Muséums d’Histoire naturelle et centres de science : évolution des cabinets de curiosités aux musées

Explorer les transitions
© JM de Llobet

En 2007, le Conseil international des musées (ICOM), a défini un musée comme « une institution permanente à but non lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, transmet et expose le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement, à des fins d’études, d’éducation et de délectation » (Statuts de l’ICOM (article 3, section 1), approuvé à Vienne (Autriche) – 24 août 2007).

Cette définition fait référence au patrimoine de toute sorte protégé par un musée et se concentre sur le rôle fondamental que ce patrimoine joue dans l’éducation, l’étude et la délectation.

Les musées qui détiennent des collections d’histoire naturelle sont connus comme des muséums d’histoire naturelle ou de sciences naturelles. Néanmoins, l’article 2 des Statuts de l’ICOM (amendés juillet 2001) spécifie qu’en plus des institutions désignées comme « musées », les lieux suivants sont également des centres d’histoire naturelle :

  • les sites et monuments naturels,
  • les institutions qui conservent des collections et présentent des spécimens vivants de végétaux et d’animaux telles que les jardins botaniques et zoologiques, les aquariums, les vivariums,
  • les centres scientifiques et les planétariums,
  • les réserves naturelles.

Les musées détenant des collections de sciences naturelles ou technologiques, dont la plupart ont une longue histoire, ont traditionnellement montré leurs collections et communiqué la science de manière statique.
Les centres de science se concentrent principalement sur l’engagement de la science en utilisant une approche pratique. Ils proposent des expositions interactives qui encouragent les visiteurs à expérimenter, explorer et découvrir. On les qualifie parfois de musées de science, même si la conservation du patrimoine ne fait pas partie de leurs principaux objectifs.
Beaucoup d’institutions impliquées dans la communication de la science sont également considérées comme des centres de science tels que des festivals scientifiques, des sociétés savantes, des organisations environnementales, des départements d’universités et des organismes de sensibilisation spécialisés, entre autres.

Tous ces efforts visent à rendre la science accessible de manière dynamique en favorisant la découverte active.

Étant donné que toutes les institutions culturelles évoluent au sein de la culture dans laquelle elles baignent, de même les musées d’histoire naturelle évoluent pour refléter le patrimoine qu’ils gèrent et son utilisation. À son tour, le patrimoine géré par les musées a été déterminé par l’évolution des connaissances scientifiques et par des changements d’environnement naturel.

Les musées d’histoire naturelle et les musées de science, au sens large, sont les héritiers des cabinets de curiosités établis aux 17e et 18e siècles. La plupart des musées d’histoire naturelle ont été créés au 19e siècle mais ont depuis évolué pour se renouveler et s’adapter aux besoins et aux réalités du 21e siècle.

Cabinets de curiosité, ménageries et jardins médicinaux. 16è-18è siècles

Jusqu’au 17e siècle, la science telle que nous l’entendons aujourd’hui, est connue sous le nom de « philosophie naturelle », c’est-à-dire comme une interprétation philosophique de la nature. Au cours du 18e siècle, ce concept de philosophie naturelle est remplacé par une interprétation scientifique basée sur la méthode inductive, marquant les débuts de la révolution scientifique.

Les cabinets de curiosités abritent alors des collections naturelles (naturalia) et des objets intéressants fabriqués par l’homme (artificialia), alors que les ménageries et les jardins médicinaux conservent respectivement des collections d’animaux vivants et de plantes vivantes. Ces collections sont principalement le résultat d’explorateurs et de conquérants ayant acquis des spécimens et des objets inconnus, mystérieux et exotiques. Ces collections privées sont des symboles de richesse et de pouvoir, destinés à être montrés aux visiteurs privilégiés et non pas au grand public.

Ces collections ont servi de base aux musées tel que nous les connaissons actuellement. Le premier jardin botanique est fondé par l’université de Padoue en 1545. Le Jardin du Roi créé à Paris en 1635 et devenu Muséum national d’Histoire naturelle en 1793, est considéré comme le premier musée d’histoire naturelle.

Datant des 17e/18e siècles, le cabinet Salvador à Barcelone (Espagne) a été créé et géré par une dynastie d’apothicaires. Ce cabinet a un intérêt particulier car il est probablement le seul cabinet de ce genre presque encore intact aujourd’hui en Europe. Il est conservé comme un reflet fidèle de la connaissance pré-linnéenne de la flore, de la faune, de la minéralogie, de la paléontologie et des applications pharmacologiques de nombreux produits naturels.

Musées, ménageries et jardins botaniques aux 18e et 19e siècles

Les collections relativement petites et dispersées au départ – dont beaucoup constituées de spécimens exotiques des colonies et des régions éloignées de la planète – commencent à augmenter considérablement. Pour les loger, des établissements sont crées dans d’imposants bâtiments au cœur des capitales, devenant ainsi les premiers musées thématiques à ouvrir au public.

La taille croissante et la disponibilité des collections conduit à de nouvelles études et à des changements dans la réflexion scientifique. De nouveaux sujets d’intérêt émergent, tels que la diversité et l’adaptation des espèces, l’élevage d’espèces ; les ménageries deviennent des zoos d’animaux en cage et les jardins botaniques commencent à échanger des graines dans le monde entier.

Des collections technologiques commencent à se constituer vers le début du 19e siècle au moment de la révolution industrielle. Rarement privées et créées pour répondre aux besoins pratiques de l’industrie, elles finissent par devenir des musées technologiques universitaires.

Musées, parcs zoologiques, jardins botaniques, musées interactifs et centres de science. au 20e siècle

Au cours du 20e siècle, certaines disciplines traditionnelles se révèlent anachroniques et sont désavouées, comme par exemple la taxonomie. Le terme « science de l’environnement » est utilisé pour la première fois en 1923 et de nouvelles disciplines apparaissent peu à peu, comme par exemple la biologie, l’écologie, l’éthologie et l’écologie évolutive, pour n’en nommer que quelques-unes. L’importance des contributions individuelles des collectionneurs privés et des naturalistes (y compris des observateurs d’oiseaux) est également reconnue.

Dans une tentative d’offrir une expérience plus naturelle, les institutions commencent à se développer au-delà du concept du diorama. Un des exemples de ce développement est celui de la création d’expositions temporaires expliquant les concepts et les découvertes, conçues pour attirer un public plus vaste et plus diversifié. Les expositions temporaires deviennent des outils didactiques et conduisent à l’emploi de personnel spécifique.

Les musées du 20e siècle ont de nouvelles préoccupations, comme la professionnalisation, le rôle de la conservation, la gestion coopérative des espèces, l’éthique des zoos, etc. Le fardeau que représente le maintien de grandes collections et à la nécessité de justifier leurs coûts sont également un problème majeur.

Au cours des dernières années du 20e siècle, alors que les musées d’histoire naturelle traditionnels commencent à se renouveler, commencent à émerger ce que l’on appelle les musées interactifs et les centres de science, qui s’appuient sur une approche moderne de la muséographie qui exclut l’affichage des collections en tant que telles.

Quand et comment les centres de science ont-ils émergé ?

Les centres de science d’aujourd’hui sont le résultat d’une évolution longue et complexe, indissociable de l’histoire des musées traditionnels, sans parler des nombreuses initiatives de longue date marquées d’une manière ou d’une autre par la vision qu’avaient les Lumières de l’éducation comme moyen d’amélioration de la société.

Les racines des centres de science sont à la fois profondes et larges ce qui rend difficile la détermination d’une date de fondation, mais si nous voulons établir une année de référence, cela pourrait bien être 1969. Cette année voit en effet l’ouverture de l’Exploratorium à San Francisco (Etats-Unis) par Frank Oppenheimer et de l’Ontario Science Centre à Toronto (Canada).

L’Exploratorium sert rapidement d’inspiration à de nombreuses initiatives similaires dans le monde, plus particulièrement en Europe et en Amérique du Nord. Parmi les projets ayant une philosophie similaire d’expérimentation directe par le public, peuvent être cités le musée de la Science et de la Technologie de Detroit (États-Unis) et le célèbre Evoluon d’Eindhoven (Pays-Bas) soutenu par la société Philips.

Enfin, le Deutsches Museum de Munich, le Science Museum de Londres et le Palais de la découverte de Paris, ce dernier dès 1937, qui réfléchissent alors à de nouvelles façons de rapprocher les principes de la science et de la technologie du public en complément de l’exposition classique des trésors de leurs collections, sont également des institutions historiques phares.

L’émergence des centres de science n’est pas un phénomène isolé mais la cristallisation d’un mouvement à grande échelle qui répond à la prise de conscience croissante du pouvoir radical de transformation de la science et de la technologie. Ce mouvement, cherche à informer plus efficacement la société à susciter l’intérêt pour la science dans les écoles et parmi le public en général. Il vise à faciliter la compréhension des phénomènes scientifiques via la participation directe du public à des expériences spécialisées et grâce au développement d’initiatives éducatives novatrices.

Musées d’histoire naturelle, musées de science et centres de science aujourd’hui.

Les musées d’histoire naturelle sont aujourd’hui des entités en constante évolution qui abritent la diversité de sciences naturelles (évolution, biogéographie, biologie de l’environnement, biologie humaine, géologie, biologie moléculaire) afin de répondre à l’intérêt d’un public croissant et d’un besoin de nouveaux modes d’accès au public. La préoccupation mondiale concernant les changements environnementaux suscite un intérêt pour les écosystèmes et la survie des espèces. Les informations disponibles pour les établissements sont maintenant à la portée des citoyens : les collections sont ouvertes pour consultation et Internet permet de publier autant d’informations que possible. Ainsi, les collections sont réévaluées et des utilisations nouvelles pour les collections existantes et nouvelles sont en cours de développement. À l’heure actuelle, il existe plus de 6 500 établissements de ce type dans le monde, dont on estime qu’ils détiennent plus de trois milliards de spécimens.

Les centres de science ont été étroitement associés aux sciences dures comme la physique, la mécanique, l’optique, l’astronomie, etc. Cependant, ils ont progressivement inclus des activités associées à l’écologie et à la biologie et embrassé un large éventail de sciences naturelles et même de sciences sociales, tout en incluant des spécimens originaux et historiques dans leurs expositions. Cette dynamique a permis la mise la création de quelques 3 000 centres dans le monde et il s’en créée sans cesse de nouveaux.

Les musées d’histoire naturelle et les centres de science évoluent en permanence pour répondre aux besoins de la société. Ceci engendre des évolutions de ces institutions connectées avec leurs publics et leurs utilisateurs. Les centres de science utilisent la technologie pour offrir une perspective ludique et compréhensible sur les principes scientifiques qui sous-tendent la nature. Les collections d’histoire naturelle sont intégrées dans ces centres dans le cadre des expositions, leur patrimoine et leur valeur scientifique étant subordonnés à leur fonction éducative. Les centres de science, particulièrement populaires auprès des enfants et des jeunes, ont ouvert la voie à une évolution rapide du musée classique craignant de perdre sa place dans la société. Les musées traditionnels se sont progressivement adapté pour inclure des programmes éducatifs, des expositions temporaires, des éléments interactifs, etc. En bref, ils ont, au sens figuré, enlevé la vitre de l’armoire pour permettre un meilleur contact entre l’objet naturel et le visiteur. La participation et la collaboration des citoyens aux activités et à la gestion des institutions est de plus en plus fréquente, de sorte qu’aujourd’hui, la confluence entre les musées d’histoire naturelle et les centres de science devient une réalité.

Évolution, mutation, hybridation et convergence

Le monde d’aujourd’hui se caractérise par une pléthore d’institutions, allant des musées traditionnels et leurs collections formelles à des institutions marquées par leur mutation constante – de véritables laboratoires de pointe en termes d’expérimentation et ouverts aux rencontres avec tous les arts. Entre les deux, se trouve un large éventail de centres élaborant leurs actions à la croisée des chemins. C’est sans aucun doute un moment intéressant dans l’histoire des musées.

Nous vivons des moments de changements accélérés et les institutions culturelles ne peuvent s’attendre à rester immunisées. Les nouveaux médias et les stratégies de communication combinés à l’évolution des profils culturels du public favorisent le développement de nouvelles institutions. Nos institutions abandonnent l’immobilité et l’inflexibilité du passé pour entrer dans une période de mutations constantes. Dans ce contexte, nous pouvons parler de deux phénomènes caractéristiques de notre époque : la convergence entre le musée d’histoire naturelle et le centre scientifique et l’émergence de ce que l’on pourrait appeler le musée hybride.

Les musées hybrides ou les centres scientifiques prennent en charge, à des degrés divers, des fonctions qui correspondaient traditionnellement à d’autres institutions. Et ils le font très explicitement. Les hybrides intègrent des ressources zoologiques et botaniques, des plates-formes de technologiques et de promotion des entreprises, des alliances d’universités avec des médias et, de plus en plus, la diffusion de l’information concernant les projets de recherche internationaux.

De nombreux centres sont devenus culturellement emblématiques de leur ville, organisent des événements, des conférences et des activités de toutes sortes en dehors de la sphère scientifique, par exemple en accueillant des événements musicaux, de poésie et de théâtre qui renforcent le slogan « la science est culture ». En outre, certains sont devenus de remarquables exemples du modèle hybride : plutôt qu’un hybride sommatif, ils sont un croisement culturel de musée, centre interactif, planétarium, jardin botanique, aquarium, bioparc, centre de formation, forum de discussion, incubateur d’entreprises, centre culturel, centre de congrès, institut de recherche, etc. Aujourd’hui, les musées hybrides créent des espaces adaptés à de multiples usages, aussi diversifiés et flexibles que le monde d’aujourd’hui, et qui reflètent l’apprentissage continu, la créativité, la culture, les nouvelles technologies, le divertissement intelligent, la communication, la société en réseau, la science et l’innovation ; en résumé, des espaces où les citoyens d’aujourd’hui peuvent se rencontrer.

Les musées du 21e siècle s’efforcent de jouer un rôle plus utile et plus pertinent dans la société et remplissent des fonctions qui, en fait, leur correspondent naturellement : faire avancer les sciences et mieux gérer notre planète.

Les musées d’aujourd’hui sont de véritables médias pour la communication sociale. Ils sont aussi beaucoup d’autres choses et ont d’autres fonctions bien sûr, mais du point de vue du public, c’est leur mission la plus visible. Néanmoins, la responsabilité sociale est l’une des autres fonctions fondamentales du musée. Les musées doivent comprendre l’inclusivité en tant que concept global englobant à la fois les dimensions physiques et sociales et exprimer leur engagement envers ce concept en développant des initiatives inspirées des valeurs d’égalité, d’accessibilité et de participation, comme l’expression démocratique d’un projet public et comme un moyen d’atteindre tous les citoyens et de contribuer au changement social en luttant contre l’exclusion.

La fonction sociale des musées dans la conservation de notre patrimoine environnemental et dans la recherche et l’éducation, telle que définie par l’ICOM, est aujourd’hui largement reconnue comme étant plus importante que jamais.

Une des autres fonctions des musées et des centres de science qui devrait être prise en considération de manière plus importante est celle de promouvoir le système de R&D&I lui-même. La principale raison est que la communication sociale de la science aide à comprendre l’importance d’investir dans la recherche (Paramo, 2016). Dans les sociétés démocratiques, « l’opinion publique » joue un rôle déterminant dans la répartition des budgets publics par les gouvernements et les parlements. En raison de l’énorme compétitivité existante lorsqu’il s’agit de l’allocation des ressources publiques dans les démocraties contemporaines, c’est la société qui doit soutenir les gros investissements. Pour cette raison, il est prioritaire d’accroître le soutien social à la science et de rendre plus visible son lien avec le progrès en général.

Les musées d’histoire naturelle, les musées scientifiques et les centres de science doivent aujourd’hui encourager l’engagement avec la science et la culture, générer des connaissances et devenir un instrument de diffusion culturelle. Ils doivent être des lieux où le service rendu à la communauté est un moyen d’introspection et de développement de l’esprit critique.
Nous avons vu comment les musées ont évolué tout au long de l’histoire, des cabinets de curiosités et des collections traditionnelles à l’énorme diversité et complexité des institutions d’aujourd’hui. Mais qu’en est-il de leur avenir ? Quelles seront leurs principales caractéristiques ?
La grande diversité d’institutions, telle qu’elle existe, répond mieux aux opportunités disponibles et aux besoins des différents groupes et sociétés.

La technologie n’est pas susceptible de monopoliser la vie des musées, bien qu’elle joue certainement un rôle fonctionnel très important en matière de contenu. Les utilisateurs, cependant, dans une société saturée de ressources technologiques, peuvent préférer les expériences réelles et les contacts directs proposés par les musées comme alternative à la réalité numérique.

Dans une ère marquée par l’individualisme, l’isolement et même la solitude, il devient de plus en plus compliqué d’avoir des espaces publics où les gens peuvent partager la culture. L’aspect social des visites des musées sera ainsi renforcé, car les musées deviennent des espaces publics qui, en conservant les relations humaines au cœur, offriront des possibilités de partage et d’échange.
Les musées renforceront leur rôle de médiation en développant d’autres fonctions à la demande de la société, telles que l’émission d’informations fiables (plus que jamais nécessaires à l’ère de la post-vérité), (la protection de l’environnement, la formation continue et la créativité sociale et culturelle.

Les musées, à condition qu’ils soient ouverts et flexibles, sont susceptibles de suggérer de nombreux nouveaux usages que nous ne pouvons pas encore imaginer. Nous n’aurions jamais imaginé que les collections qui n’étaient auparavant que le privilège de quelques pionniers et très peu accessible au public évoluent sous la forme des musées publics tels qu’ils nous sont si familiers aujourd’hui. Les entités culturelles ouvertes et flexibles sont susceptibles de répondre plus facilement aux nouvelles opportunités pour les musées du futur.

Tout bien considéré, s’il existe une institution culturelle qui a grandement évolué, c’est bien le musée. Paradoxalement, on pourrait dire que les musées ont maintenant plus d’avenir que de passé.

Laisser un commentaire