Marie Curie, une jeune fille de 150 ans

Explorer les transitions

La Coulisse développe à Montpellier un projet théâtral lié à l’adolescence de Marie Curie, dans l’objectif d’opérer une transition vers une approche sensible de la connaissance

Née en 2015, suite de la disparition de ConnaiSciences, le réseau régional des cultures scientifique et technique du Languedoc-Roussillon, La Coulisse est un organisme de formation à l’expression et la médiation des savoirs. A Montpellier, une partie de l’ancienne équipe ConnaiSciences s’est lancée dans la création de cette structure originale, où chercheurs, artistes et médiateurs travaillent main dans la main.

À l’automne 2017, à l’occasion des 150 ans de la naissance de Marie Curie, et en écho aux manifestations culturelles qui auront lieu à Paris, La Coulisse propose en région le déploiement d’un projet artistique et pédagogique, soutenu par l’association Curie et Joliot-Curie. Le projet Marie Curie, une jeune fille de 150 ans est l’actualisation d’une icône mais pas seulement : au théâtre, on devient acteur de ses connaissances, on les incarne et on les partage. À l’heure de la réalité virtuelle et augmentée, c’est une autre manière de prôner l’innovation.

Ce projet s’insère dans le cadre d’une réflexion sur les transitions, une démarche au long cours dans laquelle s’est engagée La Coulisse. Menant la plupart de ses actions entre-les-deux, entre savoirs produits par la recherche et différentes formes de partage avec les publics, l’équipe de La Coulisse a souhaité valoriser cet espace dynamique et vibrant. Dans le cadre du projet lié à l’adolescence de Marie Curie, un travail été développé sur le « passage progressif entre deux états », celui de l’entendement raisonné et celui de la compréhension par l’émotion, le mouvement, les sens et l’intuition. Ces deux états se répondant sans cesse, l’un nourrissant l’autre.

La rationalité soutenue par la sensibilité

L’action de médiation, oralisée et incarnée, développée dans le cadre du projet Marie Curie s’articule autour de trois axes :

  • des travaux théâtraux autour des années de jeunesse de Marie Curie, à destination des collégiens de l’Hérault. Via l’écriture de dialogues et l’interprétation de scènes, il s’agira d’aborder le parcours de Marie Curie, sa volonté de comprendre, la détermination et le dépassement des obstacles rencontrés, le courage au féminin, le contexte historique. Ces travaux s’appuient sur deux ouvrages, Les sœurs savantes de Natacha Henry (2015, La librairie Vuibert) et Marie Curie de Laura Berg et Stéphane Soularue (2015, Naïve). L’action étant menée en partenariat avec le rectorat, l’académie de Montpellier, le conseil départemental et La Maison Théâtre.
  • une participation à une table ronde à l’occasion du colloque national « femmes et sciences » en novembre prochain, et la mise en scène de textes donnant voix et souffe à une exposition mise à disposition par le musée Curie.
  • une formation pour les doctorants pour préparer leur soutenance. Les techniques théâtrales peuvent donner aux doctorants, immergés dans leur recherche, des outils pour dynamiser leur prise de parole, inciter à une meilleure utilisation de la voix et du corps. Elles encouragent également une réflexivité sur le discours et favorise l’écoute des interlocuteurs.

D’une transition des savoirs à une médiation sensible

L’expression théâtrale nécessite de convoquer à la fois la pensée et l’énergie corporelle, elle mobilise les savoirs mais aussi les émotions et les présences entières des apprentis comédiens. Comme nous l’avions écrit avec Andrée Bergeron, maître de conférences en histoire des sciences 1, le théâtre et la science font bon ménage, bien au-delà d’une fonction pédagogique.

Ils font synergie lorsqu’il s’agit d’une incarnation des idées, d’une traversée des corps et de la sensibilité. La mise en jeu permet de s’approprier les élans, mettre en action la construction de la pensée scientifique, poser la nécessaire relation entre les acteurs des découvertes et la société dans laquelle ils vivent.

En écho à la démarche de Marie Curie, qui a proposé des « petites leçons » destinées aux enfants de ses amis, il apparaît que la science « des sommets » n’ambitionne pas de « descendre vers » mais de « s’adresser à » cet auditoire juvénile, avide de connaître et de comprendre.

Il s’agit de la transition d’une science verticale – connaissances déversées par l’un dans le cerveau de l’autre – vers une science horizontale, où l’enfant, guidé par la main de son aîné, investit de plain-pied le champ du savoir, l’investit, se l’approprie.

Comme l’indique Baudoin Jurdant dans Parler la Science 2 : « s’il est vrai que c’est seulement dans sa dimension orale que la langue nous offre l’expérience de la réflexivité, (…), on peut alors comprendre que la vulgarisation soit apparue comme un mécanisme d’appropriation orale de la science, (…). La vie de la langue ne s’atteste véritablement que dans et par la parole. Pour que la science puisse exister dans la culture, il serait nécessaire de la soumettre aux exigences réflexives de la parole. La vulgarisation scientifique serait née du ressenti de cette nécessité. Il serait urgent d’en tenir compte au niveau des institutions destinées à préserver la dimension scientifique de nos sociétés. »

Aujourd’hui d’autres pistes sont explorées par La Coulisse. D’une part, dans le cadre d’une réflexion sur le déploiement sur un territoire où les croisements entre arts et sciences ne sont que ponctuels. La démarche du Domaine d’O à Montpellier, dédié de 2009 à 2012 à une création scénique née d’une coopération scientifique, n’a pas été poursuivie. Et, d’autre part, dans une volonté d’œuvrer pour le décloisonnement, en renforçant une synergie entre des acteurs locaux venus de cercles très divers, comme la formation professionnelle, la création théâtrale, les organismes de recherche, les universités, l’enseignement secondaire.

  1. « De la science à la scène, au risque de comprendre », revue de l’Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale (ANRAT), juillet 2004
  2. Baudoin Jurdant, Parler la science

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