurs et actrices de la lutte contre le VIH ont été invité.es à s’exprimer dans la perspective de l’élaboration de l’exposition.
De nombreuses personnes ont ainsi proposé des idées, des objets, des documents, des œuvres, des photographies ou des propositions de réalisations de productions audiovisuelles à insérer au récit muséographique, aux côtés d’expôts 5 issus de collections privées et des collections du Mucem. Le fonds de ce musée de société, d’envergure nationale et dédié aux civilisations d’Europe et de méditerranée est en effet riche de plus de 12 000 documents relatifs à la lutte contre le VIH. 6 Ceux-ci proviennent de la quasi-totalité des pays du bassin méditerranéen et ont en majorité été donnés par des associations et des particuliers, engagés dans la lutte contre l’épidémie, dans le cadre d’une collecte menée entre 2002 et 2006 par deux chercheurs – Françoise Loux et Stéphane Abriol – du Centre d’Ethnologie Française alors affilié au Musée national des Arts et Traditions Populaires, ancêtre du Mucem. Les cartels de l’exposition ne manquent pas de nommer les donateurs, pour rappeler leurs contributions à la patrimonialisation de cette histoire fragile. Si la plupart des textes du parcours ont été conçus classiquement – textes de salle, cartels simples, cartels développés – une dizaine de cartels sont des textes écrits à la première personne par des membres du comité de suivi.
Ce « savoir situé » 7 a également été convoqué par le truchement de dispositifs audiovisuels dans lesquels des personnes concernées par l’épidémie s’expriment, sur leurs expériences de vie, leur rapport à l’archive et à l’histoire de l’épidémie ou encore vis-à-vis de leurs engagements militants actuels ou à venir. Plusieurs témoins de cette histoire ont également été sollicités pour une présence postée à l’intérieur des salles de l’exposition, au cours des 1er dimanches de chaque mois, assurant une médiation inspirée du modèle des bibliothèques vivantes. Enfin, de nombreux textes du catalogue de l’exposition sont écrits à la première personne ou sont le fruit d’entretiens menés avec des personnes concernées, la plupart ayant été mobilisées au sein du comité de suivi.
Grâce à cette exposition, Le Mucem a renouvelé son intérêt pour la prise en compte des mémoires liées à l’épidémie de sida. Le musée se place ainsi à l’écoute et au service de groupes parfois minorisés socialement dans une démarche inclusive. S’il ne fallait garder qu’un exemple, j’aimerais citer le don des « cahiers de doléances » dans lesquels se succèdent des lettres manuscrites rédigées par des prostituées des boulevards parisiens au début des années 1990 pour interpeller les pouvoirs publics sur leurs conditions de travail et dénoncer les inégalités sociales et de santé. 8 En incorporant les témoins matériels des combats militants menés pour lutter contre le VIH aux collections nationales et en les inscrivant dans un récit muséal qui insiste sur la nécessité de les continuer afin d’espérer la fin de l’épidémie, le Mucem s’engage pour la défense des « savoirs situés ».
Cet article reprend en partie l’article écrit dans La lettre de L’Ocim °183 (2019) « Construire une exposition sur l’histoire sociale du VIH-sida au Mucem » (pages 32-39).
1 L’exposition était programmée entre le 5 décembre 2021 et le 2 mai 2022.
2 Act Up est une association de de lutte contre le sida et de défense des personnes séropositives fondée en 1987 à New York aux Etats-Unis. Act Up-Paris est conçue 2 ans plus tard, en 1989.
3 Ces principes, élaborées par et pour des personnes atteintes du VIH invitent notamment toutes les personnes séropositives à « être inclus[e]s dans tous les forums sur le sida avec la même crédibilité que les autres participants, afin de partager leurs expériences et leurs connaissances ». Pour plus d’informations, voir : https://data.unaids.org/pub/externaldocument/2007/gipa1983denverprinciples_en.pdf
4 Pour plus d’informations, voir : https://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-fort/collecter-conserver-et-exposer-lhistoire-sociale-du-vih-sida
5 Marc-Olivier Gonseth définit l’expôt de cette manière « concept désignant tous les objets au sens large, incluant donc les matériaux visuels, sonores, tactiles ou olfactifs, susceptibles d’être porteurs de sens dans le cadre de l’exposition. ». Voir Gonseth, Marc-Olivier, « L’Illusion muséale » in Gonseth Marc-Olivier, Hainard Jacques et Roland Kaehr (éds), 2000. La grande illusion, Neuchâtel, Musée d’ethnographie, note p.127.
6 Banderoles, tracts, affiches, revues associatives, brochures de prévention, livres, objets liés à des manifestations, cartes d’information, cartes postales, t-shirts, supports audio et vidéo, vêtements, badges et rubans rouges, matériels de prévention, mais également des médicaments, photographies et œuvres d’art.
7 Voir Donna Haraway dans « Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and The Privilege of Partial Perspective », Feminist Studies, Vol. 14, No. 3, p. 575-599
8 Voir Anne Coppel, Lydia Braggiotti, Malika Amaouche, Le Bus des femmes. Prostituées. Histoire d’une mobilisation. Paris, éditions Anamosa, 2020.