Tinkering et Créativité Technique pour dynamiser la CSTI auprès des publics marginalisés

Du partage des sciences à l'engagement citoyen - 40 ans de politiques de CSTI
Démontage et détournement de jouets électroniques cassés avec des adolescents en décrochage scolaire au Pôle Innovant Lycéen à Paris © TRACES

Depuis quelques années, l’anglicisme « tinkering », mot anglais que l’on peut traduire par « bidouillage », apparaît régulièrement dans le vocabulaire de la CSTI. Il fait généralement référence à la pédagogie Tinkering issue du mouvement Maker, née dans le milieu de l’enseignement et de la médiation scientifique américaine des années 2000 et notamment portée par l’Exploratorium à San Francisco. Elle s’est largement diffusée en Europe dans les années 2010 et aujourd’hui, elle est souvent mise en avant comme un outil pour dynamiser l’apprentissage des sciences auprès d’une large variété de publics, en particulier auprès des publics marginalisés.

Dans un atelier Tinkering, des outils et du matériel sont mis à disposition du public pour qu’il réalise manuellement un défi technique et créatif. Par exemple, inventer une machine qui gribouille, élaborer un mécanisme capable d’éclater un ballon, démonter des appareils électroniques et détourner des composants… Ces défis ne sont généralement accompagnés d’aucune instruction précise, laissant au public la possibilité de les interpréter et de les aborder selon une myriade de stratégies. Ces stratégies peuvent être simples, complexes, absurdes, drôles, poétiques, inattendues, vouées à ne pas fonctionner ; peu importe, toutes sont valides. Le but n’est pas de produire une création fonctionnelle et robuste qui pourrait être utilisée en dehors de l’atelier, encore moins de mettre en compétition et valoriser la création la plus efficace ; le but est de proposer un espace d’exploration que l’on peut arpenter librement, sans jugement extérieur et en se fixant soi-même ses propres objectifs. C’est une invitation au tâtonnement, au bidouillage, à se perdre dans des détours créatifs, à poursuivre une idée sans savoir si elle a la moindre chance de marcher, à assumer que ce que l’on a essayé ne marche pas, à générer ses propres problèmes pour les résoudre soi-même. 

Ce cadre a l’air ludique et amusant, mais, concrètement, le public apprend-il quoi que ce soit ? Cette question légitime est soulevée à chaque fois qu’un acteur de la CSTI ou de l’enseignement s’est retrouvé pour la première fois face au Tinkering. Largement documentée,  la réponse est unanime : oui. Il est certes difficile d’anticiper ce qui sera concrètement appris, puisqu’on ne sait jamais exactement ce qui sera créé et comment, néanmoins il est clair que des apprentissages sont à l’œuvre.

Pour s’en convaincre, il suffit simplement de suivre un groupe sur plusieurs séances. Son comportement change et révèle vite des apprentissages de savoir-être : il devient plus autonome, plus confiant, capable d’entraide… Les créations deviennent, elles, de plus en plus recherchées et complexes, soulignant que des savoirs et savoir-faire sont aussi acquis. La pédagogie Tinkering repose sur un pilier : en encourageant chacun à construire quelque chose de personnel, et en lui donnant envie de mener chaque projet à terme, on génère naturellement un levier d’apprentissage puissant. Dans un article intitulé : It Looks Like Fun, But Are They Learning ? (2013), les auteurs Petrich, Wilkinson et Bevan, ont identifié et rassemblé les compétences les plus communément mobilisées et les organisent selon quatre axes : l’engagement dans une activité, la capacité à mener un projet personnel en autonomie, le travail en communauté et enfin l’approfondissement des savoirs et les savoir-faire mobilisés.

De plus, en proposant aux publics d’être maîtres de leur apprentissage et en bannissant toute possibilité « d’échec », ce cadre est un outil efficace pour favoriser la prise de confiance en soi et améliorer le sentiment de proximité avec les sciences et techniques.

L’association TRACES mène, depuis 2013, des ateliers dits de « Créativité Technique », inspirés du Tinkering, avec la conviction qu’ils permettent une offre de médiation particulièrement adaptée aux publics marginalisés dont le rapport à la CSTI « classique » est parfois difficile, voire conflictuel car leurs besoins sont souvent mal ciblés par l’offre culturelle. Ces dernières années, à travers les projets « Créativité Technique 2.021 » financé par la Région Île-de-France et « Tinkering in Europe : Addressing the Adults » financé par l’agence européenne Erasmus +, l’association a conçu et animé des ateliers avec des adultes en centre de détention, des adolescent·e·s en décrochage scolaire et des jeunes en réinsertion sociale et professionnelle. Ces ateliers répondent à des besoins fondamentaux que partagent ces publics, notamment en renversant la posture dans laquelle les activités d’enseignement et de médiation traditionnelles peuvent les confiner : généralement c’est à eux de s’adapter au cadre pédagogique et aux objectifs de l’activité au risque d’être en position d’échec s’ils n’y arrivent pas. Pour une fois c’est le cadre qui s’adapte explicitement à ce que qu’ils proposent et ils sont invités dans un espace d’exploration et d’expression dans lequel ils sont maîtres de leurs propres objectifs, libres de les atteindre ou de les modifier. Ainsi chaque individu peut partir de ses compétences propres, les renforcer, les compléter et les valoriser sans risque de se retrouver en situation d’échec.

Ces ateliers ont été très appréciés par les publics de ces projets. S’ils ne permettent pas l’apprentissage d’une liste de compétences fermée et clairement établie à l’avance, ils ont, par contre, été une occasion d’améliorer leur confiance en eux et leur relation avec la CSTI, tout en mettant en lumière des savoirs et des appétences que les équipes d’encadrement qui les suivent quotidiennement n’avaient souvent jamais vues ; ensemble ils ont pu s’en saisir et s’en servir pour nourrir leurs projets personnels de réinsertion sociale ou d’orientation professionnelle.

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