Un musée, dans la définition proposée par le Conseil International des Musées (ICOM) et révisée en 2022, est « une institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel »[1]. Une entreprise, quant à elle, imagine, fabrique et commercialise des produits ou services qui pourront – peut-être – un jour rejoindre notre patrimoine collectif.
L’idée même d’un musée d’entreprise est alors intrinsèquement paradoxale. Traditionnellement, un musée se consacre à la préservation des vestiges du passé, tandis qu’une entreprise se distingue par la production et la commercialisation de nouveaux objets. Il accueille des publics là où elle réunit ouvrier·ères et ingénieur·es. Il se pratique habituellement sur les temps de loisirs tandis qu’une entreprise reste inextricablement liée aux « temps de travail ».
La question des musées d’entreprise ne sera pas traitée dans cet article. Toutefois, cette question fut l’objet d’un article dans un précédent numéro du Bulletin intitulé « La mosaïque des musées d’entreprise »[2]. Nous nous consacrerons ici plus spécifiquement aux liens pouvant être créés par ces deux institutions, que sont les musées et les entreprises, au travers de l’exposition de l’industrie. Dans un mariage, les différences permettent aux marié·es de s’enrichir et de s’épanouir pleinement. Qu’en est-il d’un mariage entre musée et entreprise ?
Un·e chef·fe d’entreprise, soucieux·euse de son patrimoine, mais ayant renoncé à ouvrir au cœur de ses infrastructures un « espace muséal », peut décider de se rapprocher d’un musée qui en deviendrait alors une vitrine, un showroom. Confronté au reste des collections patrimoniales, le savoir-faire de l’entreprise s’explique et se dévoile.
Ce lieu d’exposition peut devenir également lieu de ressources pour les équipes internes qui iront puiser au sein des collections des formes, des décors, des usages… Par son implication dans la production et l’innovation, le musée contribue ainsi à garder vivant son patrimoine. Par ailleurs, placer l’entreprise dans l’histoire d’un patrimoine rend l’avenir plus intelligible pour ses salarié·es.
Croiser les regards, pour créer de nouvelles formes, de nouveaux usages, a été au cœur de Desvres Design Ceramic Camp en 2019. Sur invitation du Musée de la céramique de Desvres (62), de jeunes designer·euses ont découvert les collections patrimoniales. Les formes, les décors, l’histoire locale et les savoir-faire sont autant de ressources pour imaginer de « nouveaux objets ». Ces derniers ont pu être fabriqués grâce à la collaboration avec une TPE desvroise. Ainsi, le Desvres Design Ceramic Camp a permis non seulement de moderniser l’image de la céramique, mais également de créer une expérience humaine riche, nourrie par des parcours-métiers variés !
Dès lors, le lien avec le monde industriel représente pour un musée une opportunité bénéfique, facilitant ainsi l’accès à un nouveau public. Cette connexion ouvre la voie à la création de nouvelles initiatives ou médiations, impliquant les employé·es de l’entreprise. Parallèlement, dans une logique d’expansion constante de ses collections, le·la directeur·rice du musée va également trouver une piste à moindre coût pour intégrer, souvent gracieusement, les dernières productions de l’entreprise.
Au-delà de l’outil exposé, les savoir-faire associés doivent aussi être « révélés » ! Les campagnes de collecte de mémoire menées au sein des entreprises – aussi bien pour les salarié·es en poste que celles et ceux les ayant quittées – restent un trésor que le musée doit orchestrer étroitement avec les industriels, puis valoriser dans ses parcours physiques et numériques.
Le musée d’aujourd’hui est loin de ses premières formes issue des « cabinets de curiosités » où le·la visiteur·se observait avec « révérence », sans manipuler! Il s’éloigne du contemplatif seul afin de remettre en débat son mode de (re)présentation.
La Manufacture musée de la mémoire et de la création textile Roubaix – Crédits: PROSCITEC
Les dirigeants de la conserverie Saint-Christophe à Argoules dans la Somme ont eu à cœur de valoriser leurs savoir-faire en ouvrant non seulement l’entreprise à la visite, mais aussi en associant un « espace patrimoine » au cœur même de leur boutique. L’exposition, au sein de cet espace de vente, comprend quelques machines-outils et une frise chronologique permettant de replacer l’entreprise dans l’histoire de la conservation des aliments. Dispositifs scénographiques simples mais efficaces qui rendent « l’achat intelligent»: l’« impératif » commercial n’exclut pas le patrimoine !
Pour réussir ce mariage entre entreprise et musée, l’exposition de l’industrie doit surtout pouvoir susciter des vocations vers les plus jeunes générations. La préoccupation majeure du·de la chef·fe d’entreprise quel que soit son domaine d’activité est bien le recrutement à court, moyen et long termes.
L’expérience des « Parcours Jeunes », initiés par PROSCITEC avec l’aide de l’Académie de Lille, vise à mettre en lumière les savoir-faire industriels au seul bénéfice de la vocation professionnelle des plus jeunes. L’objectif est donc de faire découvrir pour chaque filière (textile, transport et logistique, santé, agroalimentaire…) un patrimoine conservé dans un musée, en y associant une entreprise et un lieu de formation.
Découverte d’un camion chez les transports Depaeuw – Crédits: PROSCITEC
Au travers de ces quelques exemples, nous avons souhaité vous présenter plusieurs formes de mariage entre musée et entreprise avec des objectifs différents. L’entreprise ne peut plus faire l’économie d’une réflexion sur son identité. Exposer son patrimoine contribue très certainement à mieux comprendre ce qu’elle représente aujourd’hui et à (re)définir sa responsabilité sociétale. Exposer son patrimoine permet également, dans la stratégie de l’entreprise, de renouveler les leviers de l’innovation tout en prenant les bons virages sociaux et technologiques. Pour ce qui est des musées, à côté de leur mission première de collecte et de conservation, ils remodèlent par et avec le monde de l’industrie leur identité, leur objectif en promouvant d’une manière plus explicite leur responsabilité sociale, leur engagement dans les questions technologiques, d’environnement, de sécurité alimentaires, de révolution numérique. Le musée s’engage ainsi davantage dans le dialogue, le débat avec ses visiteur·ses. Deux univers – musée et entreprise – mariés pour le meilleur !
Notes
[1] https://icom.museum/fr/ressources/normes-et-lignes-directrices/definition-du-musee/
[2] https://www.amcsti.fr/bulletin/mosaique-musees-dentreprise/