Comment faire pour rendre sensibles les enjeux de l’anthropocène en médiation scientifique ?

Du partage des sciences à l'engagement citoyen - 40 ans de politiques de CSTI
Rêves de pierres (2015, Savoie), intervention paysagère de Jean-Pierre Brazs  © Jean-Pierre Brazs

Les actions humaines rivalisent aujourd’hui avec les phénomènes géologiques pour transformer les enveloppes superficielles de la Terre (en particulier, ce que les géochimistes nomment la « Zone Critique ») avec une intensité sans équivalent dans l’histoire de nos sociétés. L’humain serait ainsi devenu une « force géologique » à tel point que la question de la définition d’une nouvelle époque géologique (qui succéderait alors à l’Holocène, débuté il y a environ 10 000 ans) se pose.

De nombreux débats existent autour de ce concept. Est-il vraiment pertinent d’ajouter une nouvelle subdivision à l’échelle des temps géologiques ? Cela nécessiterait d’identifier, dans les archives géologiques, des marqueurs (dits stratigraphiques) spécifiques des changements environnementaux planétaires assignés aux activités humaines. Dans ce cas, à partir de quand doit-on faire débuter cette potentielle nouvelle unité temporelle ? Et comment la nommer, d’une manière efficace, sans passer sous silence ni homogénéiser les responsabilités ? Le terme anthropocène semble être le plus utilisé pour désigner le moment que nous vivons, mais une centaine d’appellations ont déjà été inventées (e.g., capitalocène, industrialocène, phagocène, plasticène, thanatocène, molysmocène, agnotocène, etc.).

Comment rendre sensibles les enjeux liés à l’anthropocène dans un dispositif de médiation humaine des sciences ? Comment engager les publics à s’interroger sur notre empreinte environnementale et à projeter le futur ? En quoi l’approche artistique est-elle pertinente pour aborder ces problématiques ?

Ces interrogations ont pu être explorées et expérimentées à l’occasion d’un atelier conçu à la Cité des sciences et de l’industrie (Universcience), en collaboration avec l’artiste Jean-Pierre Brazs, fondateur de « La Manufacture des roches du futur® ». Cet atelier se propose de mimer, en condensant brutalement le temps, les processus de transformation des sédiments actuels en roches sédimentaires qui pourraient être retrouvées dans des avenirs proches ou très lointains.
Le principe général est donc d’inviter les publics à imaginer et fabriquer des fac-similés de fragments de carottage dans d’hypothétiques « roches sédimentaires du futur », i.e., des fausses pierres calcaires dans lesquelles sont incorporés
à la fois des éléments naturels mais aussi des matériaux d’origine anthropique (e.g., débris métalliques, informatiques, de céramiques, d’objets en matières plastiques, etc., autant de produits de nos sociétés urbaines et industrielles). 

Aborder l’anthropocène à travers les arts plastiques permet notamment d’appréhender (toucher) une de ses caractéristiques principales : le télescopage de temporalités radicalement différentes (résultat de la rencontre entre l’humain et le système Terre) – i.e., des échelles de temps très longues (géologiques) et d’autres beaucoup plus courtes (humaines, celles de nos vies). Cet aspect fait d’ailleurs écho à un des principes qui guide le travail artistique de Jean-Pierre Brazs. Cet artiste conçoit, en effet, les arts plastiques non pas uniquement comme des agencements de formes (de matériaux, matières, etc.) mais aussi comme de véritables manipulations du temps.

Si l’anthropocène n’est pas retenu par les géologues (en particulier les stratigraphes), ce concept demeure opérant en sciences sociales et politiques, en nous offrant un espace pour (re)penser le monde d’aujourd’hui, et imaginer collectivement de nouveaux possibles, à des échelles locales et globales. 

L’anthropocène ne mérite peut-être pas une place dans l’échelle des temps géologiques mais un des avantages majeurs de ce concept est de favoriser le décloisonnement des disciplines et de stimuler le dialogue entre les sciences dites « naturelles » (ou « exactes », notamment celles du système Terre), les humanités et les arts. La médiation scientifique, en se saisissant notamment de ce concept, a un rôle à jouer dans la transmission de l’importance des approches multidisciplinaire, interdisciplinaire et transdisciplinaire pour faire face aux changements environnementaux globaux contemporains.

 

Arènes A, Latour B, Gaillardet J. Giving depth to the surface: An exercise in the Gaia-graphy of critical zones. The Anthropocene Review. 2018;5(2):120-135. doi:10.1177/2053019618782257.

Gemenne, F., & Rankovic, A. (2019). Atlas de l’anthropocène. Presses de Sciences Po.

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