Placer la société au cœur des sciences

Du partage des sciences à l'engagement citoyen - 40 ans de politiques de CSTI
Formation à la mise en œuvre du protocole Alamer. © Pauline POISSON – MNHN

Dès les XVIIIe et XIXe siècles, la participation du public à la production de connaissances a permis de constituer de vastes collections scientifiques. C’est à la fin du XXe siècle que les sciences participatives ont pris un nouvel essor notamment dans les domaines de la biodiversité et grâce au développement des technologies de l’information et de la communication.

Les sciences participatives sont des dispositifs qui permettent à la fois aux scientifiques de faire de la recherche avec la société et à la société de s’engager pour la recherche. Elles permettent ainsi de construire de nouveaux liens avec les citoyennes et citoyens, facilitent l’appropriation des résultats de recherche par la société, sensibilisent aux méthodes de la démarche scientifique et contribuent à l’ouverture de la science à la société. Les bases de données produites et leur mise à disposition sur des plateformes numériques favorisent l’accès à des « biens communs » comme le souligne le rapport Houllier. 1

Le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et Sorbonne Université (SU), membres de l’Alliance Sorbonne Université 2, mettent à disposition un ensemble d’expertises allant de la conception et au développement de projets de sciences participatives pilotés par Mosaic 3, à leur accompagnement et à leur mise en visibilité grâce au portail Science ensemble. 4

Un centre de compétences dédié aux sciences participatives

Unité de services rattachée au MNHN et à SU, Mosaic 5, créée en 2020, conseille et accompagne les acteurs de la recherche académique et non académique tels que les acteurs publics ou privés notamment les ONG, associations, entreprises et collectivités territoriales. Ils ont en commun le projet de faire appel à des communautés de personnes pour participer à la collecte et à la qualification de données au service de l’amélioration des connaissances. Composée d’une quinzaine de personnes, Mosaic est dirigée par Romain Julliard, écologue et professeur au MNHN et par Emmanuelle Gonzalez, adjointe en charge du développement des partenariats. Outre plusieurs chefs de projets, l’équipe comprend une dizaine de développeurs web et de designers. « Mosaic a mis au point une méthode originale, explique Emmanuelle Gonzalez, qui consiste à coproduire des données fondées sur le partage et les interactions entre les participants au projet. La méthode permet de collecter des informations de qualité à partir d’un protocole scientifique et de développer in fine les compétences des participants. À travers la mise en commun de ces connaissances, les participants constituent des communautés qui s’enrichissent mutuellement. C’est une forme d’empowerment6». La première étape consiste à concevoir le projet avec les parties prenantes, majoritairement des scientifiques et à définir le protocole qui permettra aux participants de collecter les données utiles pour la recherche. « La conception et le développement de la plateforme collaborative sont l’étape suivante pour Mosaic, poursuit Emmanuelle Gonzalez, elle va permettre d’enregistrer les données et de les enrichir au fil du projet et de structurer la communauté des contributeurs ». « L’équipe d’informaticiens et de designers de Mosaic a développé un savoir-faire spécifique pour gérer les données, les structurer, les historiciser quand elles sont modifiées, souligne Romain Julliard, la capitalisation à la fois en termes méthodologique et technique, est applicable à tous les domaines : de l’écologie, aux sciences médicales, aux sciences humaines, etc. ». Une fois le projet en ligne, Mosaic est chargée de sa maintenance. L’animation de la communauté et la valorisation des données sont assurées par les porteurs de projet.

Mosaic développe principalement des projets pour l’Alliance Sorbonne Université à la demande de scientifiques, mais pas seulement. « Actuellement nous travaillons avec le groupe Icade7 qui est engagé dans une politique de responsabilité sociale et environnementale, explique Emmanuelle Gonzalez. Leur objectif est d’engager les salariés de plus de 200 entreprises à pratiquer des programmes de sciences participatives sur les espaces verts de leur lieu de travail pour découvrir, apprendre et ainsi agir pour la biodiversité. Trois sites sont concernés en région parisienne et représentent plus d’une centaine d’hectares d’étude de la biodiversité présente sur les sites ». À cet effet, trois projets de sciences participatives ont été mobilisés : Spipoll permet d’étudier les réseaux de pollinisation, c’est-à-dire les interactions complexes entre plantes et insectes, mais aussi entre les visiteurs des fleurs eux-mêmes ; Mission hérisson recense ces petits mammifères, et a pour but de suivre leur évolution sur plusieurs années et enfin, BirdLab analyse le comportement des oiseaux à la mangeoire en hiver. « Mosaic a développé une plateforme spécialement conçue pour les salariés. Par ailleurs, l’exposition itinérante de sciences participatives conçue par Sorbonne Université viendra illustrer la démarche scientifique et permettra aux salariés de se familiariser avec cette nouvelle approche grâce à des médiateurs ». « Un autre projet concerne l’expérimentation d’une démarche de démocratie participative, dans le cadre d’un projet de recherche associant une dizaine d’équipes européennes. Le rôle de Mosaic est d’accompagner deux collectivités dans la co-construction de leur politique d’éclairage public urbain avec les habitants », complète Romain Julliard. « Le protocole que nous avons imaginé est fondé sur l’autoanalyse des habitants de leur relation à l’obscurité à partir de leurs émotions, de leurs souvenirs d’enfance, associés à des photos. Cette analyse faite, ils sont plus qualifiés et légitimes pour poser des questions sur les enjeux de l’éclairage public et émettre des recommandations. Comme pour tous les projets, nous devons trouver le bon niveau de complexité de protocole pour ne pas rebuter les contributeurs, tout en produisant des données de qualité utiles à la codécision », insiste le directeur de l’unité de services. « Une des originalités de la méthode Mosaic est de faire valider les données par la communauté plutôt que par des experts, poursuit Emmanuelle Gonzalez ; en effet, on constate que les participants sont très exigeants avec la qualité des données produites, le bien commun que cela représente. Nous avons aussi constaté une grande bienveillance au sein des communautés de contributeurs ».

Les axes de développement de Mosaic pour les prochaines années sont tournés vers les projets de démocratie participative, les sujets à impact social tels que la santé, l’alimentation, l’agriculture et bien sûr la biodiversité.

« Science ensemble»8 : la vitrine des projets participatifs

Financé par l’Idex (initiative d’excellence) SUPER de l’Alliance Sorbonne Université dans le cadre du soutien de l’État aux Programmes Investissements d’Avenir (PIA), le portail Science Ensemble a pour objectif de faire connaître les projets scientifiques qui s’appuient sur une démarche de sciences participatives et d’inciter les publics à y contribuer. Le portail, mis en ligne en 2019 après 18 mois de préfiguration, est piloté par Alexandra Villarroel et Laure Turcati, respectivement rattachées au MNHN et à l’Institut de la transition environnement (ITE-Sorbonne Université),

« Le portail Science ensemble réunit 45 projets transdisciplinaires liés aux sciences de l’environnement, à la biodiversité, à l’astronomie, à la géologie, à la santé mais aussi des projets dans les domaines de la linguistique, de la musicologique, de l’histoire, et aussi du patrimoine, précise Alexandra Villarroel ; les projets sont tous portés ou co-portés par des scientifiques de l’Alliance Sorbonne Université ».

Les compétences développées par les membres du réseau métier de Science ensemble sont variées : méthodes et outils, médiation, outils de communication et réseaux sociaux, animation de réseaux, des publics et des participants, questions éthiques, juridiques et déontologiques.

En rejoignant le portail et donc le réseau, les membres s’engagent à faire connaître leur projet auprès du public et à contribuer aux échanges qui ont lieu sur la plateforme fédératrice et interdisciplinaire. Si leur projet de sciences participatives est à créer, ils peuvent trouver au sein du réseau un appui méthodologique et scientifique grâce aux interactions possibles avec d’autres porteurs de projets et chercheurs, aux documents mis à disposition et aux compétences spécifiques portées par chacun. Une plateforme ressources, alimentée par l’ensemble des membres, met également en commun les informations et les connaissances relatives aux sciences participatives, générales ou spécifiques aux projets.

« En complément du portail, des ateliers d’échanges entre les porteurs de projets – une centaine en incluant les partenaires associatifs – sont organisés régulièrement pour développer les interactions entre les membres, souligne Alexandra Villarroel. Ils sont l’occasion de faire rencontrer les porteurs de projets et de mettre en commun les connaissances acquises en termes d’évaluation des programmes de recherche, d’impact sur la société, d’outils d’animation et de communication, etc. ». Ces temps permettent aux porteurs de projets d’échanger sur leurs pratiques, de mutualiser des outils et idées, et de monter en compétence. Par ailleurs, un premier colloque a été organisé en 2018 pour fédérer le réseau et un deuxième s’est tenu en 2021 sur le sujet de l’évaluation.

« La tendance est à l’accroissement du nombre de projets, constate Alexandra Villarroel, beaucoup concernent les sciences de l’environnement mais peu à peu d’autres thématiques disciplinaires émergent telles que le nouveau projet POPEI-Coll qui vise à renouveler les politiques de conservation des patrimoines en lien avec les populations locales au Timor-Leste (Asie du sud-est), ou encore CosmoNote, porté par l’IRCAM, dont l’objectif est d’étudier les structures créées et façonnées dans l’interprétation musicale. Les articulations entre sciences de l’environnement et sciences sociales sont également plus fréquentes comme dans le programme PartiCitaE, un observatoire participatif mobilisant chercheurs et citoyens pour construire une connaissance globale, scientifique et partagée de l’environnement urbain ou encore Plages Vivantes qui associe un observatoire participatif de la biodiversité des hauts de plages et des recherches en sciences sociales sur des sujets tels que la patrimonialisation et les expériences du littorral ».

 

Science ensemble - quelques chiffres
  • Près de 20 000 pages consultées sur une année.
  • Plus de 9 000 visites, et 450 téléchargements.

Les sciences participatives sont définies comme les formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non scientifiques professionnels, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, participent de façon active et délibérée.
(Rapport Houllier, 2016).

Plateforme participative : espace numérique de collecte et de partage où tous les participants saisissent leurs données d’observation autour d’un thème donné. Les participants se retrouvent sur la plateforme pour interagir, échanger et enrichir leurs propres connaissances.

 

1 https://www.participarc.net/pdf/rapport-houllier-2016.pdf

2 Membres de l’Alliance Sorbonne Université : Sorbonne Université, Le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), L’INSEAD,  L’Université de technologie de Compiègne (UTC), Le pôle supérieur d’enseignement artistique Paris Boulogne-Billancourt (PSPBB), Le Centre international d’études pédagogiques (CIEP).

3 https://mosaic.mnhn.fr

4 https://www.science-ensemble.org

5 https://mosaic.mnhn.fr

6 Empowerment : capacité d’un individu, d’une communauté, ou d’une association, etc. à prendre le contrôle des événements qui le ou la concerne. 

7 Icade, filiale de la Caisse des dépôts.

8 https://www.science-ensemble.org/les-sciences-participatives

Bibliographie
– Rapport sur les sciences participatives en France, par François Houllier, remis au ministère chargé de l’éducation nationale
et de la recherche. 2016.
– Rapport Sciences et société : les conditions du dialogue, par Gérard Aschiéri. Conseil économique, social et environnemental (CESE). 2020
– Évaluation des sciences participatives. Acte du colloque de juillet 2021 du réseau Science Ensemble. 2021.

Les commentaires sont fermés.