Sciences et recherches participatives – Paysage actuel et rôle du réseau de la CSTI

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Recherche de météorites – © FRIPON/Vigie-Ciel

Aujourd’hui, des projets de science participative aussi nombreux que divers touchent à des domaines tels que l’anthropologie, l’archéologie, le patrimoine, l’astronomie, la géologie, l’écologie ou la biologie. Ils sont menés dans une variété d’institutions et impliquent un grand nombre d’acteurs, scientifiques ou non scientifiques, professionnels ou amateurs. De la diversité de ces approches collaboratives naît une richesse qui nourrit la connaissance et permet de développer le savoir… Cette implication de non-scientifiques dans la production de connaissance(s) n’est pas nouvelle : à titre d’exemple, le Muséum national d’Histoire naturelle dispose d’une tradition longue de plusieurs siècles de collaborations entre scientifiques et amateurs, ces derniers ayant notamment contribué de manière significative à l’enrichissement des collections ou à l’identification taxonomique. 

Ce sont ces « formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels participent de façon active et délibérée » que l’on nomme sciences participatives (Houllier, 20161). Cette définition recouvre une grande diversité de pratiques, qui se traduit par une sémantique variée : recherches participatives, sciences participatives, recherches collaboratives… Nous utiliserons ici le terme englobant de sciences et recherches participatives (SRP). 

Dans cet article, le principe et l’impact des projets de SRP seront présentés et le rôle que peut jouer le réseau de CSTI dans ce domaine sera développé, en prenant l’exemple de l’astronomie participative. 

Principe des projets de SRP

L’époque actuelle est marquée par des changements globaux : dérèglement climatique, érosion de la biodiversité, épuisement des ressources pédologiques et marines ou encore fragmentation des habitats et écosystème. Pour y faire face, on assiste à l’émergence de méthodes de gestion de l’environnement et des territoires qui se veulent plus collaboratives et basées sur des connaissances plurielles. Ces approches reposent sur des données à large échelle spatiale et temporelle collectées par des professionnels et par des amateurs. L’arrivée des outils numériques et l’essor d’Internet ont rendu possible le partage et la compilation des données pour étudier des processus complexes et faire progresser les connaissances.

Le programme Vigie-Nature, porté par le Muséum national d’Histoire naturelle, a été conçu dans cet objectif. Avec une vingtaine de protocoles d’observation (observatoires) comme le Suivi photographique des insectes pollinisateurs (SPIPOLL), Opération papillons, Oiseaux des jardins…, il permet depuis 1989 de collecter des données de faune et de flore. Tous ces observatoires suivent un même principe simple : à partir d’un protocole, les observateurs récoltent des données qui seront ensuite analysées par des chercheurs et par d’autres amateurs. Cette expérience permet aux contributeurs de monter en capacité en développant des connaissances sur l’objet d’étude.

Plusieurs programmes Vigie-Nature et de nombreux autres programmes en SRP vont au-delà de la collecte de données et offrent aux participants la possibilité de les analyser et de les enrichir. Un tel travail s’effectue au sein de la communauté de participants et bénéficie de compétences et connaissances partagées. Ces procédés permettent d’envisager d’une manière différente la validation et l’expertise, en faisant reposer la fiabilité et la qualité des données produites sur un collectif mêlant professionnels et amateurs. Cette expérience est rendue possible sous réserve d’avoir des données ouvertes, modifiables par le contributeur et qui peuvent être commentées par la communauté. Un tel principe donne une nouvelle dimension à la recherche scientifique qui ne concerne plus uniquement des experts professionnels mais ouvre à toutes et à tous la possibilité de participer à des projets collaboratifs permettant de partager les savoirs et de renforcer le pouvoir d’agir. 

Ces projets répondent aussi souvent à des besoins ou à des constats exprimés par des non-scientifiques et qui peuvent toucher à leur environnement immédiat, à leur cadre de vie, de travail ou de santé ou à toute question pouvant susciter l’intérêt et la curiosité d’un non expert. Les sciences participatives sont une co-construction permanente, qui va de l’identification des problématiques, à la collecte et l’analyse des données, jusqu’à la proposition et la mise en œuvre des solutions.

Bénéfices et impacts des projets de sciences et recherches participatives

Les bénéfices des projets de SRP sont multiples. En premier lieu, ils permettent le développement de projets de recherche scientifique qui n’auraient pas pu voir le jour sans une telle collaboration. En effet, ces programmes permettent d’accéder à des données que les chercheurs ne pourraient pas atteindre sans l’implication des citoyens : à de larges échelles spatiales et temporelles, dans des lieux privés (tels que les jardins) ou liés à des savoir-faire ou des savoirs d’usage spécifiques. Par ailleurs, les données participatives alimentent de nombreux projets de recherche. Les données de Vigie-nature ont ainsi été mobilisées dans plus de 150 publications scientifiques et près de 40 thèses de doctorat entre 2005 et 2020. Par exemple, dans une publication de Olivier et al. (Nature communications, 20202), les auteurs ont analysé les données combinées de plusieurs programmes participatifs de Vigie-Nature (Vigie-Chiro, opération papillons et STOC et SHOC) et ont montré que les paysages urbains et agricoles intensifs ainsi que la perte de diversité déstabilisent de différentes manières les communautés de chauve-souris, oiseaux et papillons.

D’autres études s’intéressent

à l’impact des projets de SRP sur l’acquisition de savoirs en sciences et sur les changements de pratiques. Celle de Nicolas Deguines et al. (Science of the total environment, 20203) s’est ainsi intéressée aux lépidoptéristes qui participent au programme « Opération papillons ». Les auteurs ont cherché à savoir si la participation soutenue à ce programme était associée à des changements de comportement individuels. Pour cela, Ils ont quantifié les pratiques de jardinage qui affectent directement les papillons, à travers deux indices différents : la fourniture de ressources en nectar et l’utilisation de pesticides. Cette étude a révélé que la participation à un programme de science citoyenne axé sur la nature peut inciter à adopter des comportements respectueux de la biodiversité et ne se contente pas d’être un outil de collecte des données écologiques.

Pour préciser et approfondir ces études et répondre aux nombreuses questions qui restent en suspens concernant les impacts des SRP, des réseaux professionnels en recherches et sciences participatives s’organisent et travaillent sur des problématiques communes. On peut citer le travail du réseau Sciences Ensemble de l’Alliance Sorbonne Université qui a conduit des ateliers et un séminaire sur l’évaluation des projets de SRP, trop souvent réduits au nombre de participants ou de données produites. Ce travail a permis de mettre en avant leurs impacts scientifiques, sociétaux et pédagogiques4. L’association européenne de sciences participatives (ECSA) a, quant à elle, établi dix critères pour évaluer les projets SRP5.

Comment le réseau de la CSTI peut-il être utile à ce type de projets ?

En 2016, une enquête Ipsos/Sopra Steria et La Recherche/Le Monde6 a montré que 35 % des personnes interrogées ont déjà entendu parler des sciences participatives mais rares sont celles qui savent précisément de quoi il s’agit (4 % des Français seulement) ; signe que, même si la participation citoyenne à des travaux de recherche scientifique a fortement progressé en France ces dernières années, cela reste un phénomène limité à l’échelle du grand public. Pour autant, l’intérêt des Français pour les sciences participatives est manifeste. Il s’observe surtout dans ce qu’ils se disent prêts à faire au niveau individuel pour contribuer à l’amélioration et au développement de la connaissance scientifique. 66 % des personnes interrogées pourraient ainsi accepter de participer à la collecte d’informations sur l’environnement dans leur région et de les transmettre à des scientifiques pour analyse.

La mobilisation du réseau de CSTI peut permettre aux programmes de SRP de changer de dimension en touchant un plus large public. Les défis sont multiples : attirer de nouveaux participants, les fidéliser, répondre à leurs questions et accompagner leurs projets, mettre en place des espaces de dialogue pour faciliter l’émergence de nouvelles problématiques et de programmes liés, faire connaître l’offre existante et expérimenter…

Pour illustrer différents cas existants, on peut prendre l’exemple de l’astronomie participative.

Le programme Vigie-Ciel invite le grand public à rechercher des météorites fraîchement tombées et à identifier de nouveaux cratères d’impact. Pour engager de nouveaux participants et les maintenir intéressés, les structures de médiation peuvent jouer un rôle déterminant en tant que relais des programmes. C’est le cas pour de nombreux planétariums ou clubs d’astronomie, qui proposent ainsi une offre originale pour intéresser le public aux problématiques scientifiques rattachées au projet et les amener à participer. Cet accompagnement prend par exemple la forme de séances de planétarium dédiées qui citent la possibilité de participer dans leur trame comme à la Coupole à Saint-Omer dans les Hauts-de-France. Un autre relais du programme, le planétarium roannais, a répondu à la demande d’un réalisateur pour participer à un film qui met en avant les chercheurs et les amateurs et expliquer les objectifs scientifiques et le point de vue des participants7.

Lorsqu’une communauté d’intérêt se construit au niveau local, les structures de CSTI peuvent également l’accompagner en proposant des espaces d’échange, des formations, des événements. Par exemple, la société Astronomique de Bourgogne met en place une diversité d’actions depuis quelques années autour des météorites et publie une newsletter dédiée au public intéressé sur le territoire. D’autres structures, comme le planétarium de Vaulx-en-Velin, jouent également le rôle de facilitateurs afin de faire progresser des projets de recherche sur l’étude des galaxies ou des particules cosmiques en mettant en relation chercheurs et participants et en confiant du matériel scientifique à des familles d’observateurs.

Enfin, des rencontres rassemblant les participants aux côtés des chercheurs et des structures relais sont également organisées comme l’événement « 1,2,3 Cherchez » qui a eu lieu en décembre 2019 à la Cité des Sciences et de l’Industrie8. Deux sociétés savantes : la Société Astronomique de France et la Société Française d’Astrophysique animent également chaque année des ateliers de collaborations entre amateurs et professionnels9. Ce type d’événements co-construits par les amateurs et les professionnels pour mettre en avant leurs projets communs permet de repenser les rôles et de voir émerger de nouvelles pratiques plus collaboratives.

Remarquons que pour accompagner la structuration d’une communauté de participation et faciliter les échanges entre participants et avec les chercheurs, il est important de mettre en place des outils dédiés. Différentes solutions existent avec leurs participation.

Au-delà de l’astronomie, le réseau des acteurs de la CSTI est impliqué à plusieurs titres dans des programmes de SRP. Plusieurs muséums à travers le monde portent différents programmes et mettent en place des espaces d’échange pour partager leurs pratiques. Des living labs comme le Dôme à Caen constituent des espaces d’expérimentation et de co-construction qui favorisent l’émergence et le déploiement de projets de SRP. Un modèle particulier est celui des boutiques de sciences qui créent et facilitent le dialogue entre les organisations de la société civile et le milieu de la recherche pour accompagner et soutenir des initiatives citoyennes. De belles opportunités résident également au sein des sociétés savantes, actrices historiques en sciences participatives, regroupant des amateurs éclairés qui contribuent à l’amélioration des connaissances et à la recherche scientifique. 

Deux bénéfices directs pour la structure qui s’engage dans des projets de SRP sont le renforcement des liens avec le monde de la recherche et la diversification du public :

La recherche étant au cœur des projets de SRP, les chercheurs engagés dans ces programmes sont amenés à travailler étroitement avec les médiateurs des structures de CSTI qui relaient les programmes pour un bénéfice mutuel (réalisation d’outils pédagogiques, animation de la communauté de participants, analyse des données…). 

La définition des publics de structures de CSTI est également à repenser pour intégrer les publics participants. Le défi est de rapprocher les différents publics et de les amener à circuler entre les espaces de médiation et les espaces de participation même s’ils se situent à l’extérieur de la structure. Au MNHN, dans le jardin des plantes, des animations sont par exemple organisées pour présenter les programmes participatifs du Muséum national d’Histoire naturelle aux visiteurs et les initier afin de susciter quelques vocations. Les universités mettent également en place plusieurs initiatives pour valoriser les projets participatifs qui s’y développent, la direction culture science société de Sorbonne Université a par exemple, pour la Fête de la science, présenté au public une exposition dédiée aux projets de SRP.

Conclusion

Les SRP permettent de collecter des données, dont la quantité ou la qualité seraient inatteignables sans l’implication de participants (non scientifiques professionnels). Elles mobilisent l’intelligence collective, et des savoirs individuels ou propres à un groupe d’acteurs. Elles sont également sources d’innovations pour la recherche scientifique, en renouvelant les pratiques, les méthodes ou encore les problématiques. La collaboration entre porteurs de projets de SRP et acteurs de la CSTI permet de relever les défis que pose cette autre manière de faire de la recherche avec les citoyens. Elle permet de favoriser des initiatives de médiation innovantes et de repenser les liens entre professionnels de la recherche, de la médiation et publics amateurs éclairés et néophytes.

Asma Steinhausser, coordinatrice des programmes de sciences participatives Vigie-Ciel et Vigie-Terre au MNHN

 

1 Francois Houllier, Jean-Baptiste Merilhou-Goudard. Les sciences participatives en France: Etats des lieux, bonnes pratiques et recommandations. [Autre] 2016, 63 p. hal-02801940

2 Théophile Olivier, Elisa Thebault, Marianne Elias, Benoît Fontaine, Colin Fontaine. Urbanization and agricultural intensification destabilize animal communities differently than diversity loss. Nature Communications, Nature Publishing Group, 2020, 11, pp.2686. 10.1038/s41467-020-16240-6. hal-02735915

3 Nicolas Deguines, Karine Princé, Anne-Caroline Prévot, Benoît Fontaine. Assessing the emergence of pro-biodiversity practices in citizen scientists of a backyard butterfly survey. Science of the Total Environment, Elsevier, 2020, 716, pp.136842. (10.1016/j.scitotenv.2020.136842). hal-02553145

4 Actes du colloque du 5 Juillet 2021: https://www.science-ensemble.org/ressources/whldx-2021-evaluation-des-sciences-et-recherches-participatives-actes

5 https://ecsa.citizen-science.net/wp-content/uploads/2021/05/ECSA_Ten_principles_of_CS_French.pdf 

6 https://www.ipsos.com/fr-fr/sciences-participatives-quen-pensent-les-francais

7 https://www.cocottesminute.fr/documentaire/chasseurs-de-meteorites

8 https://www.youtube.com/watch?v=xjq4ZjaQTc8

9 https://proam-gemini.fr/atelier-2021-appel-a-contributions/

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