Contre-culture scientifique

Les nouveaux paysages de la CSTI

Président de l’association Hackuarium active en Suisse Romande, Luc Henry évoque une approche communautaire et originale de la biologie et du partage du savoir scientifique.

 

Un mercredi soir, peu après neuf heures, un biologiste retraité, une étudiante en design et un ingénieur en électronique se penchent sur un instrument plus ancien que ces deux derniers. Leur but est de transformer ce « plotter », qui n’a pas fonctionné depuis deux décennies au moins, en installation artistique qui puisse utiliser des pigments produits par des bactéries pour imprimer.

Le retraité, passionné de bricolage, a sorti de son garage, où il prenait la poussière, cet ancêtre des imprimantes contemporaines et l’a amené dans le laboratoire communautaire où l’étudiante cultive des micro-organismes depuis quelques mois. L’électronicien n’a de hâte que de pouvoir écrire un code pour contrôler le bras robotique de l’instrument depuis son ordinateur portable. C’est à Renens, dans les locaux d’UniverCité, à deux pas de Lausanne, qu’ils se sont rencontrés autour d’une passion commune : le hacking, une activité où questionner les règles est devenu la règle.

Pour ces individus, il ne s’agit en aucun cas de transgresser les lois, mais de changer les codes de leurs professions respectives. Ils sont tous les trois membres de l’association Hackuarium qui veut promouvoir une approche « open source », multidisciplinaire et informelle de la science et de la technologie. En récupérant du matériel obsolète, mais fonctionnel, dans les industries et universités de Suisse Romande, la communauté d’Hackuarium a créé un lieu équipé avec des outils normalement réservés aux laboratoires de recherche spécialisés en biologie.

Les différences majeures avec des institutions telles que l’Université de Lausanne ou l’École polytechnique de la même ville, et d’où est issue une partie des membres d’Hackuarium, peuvent se résumer en trois points :

  • un accès libre aux infrastructures, quels que soient le niveau et le domaine d’éducation de ses membres ;
  • un environnement qui favorise les échanges de compétences et le dialogue au sujet des buts et des résultats des projets ;
  • des thèmes principalement dictés par la curiosité, sans impératifs économiques ou de nouveauté.

Hackuarium n’est qu’un exemple parmi d’autres. La Paillasse, une communauté active depuis environ trois ans dans l’agglomération parisienne été un lieu précurseur en popularisant la biologie Do-It-Yourself en Europe, où presque chaque ville importante a maintenant son lieu dédié. Pratiquée depuis la fin des années 2000, cette biologie citoyenne peut prendre des formes très variées selon les acteurs impliqués et la région du monde où ils se trouvent. Principalement considérée comme un hobby, elle est souvent utilisée comme vecteur d’éducation mais peut aussi se transformer en activisme politique ou en mode de production artistique.

Malgré les efforts que font les institutions scientifiques et culturelles, ainsi que les milieux industriels, pour faciliter les projets interdisciplinaires, le cloisonnement des environnements, dans lesquels les entrepreneurs, les scientifiques et les artistes travaillent quotidiennement, reste particulièrement fort.

Si la culture du hacking existe depuis quelques décennies déjà, le nombre de lieux ouverts dédiés à une approche communautaire de la génération et du partage du savoir scientifique en général, et en biologie en particulier, a récemment explosé. De par son jeune âge, le rôle et l’impact de ce type de pratiques sont encore peu clairs, mais tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’une addition bienvenue au paysage déjà riche de la culture scientifique traditionnelle.

Contact : luc.henry@hackuarium.ch

 

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