De la biologie à la muséologie, regard sur l’évolution de la CSTI

Du partage des sciences à l'engagement citoyen - 40 ans de politiques de CSTI
Michel Van Praët, Nef de la galerie de l’évolution, Réunion du Conseil exécutif de l’ICOM (administrateur de 2004 à 2010) © Droits réservés

Entretien avec Michel Van Praët, muséologue français, professeur émérite du Muséum national d’histoire naturelle.

Vous avez débuté dans la culture scientifique comme enseignant-chercheur en biologie marine. Comment a commencé votre carrière ? 

Nous étions, il y a 55 ans, dans un contexte qu’il est utile de rappeler pour témoigner des évolutions de la CSTI. En m’inscrivant en 1967 à la fac des sciences, le nombre d’étudiants était considérablement plus réduit. J’avais été marqué par Le monde du silence de Cousteau et espérais devenir enseignant dans le secondaire, sans oser envisager de m’engager dans le milieu inconnu de la recherche. Ce sont mes enseignants de Jussieu qui ont nourri ma curiosité puis m’ont engagé à pousser les portes d’un laboratoire. Lorsque je dis au directeur du laboratoire de Biologie des Invertébrés marins, Claude Lévi, un homme d’une extrême humanité, que j’aimerais associer recherche et enseignement, il me répondit : « Le muséum ne délivre pas d’enseignements, mais faites votre thèse et ensuite vous serez libre d’équilibrer vos activités entre la recherche et les expositions qui constituent une activité que le muséum doit développer ». Le temps de la recherche fut passionnant et j’eus la chance d’être dans un moment de l’exploration des milieux marins qui me permit, entre autres, d’être il y a 40 ans, de la première mission biologique sur les sources hydrothermales océaniques.

Quelles raisons vous ont poussé à passer de la recherche scientifique à la muséologie des sciences ?

Parallèlement à mon travail de recherche, je participais ponctuellement, à des expositions et ai piloté en 1985 la restructuration de l’offre culturelle du Muséum pour les écoles quand le paléontologue Philippe Taquet, nouveau directeur du Muséum, a proposé aux enseignants-chercheurs qui le souhaitaient de réfléchir à la rénovation de la galerie de Zoologie fermée au public depuis 1966. Alors que les débats se tendent quant à une approche écologique ou évolutionniste, j’écris au cours de l’été 1986 une synthèse que j’intitule « Synopsis pour une galerie de l’évolution » et la remets au directeur du Muséum. Peu après, il présente le projet à Alain Devaquet alors ministre de tutelle du Muséum, qui donne immédiatement son aval ! Au Muséum, tous néophytes en termes de grande rénovation, nous imaginons qu’elle s’achèvera en 1989 pour les festivités du bicentenaire de la Révolution. Philippe Taquet me demande d’intégrer le groupe de trois chercheurs qui coordonne les réflexions, afin de préparer les documents du concours d’architecture avec une programmiste. Il n’est question ni de muséologue, ni de médiateur, dans le contexte des années 1980, les scientifiques sont considérés omniscients. Je refuse car j’ai une bourse d’un an dans un laboratoire américain mais Philippe Taquet me persuade de réduire mon séjour à 4 mois. Les collègues américains avec lesquels je parle alors du projet me disent tous, entre autres Stephen Jay Gould, que l’opportunité de créer une galerie de l’évolution est telle que je devrais la saisir. 

A mon retour en mai 1987 le projet a peu évolué et j’accepte de le piloter. Je crée la « cellule de préfiguration ». Je l’appelle ainsi par dérision, en référence à la cellule biologique comme plus petite unité fonctionnelle, car je ne dispose que d’une secrétaire. Contrairement à ce qui figure sur le site du Muséum ou Wikipédia, il me faudra un an pour obtenir le rattachement de personnels à plein temps et la création de deux postes de muséologie, grâce à l’appui de la mission de la culture scientifique du ministère de l’Enseignement supérieur.

On peut supposer que c’est pour vous l’événement marquant de votre implication dans la CSTI.

Oui, avec ses multiples échanges avec des scientifiques et les architectes et, peut-être plus encore, à travers les expériences pour tenter d’intégrer les questionnements et représentations des futurs visiteurs à la conception de l’exposition.

Un regret concernant votre carrière ?

Dans les années 1980-1990, nous avons été plusieurs, avec l’appui des ministères de l’Éducation et de la Recherche à tenter d’accroître la professionnalisation des acteurs de la CSTI. Au-delà des rénovations de muséums et des créations de CCSTI qui s’engagent alors, des programmes de recherche et des formations continues et initiales sont mis en place et amorcent de nouvelles formes de CSTI. Mais… je ne pensais pas que le désengagement de l’État serait aussi marqué dans les années suivantes et que la professionnalisation du milieu resterait précaire.

Quelles évolutions sont pour vous les plus notables dans le champ de CSTI au cours de ces 40 dernières années ?

On est passé de thématiques purement scientifiques à un traitement de sujets croisant de mieux en mieux, de mon point de vue, les questions de société avec des approches scientifiques enrichies par des disciplines complémentaires.

Quelle exposition ou projet muséographique vous semble intéressant aujourd’hui ?

Je rêve, dans cette période anxiogène, d’une exposition jouant des émotions et des savoirs, associant disciplines scientifiques naturalistes, physiques et sociales à l’art. Je rêve du thème « La couleur » avec, parmi ses multiples digressions possibles, la richesse d’un propos sur la place des couleurs dans l’évolution biologique, les liens entre la chimie de Chevreul et les impressionnistes, la présentation d’un paysage dans les élégantes nuances d’un daltonien, faisant s’interroger sur ce qui fait, ou non, handicap… 

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