Juliette Raoul‑Duval

[Re]connaissance
Juliette Raoul-Duval

C’est un changement dans la continuité qui s’opère aujourd’hui pour Juliette Raoul-Duval. Engagée dans la CSTI, convaincue de son impérieuse nécessité dans notre société, elle a placé son action sous le signe de l’engagement.

Vous arrivez à une autre étape de votre carrière…

J’ai assisté au lancement de la première Fête de la science – à l’époque on disait Science en fête – en 1992 dans les jardins de la rue Descartes au ministère de la Recherche. Je me souviens de cette journée de printemps radieuse, où tous les invités étaient pleins d’enthousiasme pour cette idée tellement nouvelle : la science, cela pouvait être ludique et joyeux ! Et les chercheurs étaient des gens faciles d’accès, aimables et heureux de communiquer !

Je suis restée plusieurs années au ministère, j’y ai initié une activité de promotion des débats scientifiques en son sein, on appelait cela le « Carré des sciences ». Il y avait aussi une petite enveloppe de soutien aux projets de colloques scientifiques. Au début, c’était rattaché à la communication du ministre, puis très vite, c’est la direction de la culture scientifique et technique – celle de Michel Crozon – qui en est devenue pilote, c’était vraiment très stimulant.

Quelques années après, j’ai pris la responsabilité du Bureau des musées et établissements nationaux de culture scientifique et technique. Le rapport Héritier-Augé, en 1990, avait mis en avant la richesse patrimoniale que détenaient les musées de l’Éducation nationale en même temps que l’état très dégradé de leurs collections et de leurs infrastructures. Il s’agissait des quatre institutions sous la tutelle (ou co-tutelle) du ministère de l’Éducation nationale et de la Recherche : le Muséum national d’Histoire naturelle, le Palais de la découverte, la Cité des sciences et de l’industrie (ils n’étaient pas encore reliés en Universcience) et le Musée des arts et métiers. Le musée du Quai Branly n’a démarré qu’un peu après. Dans la foulée de ce rapport (qu’il faut relire, il est passionnant), le Musée des arts et métiers et le Muséum national ont pu bénéficier de budgets remarquables pour leur rénovation dans le cadre des « grands travaux de l’État ». Dans mon « bureau », on suivait ces programmes scientifiques et culturels avant l’heure, conduits par des personnalités marquantes comme Pierre Piganiol pour le Musée des arts et métiers.

Ensuite, j’ai rejoint le Palais de la découverte en 1999. Puis quatre ans après, je suis arrivée au Musée des arts et métiers où j’ai passé ces 16 dernières années… Sur le terrain, j’ai continué à chercher les synergies. J’ai siégé dans les instances du Muséum national au titre de la « diffusion des connaissances », au conseil scientifique d’Universcience, cela permet de se relier. Même si chacun a évidemment son domaine, ses publics, ses personnels, la culture scientifique, technique et industrielle, elle, est portée par tous, ensemble et avec une conviction partagée. On a créé – je crois que j’en suis un peu à l’origine – un groupe dit « des 4 », qui institutionnalise les échanges et a en particulier permis des mobilités croisées entre les personnels. Et l’Amcsti nous rassemble autour de prix communs de la culture scientifique et technique, les Diderot, qu’on remet symboliquement conjointement. Vous me demandez ce que j’ai ressenti comme temps fort dans mon parcours : ce sont ces liens.

Comment regardez-vous l’évolution des pratiques du milieu de la CSTI ?

Les pratiques se sont professionnalisées de manière spectaculaire : quand j’ai démarré, on se demandait si être médiateur, c’était un métier ! La question de la reconnaissance professionnelle était très vive et donnait lieu à des débats parfois tendus. Aujourd’hui, la médiation est le cœur vivant de nos établissements. J’ai vu naître et accompagner les référentiels de compétences qui, aujourd’hui, exigent des qualifications élevées et permettent de véritables évolutions professionnelles.

Sur le fond, les enjeux de la culture scientifique, technique et industrielle ont considérablement évolué. L’accès aux connaissances scientifiques s’est diversifié, il y a des débats partout, non seulement dans les lieux dédiés mais aussi sur les réseaux, sur Internet… et ils portent sur les sujets les plus pointus comme les plus sensibles. Le plus difficile pour les citoyens, c’est de discerner le vrai du faux. Et pour cela la méthode scientifique – douter, vérifier, reproduire, valider… – c’est essentiel. Alors, la CSTI aujourd’hui doit indiscutablement s’attacher à diffuser des connaissances mais aussi à promouvoir la culture de l’esprit scientifique. Cela ne veut pas dire qu’il faut moins agir pour donner aux citoyens le goût des formations et des métiers scientifiques et techniques, parce que si on n’a pas les ingénieurs qui innovent et les chercheurs qui produisent de la connaissance, d’autres les ont… Il faut bien sûr continuer à sensibiliser, surtout les jeunes et notamment les jeunes femmes qui croient – ou leur entourage leur fait croire – que ce n’est pas pour elles… Continuer dans cette voie bien sûr, mais en même temps donner le goût de l’esprit critique.

Les acteurs de terrain de la CSTI sont irremplaçables pour cela. Je vois d’un très bon œil l’idée de souffler à tous les enseignants d’amener leurs élèves au moins une fois par an dans un musée de sciences ou dans un centre de culture scientifique et technique, et les initiatives pour valoriser le travail de diffusion de la CSTI dans la carrière des chercheurs.

Vous êtes aujourd’hui présidente d’ICOM France…

On ne le sait pas toujours mais les liens entre les musées de science et de société et l’ICOM sont historiques. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si deux présidentes d’ICOM France proviennent du Musée des arts et métiers, et que l’organisation internationale a eu pour dirigeante une ancienne du même musée… Les liens Amcsti/ICOM sont étroits et amicaux mais ils sont aussi institutionnalisés : l’Amcsti est membre du Conseil d’administration d’ICOM France, et de nombreux membres, y compris des membres élus, sont dans les deux associations.

ICOM France, c’est 5 000 membres répartis dans tous les domaines muséaux et représentant toutes les professions, les métiers propres aux musées comme la conservation ou la restauration, mais aussi tous les métiers communs aux musées et aux centres de CSTI : les médiateurs bien sûr, les chargés d’expositions, de l’accueil des publics, du management…

ICOM, c’est aussi une organisation internationale de grande envergure avec 40 000 membres répartis dans 140 pays. Ils travaillent ensemble au sein de comités internationaux thématiques, l’un d’entre eux s’appelle le comité international des musées et centres de science et technique CIMUSET ; j’en suis vice-présidente. Et assez naturellement, j’ai proposé d’y porter les couleurs de l’Amcsti. Cela offrira à notre association un réel réseau international.

Comment envisagez-vous la suite ?

Plus que jamais, je crois que la culture scientifique, technique et industrielle est un enjeu d’engagements citoyens.

Il faut encore et toujours convaincre de l’importance de la CSTI. Bien sûr, tout le monde dit que c’est bien, la CSTI, personne ne pense que ça ne sert à rien. Mais il faut relancer l’engagement citoyen et c’est une part que je veux et peux prendre. Il s’agit de dire aux décideurs que c’est, aussi, leur affaire. Aux élus, par exemple, qui ont des choix décisifs à prendre, en matière environnementale ou pour réduire la fracture numérique… Aux professionnels qui interviennent auprès des familles quand, par exemple, on voit que la vaccination a encore des opposants. Combien de morts de la rougeole, encore, cette année ? Aux associations qui ont des jeunes en charge… À tous ceux-là, donner des outils pour aider à développer l’esprit critique, outils qui restent encore largement à forger, comme l’a fait l’Amcsti avec la plateforme et le MOOC Atelier médiation et critique.

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