Stéréotypes et accès aux sciences – Importance des dispositifs d’ouverture aux sciences en collège-lycée

Du partage des sciences à l'engagement citoyen - 40 ans de politiques de CSTI
© Pierre Grasset

« La science est un bien commun, la science est une dimension essentielle à la vie de chacun, la science est l’hygiène de l’esprit du citoyen. Elle est une part essentielle de notre culture […]. Elle a sa place dans toutes les têtes, dans tous les foyers, dans tous les milieux, dans tous les quotidiens. […] elle ne peut se contenter de se « diffuser » dans la société, comme par ruissellement depuis les prétendus sommets de la recherche, ni trancher les débats par sa seule autorité : elle doit aller à la rencontre de la société, s’offrir en partage aux citoyens et les embarquer dans ses pérégrinations. »

Le 30 avril 2021, au cœur d’une crise sanitaire sans précédent qui a ébranlé le monde, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, prenait la parole pour présenter l’ensemble des mesures issues de la loi de programmation de la recherche autour de de la thématique « Science avec et pour la société ».

A travers ces mots, c’est toute la complexité du rapport des citoyens à la science qui transparaît, accompagnée de ses faiblesses, de ses complexes et surtout de l’importance d’un changement de fond.

Dans le système scolaire français actuel, les élèves de collège et lycée suivent des enseignements de sciences plus ou moins poussés. Au collège, les élèves suivent en moyenne 8h30 d’enseignements scientifiques par semaine (soit près de 33% des heures hebdomadaires). En seconde générale, le socle commun reste riche en sciences, avec 10 heures d’enseignements scientifiques sur les 26h30 hebdomadaires obligatoires (38%). Depuis la rentrée 2019, la donne a changé en première et en terminale : le socle commun est réduit, au profit des enseignements de spécialité variés. Depuis, les enseignements scientifiques obligatoires sont réduits à 2 heures sur les 15h30 hebdomadaires, soit 13%. Les élèves peuvent alors choisir d’enrichir leur parcours via les options et spécialités scientifiques ou d’autres domaines.

Cependant, une constante revient quel que soit le niveau et les parcours : avec des programmes denses et un équipement souvent restreint, les enseignant·es disposent de temps et de moyens limités pour couvrir l’intégralité des connaissances à acquérir par leurs élèves. Ainsi, les sessions type « travaux pratiques » se font plus rares, et se limitent aux expérimentations indispensables de chimie, de physique ou de sciences de la vie.

Or les sciences, par essence, sont faites d’essais, d’erreurs, de réflexions et de corrections, pour aboutir à une réponse qui se rapproche le plus possible de la vérité. L’acquisition de connaissances scientifiques, tronquées de cette possibilité de manipulation et d’expérimentation, perd une partie de son sens, et l’intérêt que peuvent susciter les sciences auprès des élèves s’en trouve également altéré. Parallèlement, les sciences subissent fréquemment la coloration négative des stéréotypes qui les poursuivent. Très souvent, elles sont jugées complexes, et réservées à une élite rare capable de les comprendre et de les appréhender.

De plus, en dehors de leur parcours scolaire, de nombreux jeunes n’ont pas la possibilité d’accéder aux sciences via leur environnement socio-culturel personnel. Pour de nombreuses raisons, l’ouverture aux sciences dans des activités périscolaires n’est fréquemment pas suffisamment encouragée pour susciter une réelle appétence pour les sciences.  Ainsi, si l’ouverture aux sciences n’est rendue possible ni par l’établissement scolaire ni par l’environnement personnel de l’élève, les stéréotypes gravitant autour des sciences ont champ libre pour repousser les jeunes loin des parcours scientifiques. 

Focus sur le stéréotype de genre dans l’accès aux sciences

Dans l’un de ses rapports 1, l’UNESCO rapporte la surreprésentation masculine dans le domaine scientifique, et plus généralement dans les carrières dites « intellectuelles », par opposition aux carrières impliquant des aptitudes physiques.

Dans le monde, 53% des titulaires d’une licence ou d’un master scientifique sont des femmes. Pourtant, elles ne représentent que 28% des chercheurs, et encore moins d’ingénieurs. La palme du plus grand déséquilibre revient à l’Asie du Sud (17% de femmes chercheures), mais l’UE n’est pas en reste de ce triste classement, puisque seules 33% des chercheurs européens sont des femmes, et à peine plus d’un chercheur français sur quatre est une femme.

La balance est plus déséquilibrée dans certains domaines que dans d’autres : dans les sciences de la vie, la parité est souvent atteinte, voire dépassée en faveur des femmes, tandis que dans d’autres domaines, leur représentation est insignifiante. Dans une grande part de l’Europe, peu de femmes sont diplômées en physique, mathématiques et informatique. Ce déséquilibre s’expliquerait en grande partie par la solidité des stéréotypes de genre, qui laissent penser que les hommes seraient naturellement plus brillants que les femmes. Ces stéréotypes seraient particulièrement actifs chez les petites filles, dès l’âge de six ans.

Dans une étude de 2017 publiée dans Science 2, des enfants sont confrontés à un récit décrivant, sans indice de genre, une personne « très très intelligente », puis doivent choisir parmi quatre images (deux hommes et deux femmes) à quelle personne correspond cette description. Avant l’âge de six ans, les enfants ne semblent pas prendre en compte les stéréotypes et choisissent majoritairement un individu de leur sexe. Mais à partir de cet âge, les jeunes filles tendent à désigner plus naturellement les personnages masculins. Puis lorsqu’on propose à ces mêmes enfants de choisir entre un jeu « pour des enfants très très intelligents » et un jeu « pour des enfants qui essaient très très fort », la majorité des jeunes filles qui avaient associé dans le premier test intelligence et masculinité ont choisi la seconde version du jeu. Les jeunes filles associent donc non seulement l’intelligence au genre masculin, mais se privent de l’accès au jeu qu’elles considèrent naturellement pour les garçons. Non seulement les jeunes filles absorbent très facilement les stéréotypes, mais sélectionnent leurs activités et plus tard leurs parcours de vie en se pliant à ces stéréotypes. Les hommes étant considérés comme naturellement plus brillants que les femmes, il devient donc tout naturel pour les jeunes filles de délaisser les domaines considérés comme complexes, pour se diriger vers d’autres carrières.

Ce travail souligne l’importance de s’attaquer au problème de disparité des genres dans les cursus scientifiques, d’une part en montrant comment la société influence et entretient les stéréotypes de genre, dès notre plus jeune âge, et d’autre part en faisant la lumière sur des exemples forts de femmes scientifiques, dans le but de contrebalancer la surreprésentation des hommes dans ces domaines. De nombreux·ses chercheur·e·s ont étudié la représentation des genres dans l’environnement des enfants. Un exemple flagrant apparaît lorsqu’on se penche sur les jouets 3.  Une dinette avec l’inscription « pour faire comme maman » et un kit d’apprenti chimiste « pour devenir un vrai scientifique » sont deux exemples de la grande ségrégation qui règne dans les rayons des jouets. En effet, comme l’étudiait Mona Zegaï en 2010 dans les Cahiers du Genre4, dans la très grande majorité des enseignes de jouets, le rayon des jouets pour filles est rose, violet et pailleté, plein de poupées, de mini poussettes et de dinettes. Celui des garçons est bleu, vert, orange, plein de camions, de jeux de constructions et d’expériences scientifiques. Ces univers sont cloisonnés, et de chaque côté, un monde à la fois excluant et emprisonnant. Vers l’âge de quatre ans, les enfants commencent à classifier rigoureusement les jouets en fonction du genre auquel ils l’associent. Généralement, les petits garçons aiment les jouets perçus comme des jouets pour les garçons, pensent que ce qu’ils aiment plait à tous les garçons et pas aux filles, et rejettent les jouets qu’ils estiment être « des jouets de fille » 5. La représentation des figures féminines et masculines sur les emballages, les couleurs stéréotypées ainsi que les activités proposées dans les rayons sont autant de facteurs qui renforcent les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge chez les enfants. La ségrégation des jouets selon le genre est l’un des facteurs pouvant expliquer l’apparition et la solidité des stéréotypes de genre chez les enfants, fondations des futurs choix de carrière 2.

Souvent associés au genre masculin et physiquement travaillés pour satisfaire les stéréotypes de ce genre, les jouets de découverte des sciences sont, dès la petite enfance, la vitrine d’un domaine excluant. 

Des dispositifs d’ouverture aux sciences de l’école au lycée

Par ses multiples actions, la Rotonde s’inscrit dans cet d’ouverture aux sciences, pour toutes et tous. Cette volonté se traduit par des actions fréquentes et suivies dans le temps auprès de publics scolaires, de l’école primaire au collège - lycée, via le dispositif SchooLab.

Dès le collège, et de manière encore plus marquée au lycée, les jeunes sont invité·es, parfois pressé·es, à s’orienter vers le domaine de leur future carrière. Mais ce choix ne peut se faire de façon réfléchie et pertinente que si toutes les possibilités sont considérées sur un même pied d’égalité. Le dispositif SchooLab propose aux élèves, dans cette période charnière où leur avenir se construit, de prendre part à un projet motivant, parsemé de rencontres, de découvertes hors les murs et d’expérimentations réelles, dans le but de donner corps et sens à l’acquisition de connaissances sous-jacente.

Rencontres avec l’enseignement supérieur et la recherche

Pour briser les clichés des parcours scientifiques, SchooLab offre aux élèves l’opportunité de recevoir en classe des étudiant·es et doctorant·es issu·es de cursus scientifiques, dans le cadre d’ateliers créés et animés par eux·elles. Les élèves découvrent que les sciences ne sont ni inaccessibles, ni réservées aux « génies » souvent dépeints. Ces rencontres permettent de faire la lumière sur les études supérieures en sciences, et de se projeter dans ces parcours, en balayant les stéréotypes.

Un apprentissage par l’action

Dans les différents parcours, chaque élève s’investit à sa manière, selon ses centres d’intérêt et compétences. Les esprits créatifs, manuels, poétiques, sensibles sont les bienvenus, et sont encouragés à prendre leur place dans le projet scientifique.

Ces sessions accompagnées sont également une précieuse occasion d’exercer son esprit critique, d’appréhender la méthode scientifique et de l’éprouver soi-même. Les projets SchooLab sont entièrement réalisés par les élèves : ce sont eux·elles qui débatent lors des rencontres, qui réfléchissent aux protocoles expérimentaux, qui réalisent les expériences et en tirent leurs conclusions. Loin du format « cours », les élèves sont acteur·rices de leur propre projet.

En effet, les sciences cognitives ont mis en lumière un point essentiel du processus d’apprentissage 6. Le cerveau humain a un besoin fondamental : se confronter à un retour d’expérience. C’est l’apprentissage par essai-erreur. Il est à la fois célèbre et reconnu dans les sciences cognitives, mais toujours largement méconnu du grand public. En effet, bien que son efficacité ne soit plus à prouver, cette méthode d’apprentissage
est souvent sous-estimée, aussi bien par les formateurs que par les apprenants.
Apprendre par essai-erreur consiste à mettre notre cerveau en situation de test, puis à corriger le raisonnement produit. Cet apprentissage est largement utilisé dans les enseignements où les connaissances sont fréquemment contrôlées au cours du temps. L’exemple le plus connu du système éducatif français est le système du « cours puis exercices », ainsi que celui du « contrôle continu ».

Découvertes hors les murs 

Parallèlement aux sessions accompagnées en classe, SchooLab encourage les classes à partir à la rencontre des sciences de la recherche en train de se faire. Dans chaque projet, les élèves ont l’opportunité de visiter des lieux de culture scientifique, des entreprises, ou des laboratoires de recherche, pour rencontrer les acteur·rice·s des sciences directement sur leur lieu d’exercice. Ces moments privilégiés sont l’occasion pour ces jeunes de réaliser de leurs propres yeux qui sont réellement celles et ceux qui font les sciences, et de pouvoir se projeter dans ces domaines multiples et variés.

Travail coopératif, production finale

En complément de ces objectifs d’ouverture aux sciences, SchooLab offre aux élèves une occasion d’apprendre à travailler ensemble sur un projet commun, et de toucher du doigts les méthodes de la gestion de projet. Les parcours s’étendant sur plusieurs mois, les équipes enseignantes impliquent étroitement leurs élèves dans la gestion du projet : définir la problématique du projet, émettre des hypothèses, imaginer des protocoles expérimentaux, réaliser des expériences, analyser les résultats, valider ou invalider les hypothèses de départ, conclure et restituer les connaissances acquises. Ils·elles éprouvent totalement la démarche scientifique, exercent leur esprit critique, et apprennent à échanger et à argumenter. En fin de projet, les classes sont invitées à produire un livrable tangible, point final au projet valorisable dans et hors de l’établissement. La perspective d’une production finale est un moteur pour les élèves, qui participent à un projet concret et très valorisant.

Né en 2017, SchooLab s’appuie aujourd’hui sur des bases solides, nourries de retours riches des enseignant·es, élèves, étudiant·es, doctorant·es et partenaires qui ont à un moment donné posé le pied dans le dispositif. Ces retours sont unanimes : l’occasion offerte aux collégien·nes et lycéen·nes de « faire » les sciences est extrêmement précieuse. Elle permet un retour à l’essence des sciences en classe, de lever le brouillard planant sur l’accessibilité aux domaines scientifique et aux cursus qui y mènent, et favorise l’acquisition et le renforcement d’une multitude de connaissances et compétences scolaires, mais aussi humaines.

Dans une société où les stéréotypes ont la peau dure, les domaines scientifiques ne sont pas en reste. Le dispositif SchooLab tente, à son échelle, de faire changer le rapport que la jeunesse entretient avec les sciences, et de dépoussiérer les visions dépassées des sciences en offrant un nouvel éclairage des domaines scientifiques en collège et lycée.

 

1 « Vers une diminution des disparités hommes-femmes dans la science et l’ingénierie ? » , Rapport de l’UNESCO sur la science : vers 2030, 2016 : https://fr.unesco.org/sites/default/files/usr15_is_the_gender_gap_narrowing_in_science_and_engi neering_fr.pdf 

2 « Gender stereotypes about intellectual ability emerge early and influence children’s interests », Bian et al., Science, 2017. https://www.science.org/doi/10.1126/science.aah6524 

3 « Rapport d’information, fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur les stéréotypes de genre », G. Le Bohec, K. Lebon, 2021. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ega/l15b4517_rapport-information##

4 Zegaï, M. (2010). La mise en scène de la différence des sexes dans les jouets et leurs espaces de commercialisation. Cahiers du Genre, 49, 35-54. https://doi.org/10.3917/cdge.049.0035 

5 Comment les enfants classent les nouveaux jouets en “ jouets pour garçons ” ou “ jouets pour filles ” : https://www.cairn.info/revue-enfance-2006-3-page-266.htm?contenu=article

6 Apprentissage par essai-erreur : libérez le potentiel du feedback : 

https://www.didask.com/post/apprentissage-par-essai-erreur-liberez-le-potentiel-du-feedback

7 Pourquoi la pédagogie de l’erreur est une source d’apprentissage ? : https://www.bienenseigner.com/pourquoi-la-pedagogie-de-lerreur-est-une-source-dapprentissage/

8 Voir Anne Coppel, Lydia Braggiotti, Malika Amaouche, Le Bus des femmes. Prostituées. Histoire d’une mobilisation. Paris, éditions Anamosa, 2020.

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