L’évolution des muséums d’histoire naturelle face aux crises du climat et de la biodiversité – Identité, bonnes pratiques et enjeux

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Affiche du congrès annuel 2017 de l’ICOM NATHIST au Canergie Museum of Natural History de Pittsburgh consacré aux défis des muséums à l’ère de l’Anthropocène. © Carnegie Museum of Natural History

Directeur du Muséum de Genève de 2012 à 2020, Jacques Ayer entame aujourd’hui un projet de recherche sur le rôle des muséums d’histoire naturelle dans le monde. Après un état des lieux, son travail apportera des propositions pour que le fonctionnement de ces derniers soit plus en phase avec nos sociétés, dans le contexte lié aux crises que nous traversons. Description de son projet de recherche doctorale.

Les muséums d’histoire naturelle ont joué un rôle clé dans les grandes aventures scientifiques, sociales et philosophiques qui fixent nos rapports au vivant, qu’il s’agisse de l’émergence de la théorie de l’évolution qui a bouleversé notre perception de la condition humaine, ou de la mise en place des premiers programmes de conservation de la nature et des nouvelles pensées environnementales qui nous ont fait prendre conscience que nous vivons sur une planète dont les ressources sont limitées. Ils ont ainsi connu durant leur histoire des heures glorieuses mais aussi des périodes plus difficiles dans un paysage économique, culturel et social en perpétuel mouvement. Ils ont dû aussi s’adapter à des changements sociétaux fondamentaux dont l’introduction de nouvelles législations ou encore le développement fulgurant du numérique, sans parler des crises économiques et des guerres qui ont menacé leur survie.

Aujourd’hui, on le sait, notre planète connaît une crise environnementale sans précédent depuis que l’humanité l’habite. En quelques décennies seulement, une grande partie de la diversité biologique issue de plusieurs dizaines de millions d’années d’évolution a disparu. À cela s’ajoute un changement climatique planétaire, consécutif à nos émissions de gaz à effet de serre toujours plus massives, qui inflige un stress supplémentaire à la faune et à la flore déjà fortement mises à mal. Les derniers chiffres rapportés par le GIEC1 et l’IPBES2 sont glaçants. Des actions d’envergure et un engagement sans équivalent sont désormais non plus un choix mais une question de survie. Une large communauté scientifique s’accorde pour affirmer que, si nous n’agissons pas rapidement, c’est tout l’édifice du vivant avec ses dizaines de millions d’espèces qui s’effondrera, remettant en question l’existence même de l’humanité.

Quel est dès lors l’impact de cette crise mondiale sur les missions, la gestion et le fonctionnement des muséums d’histoire naturelle ? Avec cette accélération exponentielle de l’effondrement environnemental que nous connaissons aujourd’hui, ces institutions traversent une crise inédite nécessitant une remise en question rapide et profonde de leur identité, de leur gestion et de leurs missions traditionnelles. Depuis peu, cette situation est péjorée par une crise sanitaire et économique mondiale qui ajoute une pression supplémentaire sur le fonctionnement actuel et futur des musées.

Afin de tenter de trouver des réponses à ces défis inédits à relever, le projet de recherche décrit ci-dessous vise à faire un état des lieux des muséums d’histoire naturelle dans le monde ainsi qu’à proposer des pistes de développement et des propositions de mesures concrètes pour un fonctionnement et des missions, davantage en adéquation avec les attentes des publics et les besoins de nos sociétés.

La première partie analyse l’évolution et le rôle des muséums d’histoire naturelle depuis leur genèse, il y a plus de deux siècles. Cette mise en contexte est indispensable pour évaluer la faisabilité d’une éventuelle mutation profonde des institutions tout en prenant en compte leur histoire et leur développement passé.

Le deuxième volet concerne l’envoi d’un questionnaire à une majorité de muséums à travers le monde pour obtenir une vision globale de la situation et de l’évolution de ces institutions durant ces dernières années. Cette enquête recensera également les bonnes pratiques et les orientations institutionnelles en réponse aux défis environnementaux.

Une troisième partie prévoit une seconde enquête, cette fois auprès des publics des muséums d’histoire naturelle, afin d’identifier leurs attentes et leurs besoins en matière d’informations et d’échanges sur les questions liées aux crises du climat et de la biodiversité.

Le quatrième volet, plus pragmatique, basé notamment sur des expériences muséales concrètes, vise à proposer des pistes méthodologiques, de nouveaux champs d’actions ainsi que des mesures pour tous les secteurs du musée, de leur fonctionnement à leur gestion, en passant par leur positionnement.
En conclusion, et en fonction des résultats obtenus dans les différentes démarches menées dans ce travail, l’ampleur et la temporalité de cette mutation nécessaire seront discutées et évaluées, entre évolution progressive et changement de paradigme muséal plus radical.

Jacques Ayer, muséologue et paléontologue, directeur du Muséum de Genève de 2012 à 2020

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