Pour Sylvestre Huet, journaliste à Libération, relever le défi climatique réclame des politiques visant la réduction radicale des inégalités sociales, tant à l’intérieur qu’entre les pays. Sylvestre Huet a été lauréat du Prix Diderot-Curien en 2012 avec Stéphane Foucart.
La préparation de la COP 21 a confirmé les raisons pour lesquelles l’Humanité, tant l’ensemble des citoyens que les gouvernements, a tant de mal à affronter le défi qu’elle s’est lancé par l’usage massif des combustibles fossiles pour assurer l’essentiel de l’énergie qu’elle met en œuvre.
Un défi pourtant connu depuis la signature de la Convention Climat de l’ONU en 1992. Un défi quantifié depuis 2009, lorsque l’objectif a été fixé de ne pas dépasser 2°C de réchauffement planétaire relativement aux températures pré-industrielles. Et dont les conditions de réussite sont également connues : se placer sur une trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre où les pays développés diviseraient les leurs par quatre d’ici 2050 relativement à celles de 1990, tandis que les émissions totales devraient être divisées par deux. En outre, il faudrait parvenir à une « neutralité » carbone d’ici la fin du siècle. Or, les « promesses » des États déposées au secrétariat de la Convention ne sont pas en concordance avec ces objectifs… Alors même que le doute s’instaure sur leur réalisation. Mais s’interroger sur les raisons profondes de cet écart est probablement plus important que de s’en désoler.
La première de ces raisons est qu’il y a toujours une autre affaire qui semble « plus urgente » que de s’occuper du climat. Une guerre à finir ou à commencer, des terroristes à « détruire », une élection à gagner, ou un pouvoir tyrannique et violent à conserver ou à conquérir. De telles « urgences » peuvent sembler ne pas l’être pour les citoyens, mais elles le sont pour nombre de gouvernants. Elles sont même prioritaires à leurs yeux sur toute autre action.
Mais d’autres objectifs ou missions, plus honorables aux yeux du citoyen du monde, réclament l’action urgente. Des gens à nourrir. Dans notre monde où l’obésité des uns côtoie la sous-nutrition des autres. Des emplois à créer, par dizaines de millions car le chômage de masse sévit partout. Des économies à relancer. Des villes à construire, des écoles et des hôpitaux, des logements ou des infrastructures de transport à bâtir où à rénover… Or, la plupart de ces actions urgentes, et jugées nécessaires par la majorité des populations, font appel à 80% aux énergies fossiles – charbon, gaz et pétrole.
Pour dénouer cette contradiction, il ne sert à rien de noter que le changement climatique risque d’aggraver les difficultés des pays pauvres, car cette péjoration survient sur le long terme, alors que les problèmes à résoudre sont urgents et réclament une action immédiate qui, souvent, utilise des énergies fossiles. Les paysans du Sénégal, pour améliorer leur situation en écoulant une production vivrière à Dakar, ont besoin de moyens de transport qui, aujourd’hui, ne peuvent être que la route et le camion.
Relever le défi climatique réclamera donc des politiques visant la réduction radicale des inégalités sociales, tant à l’intérieur des pays qu’entre pays. Autrement dit l’éradication conjointe de la grande pauvreté et des gros patrimoines et revenus mais aussi la diminution de la consommation de matières premières et d’énergie des pays actuellement les plus développés. Des objectifs absents de l’ordre du jour de la COP 21.
Sylvestre Huet vient de publier l’ouvrage « Les dessous de la cacophonie climatique, La ville brûle, 2015 ».