La culture scientifique en Chine

Carnets de voyage
© Science&You

Du 15 au 17 septembre derniers, Science & You, événement international de culture scientifique et technique impulsé par l’Université de Lorraine, s’est exporté à Pékin.
Pour Julie Adam, chargée du projet, cet événement et sa préparation ont été l’occasion de découvrir les pratiques de nos collègues chinois en termes de culture scientifique et technique. Témoignage.

Science&You, vous connaissez ? C’est le projet dont je suis chargée au sein de l’équipe Culture Scientifique et Technique de l’Université de Lorraine. Mon travail me dirige plutôt vers les professionnels de la culture scientifique, qu’ils soient chercheurs, médiateurs, communicants… afin de les mettre en réseau et de les faire réfléchir et échanger sur leurs pratiques. Dans ce cadre, j’organise des conférences, journées d’études, colloques et autres ateliers, sur des thématiques et des enjeux actuels de CST. En plus de journées régionales, plusieurs éditions internationales de ces rencontres professionnelles se sont déroulées : à Nancy en 2015, à Montréal en 2017, et à Pékin en septembre dernier (2018). Chaque édition a ses spécificités, en fonction de l’endroit du monde où elle se déroule, et de la couleur culturelle donnée à l’événement par les organisateurs locaux.

Mes missions en Chine ont été un plongeon dans l’inconnu : culture totalement différente, nouveaux partenaires, et projet à reconstruire ensemble… Après une période d’adaptation, j’ai pu expérimenter plusieurs facettes de la culture scientifique et technique : réunions de groupes de travail et comités scientifiques, visite de musées (Musée de la Science et de la Technologie, Muséum d’Histoire Naturelle), formation de doctorants aux techniques de communication scientifique… Ces expériences ont été riches en enseignements, notamment sur la vision profondément différente qu’ont les Chinois d’appréhender les relations sciences/société.

Un choc des cultures scientifiques

Si, en France comme au Canada, la tendance est au modèle participatif, à la culture Maker, à l’apprentissage par l’action, au développement de tiers lieux de la connaissance (fablabs, hackerspaces), en Chine, la relation entre les scientifiques, les médiateurs et le public est plus verticale : il y a d’un côté les savants, de l’autre les apprenants. L’enjeu stratégique est davantage axé sur la littératie scientifique – au sens d’alphabétisation, d’instruction scientifique du public. Les relations sciences/société qui en découlent suivent le modèle du déficit, et le public est considéré comme étant à éduquer plutôt qu’à autonomiser – j’y reviendrai plus loin.

J’ai ressenti cette différence lors d’échanges avec nos partenaires chinois sur l’organisation de formations doctorants à la médiation scientifique. L’objectif était d’organiser des formations à destination de doctorants chinois et internationaux, sur le modèle de celles proposées en Lorraine lors de Science & You 2015 et des Journées Hubert Curien en 2012 : une dizaine d’ateliers en parallèle, chacun ciblé sur une technique de médiation (vidéo, bande dessinée, théâtre, etc.), pour 2 jours de formation intensive. La clé du succès : une quinzaine de participants maxi par atelier, des disciplines de recherche variées, et des duos de formateurs complémentaires, composés de médiateurs scientifiques associés à des professionnels des pratiques mises en œuvre. L’interactivité est au cœur du concept des formations, et les échanges informels qu’ont les doctorants, de cultures et de disciplines différentes, sont enrichissants au même titre que les formations en elles-mêmes. 
Loin de ce à quoi s’attendaient nos partenaires du NAIS : des formations aux sciences, dans des amphithéâtres, sur un mode « cours magistral ». Pour la petite histoire, de nombreuses présentations et discussions argumentées ont été nécessaires pour que nos partenaires comprennent le concept. La sélection des doctorants, l’élaboration du programme et le déroulement des rencontres en septembre se sont, au final, approchés du format attendu même s’il reste une grande progression possible pour davantage d’interactivité et de co-construction.

Le concept de litératie scientfique

Dans le vocabulaire de la culture scientifique, un mot revient souvent : littératie. Ce concept est au cœur des préoccupations politiques du gouvernement de Xi Jinping, comme en atteste un sondage commandé au China Research Institute of Science Popularization, dont les résultats ont été dévoilés en septembre 2018 : 8,47% de la population chinoise est considérée instruite en termes de sciences, soit une augmentation de 2,27% depuis 2015.
Le plan quinquennal 2016-2020 du gouvernement chinois fixe l’objectif d’accroissement de la culture scientifique des citoyens à 10% en 2020, cette ambition découlant d’un constat simple : le niveau de développement économique et social d’un pays dépend de l’innovation technologique, qui elle-même correspond au niveau de culture scientifique de sa population. La stratégie de développement de la culture scientifique en Chine est donc avant tout politique et économique, et elle ne s’en cache pas.

Ainsi, les actions de culture scientifique menées vers le public poursuivent trois objectifs majeurs : susciter des vocations chez les jeunes afin qu’ils poursuivent une carrière scientifique, promouvoir le projet national chinois de devenir une puissance mondiale de l’innovation, et développer les connaissances et les compétences de la population, afin qu’elle puisse s’adapter à un environnement socio-technique de production et de consommation sans cesse en évolution.

La culture chinoise est subtile et complexe à appréhender, et la perspective chinoise sur la culture scientifique ne peut se lire que dans ce contexte. Les échanges que j’ai pu avoir sur place ont été riches d’enseignements, tout en soulevant de nombreuses questions que je n’ai pas eu l’occasion de poser : comment le public se positionne-t-il dans les dispositifs de médiation ? Quelle est la place que tiennent Internet et les réseaux sociaux dans la chaîne d’information entre la science et le public, dans un pays sans accès à Google, Twitter et Facebook ? Les conditions de développement de dispositifs participatifs seront-elles réunies un jour en Chine ?

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