Le lien entre chercheurs et médiateurs est primordial

Environnement et Médiation – COP 21
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Professeur ordinaire à l’Université de Lausanne (Faculté des géosciences et de l’environnement) et vice-président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Dominique Bourg évoque les enjeux des liens sciences-société sur le thème du réchauffement climatique.

 

Les enjeux liés au réchauffement climatique vous semblent-ils suffisamment connus du public ? Quel rôle peuvent jouer les chercheurs pour mieux faire connaitre ces enjeux ?

Les chercheurs et leurs instruments sont indispensables à notre perception et notre compréhension du réchauffement climatique. Nos sens ne nous permettent pas de mesurer les 400 ppm de dioxyde de carbone dans l’air ambiant, ni de sentir une température moyenne ! Les vignerons pourraient nous dire que les vendanges sont plus précoces, ou les garde-chasses que les bouquetins ont plus de mal à se reproduire, mais sans faire le lien entre ces phénomènes.

Sans recherche, le changement climatique est inaccessible. Et comme on n’en voit pas encore les conséquences avec évidence et de façon systématique, qu’on ne le comprend pas, on le refuse. D’autant plus qu’on ne s’y attend pas. Selon la science classique la Nature est en effet une horloge cosmique, et donc le modèle même de la stabilité. C’est un défi gigantesque que de mieux faire connaître ces enjeux, dans une société néolibérale où la seule chose qu’on nous demande est de consommer…

 

Quel type de média (presse, exposition, TV, réseau sociaux…) vous semble le plus pertinent pour sensibiliser les publics ?

Il faut une synergie entre les différents médias. Si on écoute seulement la presse audio-visuelle, hors COP 21 il y est peu question de réchauffement climatique. La presse écrite nous permet d’accéder à des données plus précises, tout comme les expositions. Le cinéma est aussi intéressant, comme le formidable et touchant documentaire La Glace et le Ciel. Et bien d’autres d’ailleurs.

 

Avez-vous déjà collaboré avec un musée, un centre de sciences ou une association, pour travailler à cette idée de sensibilisation et d’information sur le thème du réchauffement climatique ?

En 2004, j’ai fait partie du comité scientifique de l’exposition Pétrole, nouveaux défis, du programme “Gérer la planète” à la Cité des Sciences et de l’Industrie. Alexander Federau, un de nos doctorants, collabore actuellement avec le musée de la Nature du Valais, à Sion, pour contribuer à une exposition sur l’Anthropocène (1).

 

Les sciences participatives, les recherches participatives vous paraissent-elles être un outil efficace ?

Il est difficile de faire des sciences participatives dans ce domaine. Les recueils de données se font majoritairement avec du matériel sophistiqué, des ballons-sondes, des satellites, etc., et on utilise beaucoup de modèles complexes. Je le regrette, c’est un formidable antidote au climato-scepticisme.

 

Comment les citoyens peuvent-ils selon vous s’impliquer dans la lutte contre le réchauffement climatique ? Auriez-vous des exemples ?

Les formes d’implications sont multiples. Cela va du choix individuel (manger moins de viande, moins prendre l’avion, etc.) aux coopératives qui cherchent à réduire les impacts (unmonastery, les fablab écolo, etc.), aux mobilisations citoyennes (manifestation du 29 novembre 2015 en lien avec la COP 21). La précédente manifestation a rassemblé 700 000 personnes, ce qui n’est pas assez quand on sait que cela représente 1 terrien sur 10 000. Nous manquons de pression citoyenne. Il faudrait des millions de personnes dans la rue (2), d’autant plus que les négociations sont mal parties.

 

En quoi la phase préalable explication/sensibilisation vous parait-elle essentielle, et quelle articulation entre médiateurs et chercheurs pensez-vous fructueuse ?

La médiation scientifique est fondamentale, mais elle doit traiter de questions plus larges que les seules connaissances scientifiques. En effet, les impacts du réchauffement climatique sont systémiques ; il faut parler de tous les enjeux pour faire comprendre l’ampleur des problèmes qui nous attendent.

Le lien entre chercheurs et médiateurs est primordial. Les scientifiques travaillant sur le climat sont vilipendés sur le web. En Australie, lorsque le gouvernement travailliste a voulu faire passer des lois pour agir contre le réchauffement climatique, des climatologues ont été menacés de mort. Ce domaine a la particularité d’être très sensible. Il faut protéger et « bichonner » nos scientifiques du climat, car ils sont plus exposés socialement que les autres.

 

(1) Actuellement discutée dans le monde scientifique, l’Anthropocène serait une nouvelle ère géologique, marquant l’influence de l’homme sur l’environnement.

(2) Cet entretien a été réalisé avant les attentats du 13 novembre 2015, et l’interdiction par le gouvernement français des manifestations à l’occasion de la COP 21.

 

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