Pour une vision prospective collaborative des métiers de demain dans la culture

[Re]connaissance
Yves-Armel Martin

Si l’on en croit ceux qui affirment que les jeunes générations changeront 10 fois d’emploi au cours de leur vie et ceux qui prophétisent que « 85% des métiers de 2030 n’existent pas actuellement »1, il semble que notre représentation d’une carrière professionnelle soit appelée à se transformer profondément.

Les questions de ressources humaines, de gestion des compétences sont des sujets qui s’inscrivent dans des temps longs. D’une part, parce que les organisations ne se transforment pas rapidement : sans contraintes extérieures fortes, elles tendent à s’entretenir et se répliquer à l’identique ; d’autre part, parce que la gestion des compétences touche à la formation initiale et à la formation continue ainsi qu’aux référentiels hiérarchiques, financiers et sociaux. Ce sont des générations entières qui sont formées puis évaluées suivant des normes relativement stables.

Si ceci doit être remis en cause, il y a urgence à construire au plus tôt une vision partagée de ce que pourraient être ces avenirs professionnels afin de les préparer s’ils sont incontournables ou bénéfiques et de chercher à les éviter s’ils sont néfastes. C’est important collectivement, mais aussi pour chaque individu car, à titre personnel, cela prend du temps de trouver sa voie et de se construire professionnellement.

Les métiers de la culture devraient être touchés au même titre que les autres, mais chaque domaine ayant ses spécificités, les conséquences ne seront pas les mêmes. Il semble utile d’observer les principales causes de cette transformation annoncée des métiers pour en mesurer l’impact dans les différents secteurs et métiers culturels.

Voici quelques pistes :

La plus grande cause de modification des métiers et de notre organisation professionnelle et sociale sera environnementale. Les défis du climat, de la pollution et l’effondrement de la biodiversité vont « dynamiter » le bas de la pyramide de Maslow2 de chaque individu, de chaque organisation et devenir le premier de ses soucis. Aujourd’hui, le critère financier est le premier, l’économie dirigeant la plupart de nos actions. En effet, dans le secteur culturel comme dans les autres, aucune décision ne se prend sans être orientée par des aspects économiques. Demain, les aspects écologiques seront primordiaux. Toute décision, toute action sera relue sous l’angle de son empreinte écologique. Chacun sera touché dans ses habitudes, rituels et pratiques personnelles et professionnelles, mais, dans toute organisation d’une certaine taille, il y aura aussi des fonctions, et donc des métiers, dédiés à ces questions.

La deuxième cause est liée à la sortie du modèle industriel qui organise encore notre société par la spécialisation : la chaîne de valeur est découpée en sous-parties où chacun exerce son expertise. Plus la complexité augmente, plus on segmente finement les savoirs et les fonctions. Pour de nombreuses activités humaines, ce modèle n’est plus opérant (et pourtant, regardez comment est conçu encore aujourd’hui un collège : c’est une chaîne de montage où des cohortes de 30 individus passent par séquences de 55 minutes entre les mains d’experts en géographie, mathématiques, espagnol… comme s’il s’agissait simplement d’agréger des connaissances extrêmement précises). De nouveaux modes d’organisations apparaissent, plus agiles et plus collaboratifs, accueillant la complexité des systèmes. La plupart des organigrammes sont profondément incompatibles avec de telles approches qui décloisonnent, hybrident les disciplines et valorisent davantage les savoir-être que les expertises. Quand, par exemple, des bibliothèques tiers-lieux accueillent dès à présent des ateliers collaboratifs de recherche d’emploi ou de Scrabble en anglais cela questionne le référentiel de compétences du métier de documentaliste-bibliothécaire…

Un troisième facteur est l’arrivée de technologies, très largement diffusées et accessibles économiquement, qui rempliront plus efficacement certaines tâches humaines. Ce sont toutes les technologies de la robotique pour les emplois manuels répétitifs et de l’intelligence artificielle pour les tâches intellectuelles liées au traitement de l’information. Beaucoup de métiers seront augmentés par ces technologies et les plus industrialisés seront remplacés. Dans le domaine de la culture, certaines industries culturelles mises à part, on opère plutôt sur de petites échelles, avec une forte prédominance de la relation humaine, et donc des métiers qui ne seront pas remplacés mais, pour certains, réinventés par l’utilisation de ces outils. Les métiers de régie, de classification, de réservation et relation client, de suivi de production et même l’éducation artistique ainsi que la médiation culturelle seront touchés. Ces technologies ouvrent aussi de nouveaux domaines d’activités et de nouveaux champs de valorisation des compétences culturelles et artistiques. Prenons l’exemple de l’intelligence artificielle : un algorithme apprenant ne se programme plus, il s’éduque (on est d’accord, je simplifie quelque peu…). C’est pourquoi, en complément de programmeurs et de data-scientists, les grandes entreprises qui développent ces outils recrutent aujourd’hui des écrivains, des artistes, des psychologues… Dans les musées, nous verrons certainement des médiateurs culturels éduquer quotidiennement des robots conversationnels pour renouveler leur discours, surprendre le visiteur et éviter l’accumulation de platitudes.

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À partir de ces différentes causes et toutes les autres grandes transformations à venir de la société (le rapport aux territoires, les nouvelles pauvretés, les nouvelles mobilités, les évolutions démographiques…), il serait précieux que les acteurs de terrain, qui seuls ont la connaissance de leurs métiers et des compétences véritables qui sont mobilisées, engagent un travail de prospective collaborative pour identifier les activités qui seront les plus transformées, les compétences qui vont faire défaut, celles qui ne seront plus utiles et en tirer la description de quelques métiers du futur. Nous pourrions pour cela nous appuyer sur les outils du design-fiction qui permettent de générer des formes inspirantes, d’explorer des imaginaires communs et d’outiller un débat éclairé. En considérant ces questions depuis l’avenir lui-même, ces méthodes aideront à dépasser les inévitables peurs et angles morts que génèrent nos propres situations personnelles actuelles.

  1. Rapport Dell / Institute for the Future, 2017
  2. La pyramide de Maslow est une représentation qui hiérarchise les besoins d’un individu.

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